Dans le simulateur de tennis de l'Institut des sciences du sport de l'Université de Berne, on enregistre le regard et la perception de la position de la balle de la participante à l'étude.| Photo: Gian Paul Lozza

L’adversaire sert à nouveau. Cette fois, il tire légèrement sur la droite. L’étudiant en sport Nicola touche la balle, mais avec le cadre de sa raquette de tennis et elle part dans les tribunes. Peu importe, on continue et déjà arrive le service suivant. Nicola parvient à le capter, mais la boule de feutre jaune sort de nouveau, cette fois au-delà de la ligne de fond. Nicola conserve son calme et s’efforce de toucher la balle suivante, presque stoïque. Car finalement il ne s’agit ici que d’un test, le court de tennis et l’adversaire sont virtuels.

Nous nous trouvons dans le laboratoire d’étude de la sensori-motricité de l’Institut des sciences du sport de l’Université de Berne et Nicola, âgé de 20 ans, s’y démène comme personne test pour aider les scientifiques à établir ce qui détermine le comportement des joueurs de tennis et d’autres sportifs. Au plus haut niveau surtout, les sportifs sont sans cesse sous pression et doivent agir et faire des choix dans l’urgence – que ce soit pour renvoyer un service au tennis, parer un smash au volley-ball ou choisir le bon côté pour un penalty. Mais les prérequis nécessaires à ces actions, à savoir leurs perceptions sensorielles et leur évaluation de l’adversaire, restent flous. Comment les sportifs prennent-ils ces décisions sur le terrain? Qu’est-ce qui influence leur comportement et quelles sont les différences entre athlètes de haut niveau et amateurs? C’est à ces questions que les scientifiques réunis autour d’Ernst-Joachim Hossner veulent répondre avec leurs essais virtuels.

Le regard dirige le mouvement

Le laboratoire d’étude de la sensori-motricité permet à l’équipe de reproduire des situations de jeu et de les étudier. «Cela serait impossible dans des parties réelles où la même situation ne se répète pour ainsi dire jamais», précise le responsable du laboratoire Ralf Kredel. Aujourd’hui, il s’intéresse plus particulièrement au regard: où les joueurs dirigent-ils leurs yeux dans l’action et quelle influence cela exerce-t-il sur la qualité de leur jeu? Pour l’analyse, Nicola porte des lunettes 3D avec un système de suivi des yeux. D’une part, elles rendent pour lui aussi réel que possible le court de tennis virtuel qui est projeté sur le sol et contre les parois, adversaire et balles fusantes compris. D’autre part, elles intègrent deux petites caméras à infrarouge dirigées sur les yeux de l’étudiant. Les images permettent à un logiciel de déterminer la position des pupilles et de reconstruire la direction de son regard.

L’adversaire sert à nouveau. Nicola, dont les larges épaules et les bras musculeux trahissent un sportif polyvalent, bouge la raquette virtuelle avec la manette qu’il tient à la main – un peu comme celle d’une console de jeux Wii. Et il marque le point. La manette lui permet aussi de désigner l’endroit où, à son avis, la balle a touché le sol. Parce que «nous voulons également savoir dans quelle mesure sa perception correspond ou non au véritable point d’impact de la balle et de quoi cela dépend», dit Ralf Kredel. Le plafond du laboratoire est en outre équipé de caméras à infrarouge. Elles sont capables d’enregistrer les mouvements au millimètre près grâce à des marqueurs réfléchissants. Actuellement, dans la phase pilote du projet, les chercheurs suivent ainsi les positions respectives des lunettes de traçage et de la manette pour les associer aux données sur le regard.

Lors d’essais antérieurs, les scientifiques bernois avaient déjà procédé à des études analogues sur les élites du beach-volley. Dans ce sport, l’un des joueurs essaye en général de parer au filet l’attaque de l’adversaire alors que son partenaire couvre le reste du terrain. Il doit pour cela prendre une décision: souvent, il devra contrer un long smash tiré en diagonale, parfois courir après un petit lobe ou un ballon placé sur une courte diagonale. «Même les joueurs rapides doivent s’élancer le plus tard possible, au moment où l’adversaire touche le ballon, sans quoi ils n’ont aucune chance», explique Joachim Hossner. Les scientifiques ont analysé l’anticipation des athlètes auprès d’un échantillon de 64 protagonistes – amateurs pour moitié, et 16 joueuses et 16 joueurs parmi les meilleurs de Suisse. Dont notamment Nadine Zumkehr, une joueuse de classe internationale, et Paul et Martin Laciga, qui ont été plusieurs fois champions d’Europe.

