Recherches en zones de crise

Visa, médicament, téléphone satellite: les scientifiques préparent soigneusement leur séjour de recherche dans une zone de crise et tentent d'anticiper les situations délicates. | Collage: 2. stock süd, photos: Valérie Chételat

C’est le cauchemar de toute organisation engagée dans une zone à risque: en 2012, un groupe armé attaque le convoi de l’organisation humanitaire Norwegian Refugee Council près d’un camp de réfugiés au Kenya. Le chauffeur est tué, d’autres personnes sont blessées et évacuées. Un collaborateur de nationalité canadienne souffrant de stress post-traumatique devenu incapable de travailler traîne l’organisation en justice pour négligence grave. Elle admet des défaillances dans la préparation de la mission, mais un compromis ne peut être trouvé. Un tribunal norvégien finit par ordonner en 2015 le versement d’une indemnité d’environ 500 000 francs à l’employé.

«Ce procès a provoqué un sursaut dans le milieu des ONG», commente Daniel Glinz, ancien délégué au CICR et aujourd’hui conseiller pour le Centre d’information, de conseil et de formation pour les professions de la coopération internationale (CINFO), basé à Bienne. En 2011 déjà, une étude du Centre de politique de sécurité de Genève relevait que les organisations internationales sont moralement et éthiquement responsables du bien-être de leurs employés et également soumises à des normes juridiques régissant le devoir de protection et la responsabilité.

«Etre bien accepté sur place contribue grandement à une bonne protection.»Alexander Knup

Alexander Knup de l’Institut tropical et de santé publique suisse (Swiss TPH) conseille chaque année entre 350 et 400 scientifiques et collaborateurs engagés dans les centaines de projets que mène son institution dans plus de 100 pays. Il participe également à un groupe de travail du CINFO. Aucun incident majeur n’a eu lieu ces dernières années selon Alexander Knup. A titre préventif, les stations de recherche se vident pendant quelques semaines en cas de tensions prévisibles, par exemple avant les élections en République démocratique du Congo.

Une check-list permet de contrôler les mesures de sécurité qui commencent avant le voyage. Tous les collaborateurs du Swiss TPH se rendant à l’étranger suivent une formation en ligne de l’ONU sur la sécurité, voire un cours de deux jours au CINFO en cas de déplacement dans une zone à risque. Ils doivent s’enregistrer sur la plateforme Itineris du Département fédéral des affaires étrangères et communiquer régulièrement une fois arrivés à pied d’oeuvre.

Alexander Knup souligne l’importance de se familiariser avec les réalités du lieu et de se créer un bon réseau afin de pouvoir compter sur de l’aide locale en cas de besoin: «Etre bien accepté sur place contribue grandement à une bonne protection.» En cas d’urgence, les collaborateurs ont accès à une hotline 24h/24h. Le déroulé des opérations et les compétences en cas de crises sont également préétablies.

Check-lists et débriefings

Les scientifiques du Centre interdisciplinaire pour le développement durable et l’environnement (CDE) de l’Université de Berne effectuent une centaine de séjours de recherche chaque année. La plupart ont lieu dans des pays en développement, dont les deux tiers connaissent des conflits. «Nous ne nous rendons pas dans des zones à haut risque», indique Tanja Berger, directrice de la stratégie et des processus pour le CDE. Le centre met en place des conseils personnalisés et des débriefings avec les chefs de projets ou de division. Les participants reçoivent des directives concernant la sécurité sur le terrain. L’enregistrement dans Itineris, le portail du DFAE, est obligatoire. Des organisations partenaires locales offrent leur soutien. Pour les crises complexes, le CDE s’appuie sur les informations dont disposent les autorités fédérales, le DFAE ou la DDC (Direction du développement et de la coopération). «Heureusement, nous n’avons jusqu’ici jamais été confrontés à une telle situation.»

Des ressources pour bien se préparer
  • Duty of Care Maturity Model: Instrument du CINFO pour évaluer et améliorer les processus de gestion des risques mis en place par l’employeur. Il se base sur l’obligation légale de protection des collaborateurs.
  • Itineris: Les citoyens suisses peuvent annoncer leurs voyages à l’étranger sur la plateforme du DFAE. Ils reçoivent un message si la situation sécuritaire dans la zone où ils se trouvent se péjore de manière inattendue.
  • BSAFE: La formation interactive en ligne de l’ONU familiarise les participants avec les standards de sécurité onusiens.

A Swisspeace, un institut de recherche sur la paix, des directives règlent depuis 2018 les procédures, les rôles et les compétences en matière de sécurité. Avant le départ, une procédure obligatoire suivie avec un responsable comprend une évaluation des risques et une check-list. «Les instructions sont adaptées en fonction de l’évaluation des risques», indique la responsable du personnel Maria Hoffstetter. La formation en ligne de l’ONU sur la sécurité constitue une étape standard. Elle est complétée parfois par des exercices dans lesquels les participants s’entraînent par exemple à adopter le bon comportement à un check-point.

Pour les humanitaires comme pour les scientifiques, le risque zéro n’existe pas. Les mesures prises par les institutions de recherche montrent qu’elles sont prêtes à affronter des situations de crise et qu’elles font également tout pour éviter de s’y exposer. Une gestion professionnelle de la sécurité repose essentiellement sur une préparation minutieuse.

Le FNS invite à la prudence
Le Fonds national suisse ne soutient les séjours de recherche en zone de crise ou de conflit qu’à la condition que le risque soit limité à une région ou estimé peu élevé. Le bénéficiaire d’un subside doit prendre la responsabilité de la sécurité de tous les participants, y compris des collaborateurs locaux. La responsabilité du FNS est expressément exclue. Ce dernier n’entre pas en matière sur des demandes de subventionnement de recherches menées dans des régions présentant un risque important pour la sécurité, une situation qui n’est pour l’instant que rarement survenue.