Forschen in der Krisenzone

Le parc national des Virunga (RDC) est connu pour ses gorilles, mais également pour ses braconniers et ses rebelles. Matti Barthel, un géochimiste de l’ETH Zurich, s’y est rendu en 2008 pour prélever des échantillons de sol. Un mois plus tard, cinq gardes du parc y étaient tués. | Photo: Matti Barthel/ETH Zürich

Les médias parlent régulièrement des victimes de la guerre en Syrie, au Yémen ou en Ukraine. Mais bien d’autres régions du monde connaissent la violence. En 2018, le Heidelberg Institute for International Conflict Research a recensé 372 conflits, dont 213 violents. Ces chiffres justifient l’étendue des études académiques sur la paix et les conflits. En étudiant les causes et les dynamiques des affrontements, elles soutiennent les efforts visant à les prévenir ou à en réduire l’intensité.

Pour réaliser une analyse quantitative des conflits, le scientifique peut rester dans son bureau et se cantonner à la consultation d’articles de journaux, de sites Internet ou d’images satellite. Le travail de terrain demeure néanmoins essentiel. Notamment afin de mieux cerner la situation des individus confrontés à l’insécurité, souligne Oliver Jütersonke, du Centre sur les conflits, le développement et la consolidation de la paix du Graduate Institute à Genève. «Il n’est pas possible d’appréhender à distance comment un habitant du nord de l’Irak ressentait son quotidien sous la domination de l’Etat Islamique.»

«Le premier principe est: ne fais aucun mal.»Lars-Erik Cederman

Accéder aux personnes pour des entretiens dans des régions en proie à la violence est une entreprise délicate. «Il est très difficile de réaliser des enquêtes de grande ampleur, indique Oliver Jütersonke, qui a auparavant étudié la violence urbaine au Timor oriental pour la Banque mondiale. Les gens que nous approchions dans certains quartiers de la ville n’osaient souvent pas faire des déclarations détaillées.»

Maintenir sa neutralité

La recherche en zone de conflit implique des dilemmes éthiques. Par son travail, un scientifique peut exposer ses sources à des menaces physiques ou psychiques et devenir ainsi une partie du problème. «Le travail de terrain est un champ de mines politique et éthique», note Rahel Kunz, de l’Université de Lausanne, qui a entre autres étudié les problèmes d’égalité au Liberia et au Népal dans le cadre d’un projet soutenu par le Fonds national suisse. Cela renvoie au défi usuel des sciences sociales: en s’immisçant dans une structure sociale pour l’étudier, le scientifique influence l’objet de sa recherche par sa simple présence et devient lui-même acteur. La recherche empirique tient compte de cet aspect, mais la situation dans les zones de conflit conserve un caractère exceptionnel à cet égard: elle fait courir des dangers existentiels. Les personnes donnant des renseignements lors d’entretiens peuvent être punies pour leur participation; les femmes qui témoignent sur la violence domestique sont potentiellement susceptibles d’en subir encore davantage. Les habitants de régions dévastées ont souvent subi un traumatisme et risquent, en collaborant à une étude scientifique, de s’y replonger et de le réactiver.

Garder son objectivité de scientifique se révèle difficile lorsqu’on éprouve de la pitié pour ses interlocuteurs ou de la colère face à une situation donnée, ou qu’on se fait instrumentaliser par l’une ou l’autre partie. Oliver Jütersonke l’a vécu à Madagascar: «Des amitiés tissées avec certaines personnes peuvent nous pousser à opter en faveur d’un camp politique ou l’autre.» Rapidement, le chercheur n’est alors plus perçu comme indépendant et neutre, mais comme partial, ce qui influence naturellement le comportement des individus interrogés.

Les chercheurs doivent s’adapter au contexte local et aborder les dimensions d’un conflit avec la sensibilité voulue, être conscients des différents intérêts en présence et analyser l’influence possible de ces éléments sur leur travail. «Le premier principe est: ne fais aucun mal», explique Lars- Erik Cederman de l’ETH Zurich, lauréat du Prix Marcel Benoist en 2018 pour ses études sur les liens entre inégalité structurelle et conflits violents. Collaborer avec des chercheurs, des ONG et d’autres responsables sur place est très important. «Ces partenaires facilitent l’accès à des personnes à interroger, aident à l’interprétation de leurs propos sous les angles linguistique et culturel et permettent de s’engager à long terme», indique Rahel Kunz.

Des résultats difficiles à mesurer

Au regard des défis méthodologiques et éthiques qu’elles lancent, quels bénéfices concrets sont tirés des recherches à hauts risques menées localement sur des conflits? Diverses possibilités d’exploiter concrètement les résultats existent. Les scientifiques peuvent tenter d’influencer les décideurs en s’appuyant sur les conclusions empiriques de leurs travaux, siéger dans des commissions internationales d’experts sur la médiation des conflits ou encore communiquer afin de promouvoir les discussions au sein de la société.

«Nous souhaitons montrer aux acteurs d’un conflit d’autres voies que la violence.»Laurent Goetschel

Il reste néanmoins difficile de déterminer à quel point les études sur la paix contribuent à pacifier le monde. La dynamique des affrontements violents est complexe et les données disponibles manquent encore. Lars-Erik Cederman ne le cache pas: «Dans la plupart des cas, il n’est pas possible de mesurer avec précision les répercussions de nos travaux sur les processus de paix et de conflit. La recherche académique n’a que rarement un impact direct sur l’action des décideurs politiques, mais elle influence les débats autour des mesures à prendre.» A l’époque des fake news, il est plus important que jamais d’arrêter des décisions sur la base de faits établis, cela également en matière de conflits. «Lorsque nous générons des résultats recelant un potentiel de mise en oeuvre ou parvenons à amener un sujet à une table de négociations rassemblant les bonnes personnes, c’est déjà beaucoup», ajoute de son côté Laurent Goetschel, directeur de la Fondation suisse pour la paix Swisspeace, laquelle incite notamment la société civile syrienne à participer au processus de paix. «Par notre travail, nous souhaitons montrer aux acteurs d’un conflit d’autres voies que la violence.»

De la guerre froide au climat
La recherche sur la paix et les conflits est apparue en tant que discipline scientifique à part entière au cours du XXe siècle. Du fait du démantèlement de l’Union soviétique et de la fin de la confrontation Est-Ouest, ce champ d’étude a connu un bouleversement dont la marque est encore visible aujourd’hui. Avant 1991, il se focalisait sur l’armement nucléaire et l’analyse du dilemme sécuritaire basée sur la théorie des jeux.

Après la guerre froide, de nouveaux types de conflits ont émergé, et les scientifiques se sont intéressés aux tensions intraétatiques, au terrorisme et aux guérillas. L’analyse des causes, détachée du clivage idéologique Est-Ouest, a commencé à inclure également des aspects tels que l’évolution du climat ou les problèmes liés aux minorités.