Collecter des données sur les performances et établir un profil numérique
Qu’elles soient skieuses ou cyclistes, qu’ils pratiquent l’athlétisme ou la gymnastique, tous les sportifs de compétition veulent être au clair sur leur condition physique, connaître leurs forces et leurs faiblesses et ce qui peut encore être amélioré par l’entraînement. Les tests médicaux, de diagnostic de performance et de psychologie du sport de la Haute école fédérale de sport de Macolin les y aident. «Plus de 1100 athlètes représentant plus de 20 disciplines sont déjà venus ici se faire tester et conseiller», indique Silvio Lorenzetti, chef de la section Sport d’élite. Les tests d’endurance mesurent notamment le taux maximal d’oxygène, la quantité d’hémoglobine dans le sang ou la tolérance des muscles à l’acide lactique pendant que les sportifs et sportives se donnent à fond sur un vélo ou un tapis de course. Les spécialistes peuvent aussi tester les caractéristiques de force, par exemple la force rapide lorsque les sujets sautent le plus haut possible sur une plateforme dotée de capteurs de force.

Au fil des ans, les scientifiques ont ainsi réuni un ensemble exceptionnel de données. «Pour nombre d’athlètes, nous disposons de données de performance sur dix, quinze ans», indique Silvio Lorenzetti. Les
données sont évaluées en permanence dans le but de définir les paramètres physiques déterminants pour les différents types de sports et d’établir des corrélations avec la compétitivité ou les risques de blessure.
A long terme, l’objectif est d’établir le profil numérique des athlètes. Pour cela, l’équipe veut rassembler toutes les données disponibles – issues des tests de performance, de l’entraînement, des compétitions et des éventuelles rééducations – afin d’en tirer des conclusions sur l’évolution de la performance, l’efficacité de l’entraînement et la santé des athlètes à long terme.

Entraîner les muscles respiratoires apporte du carburant aux jambes
Quand la skieuse Michelle Gisin dévale un slalom, elle a besoin d’une bonne dose d’énergie dans les jambes. Toutefois, «même les meilleures jambes dépendent d’une respiration solide», assure Christina Spengler, spécialiste du mouvement à l’ETH Zurich. Avec son équipe du Laboratoire de physiologie humaine et sportive, elle étudie en détail l’influence de la respiration sur la performance et comment déterminer au cas par cas si un entraînement de la musculature respiratoire est indiqué. Pour cela, l’équipe a mené des tests sur des coureurs avant et après un ultra-marathon, et également sur des sportives amatrices. En préalable à une activité sportive, les sujets ont respiré par le biais d’appareils à résistance intégrée qui fatiguent la musculature respiratoire – en particulier le diaphragme et les muscles intercostaux. Les scientifiques ont ainsi montré que les personnes dont les muscles respiratoires ont dû travailler beaucoup étaient ensuite moins endurantes, que ce soit à pied ou à vélo, et que les muscles de leurs jambes étaient plus fatigués. «Cette fatigue se mesure par la force de la contraction d’un muscle en réaction à un stimulus externe», explique Christina Spengler. Son équipe a donc développé un nouvel appareil d’entraînement des muscles respiratoires. Le P100 est constitué d’un embout pour la bouche, d’une petite commande avec écran et d’un sachet dans lequel on expire et inspire. En réglant la résistance et le volume d’air, on peut ainsi renforcer la puissance et l’endurance respiratoire, ce qui améliore la performance sportive globale. Le modèle précédent avait déjà convaincu des vedettes du sport suisse: les championnes olympiques Dominique et Michelle Gisin et l’octuple champion du monde de cross-country VTT Nino Schurter s’étaient notamment entraînés avec lui.
La recherche sur le sport d’élite pour faire progresser le sport de masse
Il suffit parfois de peu, surtout dans les sports très durs pour les genoux tels que le ski ou le basketball: le fémur et le tibia se heurtent si violemment que le cartilage du ménisque se déchire. Contrairement aux muscles et aux os, le cartilage ne contient pas de vaisseaux sanguins et guérit difficilement de lui-même. C’est pourquoi des scientifiques du Laboratoire de biomécanique en orthopédie de l’EPFL cherchent une nouvelle méthode pour traiter ce type de lésions. Ils ont développé un coussin de gel qui aide le cartilage à se régénérer, mis en place grâce à une simple opération mini-invasive (lire en page 12). A l’EPFL, plus de 40 équipes de recherche travaillent en sciences du sport. Le Laboratoire de mesure et analyse des mouvements LMAM a de son côté développé un système combinant capteurs et algorithmes qui déduit l’état psychologique des sportifs et sportives à partir des mouvements corporels et indique donc leur ressenti subjectif d’une activité. Le but: aider les personnes à bien se sentir quand elles pratiquent un sport afin d’être motivées à persévérer. D’autres projets portent sur la façon dont les athlètes féminines peuvent éviter le surentraînement, sur la manière dont les coureuses peuvent surveiller leur niveau d’énergie à l’aide d’un système de capteurs portables, ou sur la façon dont les schémas de mouvement des athlètes peuvent être lus à partir de vidéos.

Dans ce travail, l’EPFL accorde une importance particulière à la mise en réseau des équipes de recherche et des disciplines, note le coordinateur du projet Pascal Vuilliomenet. Car à l’avenir les développements tels que les nouveaux coussins de gel ou les capteurs de l’état mental ne doivent pas bénéficier qu’aux sportifs et sportives d’élite, mais aussi au grand public – et déclencher à leur tour de nouvelles évolutions.

Le calme est la clé du succès

Les tests sur le terrain virtuel ont montré que les regards des volleyeurs d’élite suivent toujours le même parcours: ils regardent brièvement le passeur adverse, puis l’attaquant qui s’élance et ensuite le point au-dessus du filet où ils estiment que la balle sera frappée. Chez les débutants et les joueurs moyens, les yeux sont bien plus agités, allant une fois ici et une autre là. Ils saisissent donc la situation de façon moins fiable.

«Qui fixe longtemps le panier avant de tirer a plus de succès.»Ernst-Joachim Hossner, Université de Berne

Dans ce contexte, le spécialiste du sport Joachim Hossner parle du «Quiet Eye» (réd. l’œil calme) des pros, dont l’importance se manifeste le mieux dans les processus plutôt statiques tels que les lancers francs au basket: celui qui fixe longtemps le panier avant de tirer a plus de succès. Il en va de même au volley-ball: qui tourne tôt son regard vers le point névralgique, donc précisément là où l’adversaire touchera la balle, défendra mieux. Les scientifiques bernois ont montré lors d’expériences antérieures que le point de fixation Quiet Eye joue aussi un rôle au tennis. Celui dont le regard saute rapidement sur le point où la balle adverse touchera le sol dans sa moitié du court a plus de chances de bien la renvoyer.

Tout serait donc parfait si l’on pouvait s’entraîner à adopter ce mode de regard des joueurs professionnels, mais «malheureusement cela ne marche pas directement comme ça», note Joachim Hossner. Des essais ont montré que les personnes qui s’entraînent sont trop concentrées sur les mouvements de leurs yeux et ne sont plus assez attentives à l’essentiel, soit à leur frappe de la balle. Non seulement elles ne s’améliorent pas, mais elles deviennent moins bonnes. «C’est une faute fréquente à l’entraînement, note le chercheur. Plutôt que d’apprendre aux joueurs où regarder, il vaut mieux leur donner des exercices plus subtils qui attirent automatiquement le regard au bon endroit.»

Mais comment les joueurs expérimentés anticipent-ils le point de fixation névralgique du Quiet Eye? Les scientifiques bernois ont obtenu des éléments de réponse lors d’entretiens avec les joueurs et les joueuses lors du Beach Volleyball World Tour de Gstaad – un tournoi où se mesure l’élite mondiale. Les pros ont indiqué se baser non seulement sur la position et l’attitude de l’adversaire, mais aussi sur son comportement antérieur, à savoir par exemple son côté préféré ou la direction dans laquelle il ou elle frappe en étant sous pression. «A partir d’ici, ça devient vraiment passionnant, dit Joachim Hossner. Parce qu’il n’y a pas encore eu beaucoup de recherches sur la manière dont le comportement d’un joueur est influencé par ce qu’il attend de l’adversaire et sur la fréquence à laquelle ces hypothèses sont avérées.»

C’est précisément ce que l’équipe veut étudier avec ses tests tennistiques actuels. Au fil du temps, l’adversaire de Nicola servira toujours plus fréquemment d’un même côté. Les scientifiques chercheront alors à déterminer dans quelle mesure le fait que Nicola le sache influencera son regard, sa perception de l’endroit où la balle a touché le sol et finalement le succès de ses retours de service. «L’idéal serait que ces anticipations aident les joueurs à diriger leur regard sans biaiser leur perception», explique le chercheur.

Le soutien familial aide les talents

Dans un coin du laboratoire où les services continuent de pleuvoir sur Nicola traîne un ballon de football esseulé, reliquat des tests précédents qui portaient, eux, sur la créativité. «C’est actuellement un concept extrêmement populaire dans le football», dit Joachim Hossner. Toutefois, les tests menés avec les jeunes joueurs U12 et U13 de la relève du club bernois des Young Boys ont montré que la créativité sur le terrain dépendait presque exclusivement des capacités techniques des joueurs. «Ce résultat est utile pour les entraîneurs. Il leur indique qu’ils ne doivent pas chercher des têtes créatives, mais un savoir-faire.»

A l’Université de Berne toujours, Achim Conzelmann et son équipe cherchent, eux aussi, à savoir comment découvrir de nouveaux talents de football et ce qu’est réellement ce talent. Il ressort en particulier de leurs résultats que les capacités motrices ou physiques seules ne suffisent pas. Chaque sport requiert évidemment des dispositions minimales à qui veut vraiment arriver au sommet. Les sports d’endurance tels que le cyclisme ou le ski de fond requièrent un certain niveau de consommation maximale d’oxygène par kilo de masse corporelle. Pour le volley-ball ou le basket, les jeunes dont les parents ne font pas une certaine taille ne sont même pas pris en considération pour la relève. «C’est un peu plus compliqué pour des sports tels que le football et le tennis, parce que la performance résulte de différents facteurs», explique Achim Conzelmann. «Roger Federer et Rafael Nadal ont des aptitudes physiques totalement différentes, mais accumulent tous deux les succès.»

Ces deux athlètes ont toutefois en commun une motivation extraordinaire – ce qui est le facteur de succès par excellence, ont montré les résultats de l’équipe d’Achim Conzelmann. Elle a soumis de jeunes footballeurs âgés de 12 ans et plus à des tests mentaux et physiques, puis, plus tard, a examiné lesquels d’entre eux avaient été sélectionnés pour l’équipe suisse U15. Elle a ainsi constaté que ceux qui cherchent d’eux-mêmes en permanence à s’améliorer réussissent mieux et ont plus de chances de passer professionnels que ceux qui sont pour l’essentiel motivés par leur volonté de gagner.

Les chercheurs ont mis en évidence un autre facteur important: l’entourage familial. «Pour devenir vraiment bons, les enfants doivent s’entraîner si souvent et si durement que cela ne fonctionne pas sans le soutien de la famille», indique Achim Conzelmann. «C’est une des raisons pour lesquelles ceux qui parviennent au niveau professionnel sont plutôt issus de familles de migrants.» Celles-ci voient souvent dans le talent de leur enfant une chance pour toute la famille. Tandis que les Suisses accordent beaucoup plus de valeur à la formation scolaire.

Manifestement, Nicola ne manque pas non plus de motivation. Calmement, il essaie à chaque fois de renvoyer la balle virtuelle. La séance dure aujourd’hui deux heures et il reviendra la semaine prochaine. Au total, il aura tenté de capter 760 services, tout comme 39 autres joueurs tests.