Quatre conteneurs équipés de chauffage ont été câblés et scellés dans le massif de l'Aar. Ils servent à tester si les déchets radioactifs peuvent être conservés en toute sécurité. | Illustration: Andrea Peter

S’entraîner au stockage final dans les roches

Nagra, laboratoire souterrain du Grimsel

En descendant l’Aar en canoé, on passe entre autres à côté de trois centrales nucléaires. Depuis quarante ans, des scientifiques tentent de répondre à la question du stockage définitif et absolument sûr de leurs déchets radioactifs. Ils travaillent à la source de l’Aar, dans le laboratoire souterrain de la Nagra, au col du Grimsel. Les déchets qui se trouvent par exemple au centre de stockage intermédiaire de Würenlingen, à de nombreux kilomètres en aval de la rivière, devront un jour être enfouis dans un dépôt en couches géologiques profondes, où ils resteront pendant des dizaines ou des centaines de milliers d’années.

«C’est avec de la bétonite que les galeries où se trouvent les conteneurs de stockage définitif doivent être comblées et scellées.»Florian Kober

L’un des défis de ce stockage fait pour l’heure l’objet d’une expérience à long terme, baptisée HotBENT, conduite par Florian Kober: que se passe-t-il lorsque le mélange d’argile bentonite est exposé à des températures élevées sur une longue période? «C’est avec ce matériau que les galeries où se trouvent les conteneurs de stockage définitif doivent être comblées et scellées», explique le spécialiste. «La bentonite absorbe l’eau environnante et isole les déchets de manière sûre.» Les scientifiques savent déjà que cela fonctionne jusqu’à 150 degrés. Pour observer l’influence de températures entre 175 et 200 degrés, quatre conteneurs – qui peuvent être chauffés – ont été câblés et emmurés profondément dans la roche ces derniers mois. Ils sont équipés de 1500 capteurs mesurant constamment la température, l’humidité et la pression. Le chauffage a démarré en septembre 2021. Il est prévu que les conteneurs restent sous terre jusqu’à vingt ans. On espère ainsi mieux comprendre les processus et optimiser les dépôts définitifs.

Au fond du lac de Thoune se trouvent des centaines de vestiges du néolithique. | Illustration: Andrea Peter

Plongée dans l’univers palafitte

Service archéologique du canton de Berne, lac de Thoune

A peine sortie de ses gorges sauvages, la plus longue rivière de Suisse se déverse dans le lac de Thoune, à la frontière entre les Alpes et le Plateau. C’est en 2014 que cela a éveillé l’attention des archéologues. Un plongeur sportif a alors découvert des objets en bronze spectaculaires au fond du lac. Le service archéologique du canton de Berne a tout de suite examiné le site dans les eaux peu profondes au large de Thoune. «Nous y avons découvert plus de 200 pieux sur une zone d’environ 15 000 mètres carrés», raconte l’archéologue Lukas Schärer. «Des tessons de céramique, des pointes de flèches, des dagues, des hameçons et des aiguilles ont aussi été mis au jour.»

«Il se peut que le lieu, il y a 3000 ans déjà, ait été un point stratégique important sur une route entre la vallée de l’Aar et le Valais.»Lukas Schärer

Les datations permettent de conclure à différentes périodes de peuplement de la région: d’abord entre 1590 et 1550, puis entre 1050 et 950 avant Jésus-Christ. Les pilotis témoignent ainsi d’un nouveau pan de l’histoire de notre habitat: jusqu’à présent, on considérait surtout les lacs du Plateau comme des lieux d’habitation appréciés à l’âge du bronze. Désormais, il est évident que des villages importants ont aussi régulièrement existé sur le lac de Thoune. «Il se peut que le lieu, il y a 3000 ans déjà, ait été un point stratégique important sur une route entre la vallée de l’Aar et le Valais», pense Lukas Schärer. En effet, des vestiges préhistoriques ont aussi été découverts dans les champs de glace du col du Lötschen. On ignore toutefois encore si le lac de Thoune ou celui de Brienz, voisin, renferment encore d’autres vestiges des palafittes. Dans les années à venir, les scientifiques continueront à sonder les sédiments lacustres, à la recherche d’éventuels autres éléments cachés.

Autrefois, des glaciers massifs se trouvaient dans la vallée de l'Aar. Des gorges remplies de terre et de débris, cachées à des centaines de mètres sous la surface, témoignent encore aujourd'hui de leur présence. | Illustration: Andrea Peter

A propos des mesures de canyons invisibles

Institut de géologie de l’Université de Berne, vallée de l’Aar entre Thoune et Berne

Depuis Thoune, l’Aar s’écoule tranquillement en direction de Berne à travers l’idyllique vallée de l’Aar. En été, alors que des milliers de personnes rejoignent Berne en canot pneumatique, les poissons s’ébattent dans l’eau et les libellules virevoltent au-dessus. Mais en dessous, à près de 200 mètres sous le fond actuel de la vallée, se cachent de profonds canyons, formés dans la roche par l’avancée et le recul des glaciers et comblés depuis longtemps par les alluvions, des éboulis et de la terre. L’Institut de géologie de l’Université de Berne mesure actuellement la géométrie de ce sol rocheux caché. Les scientifiques utilisent principalement un gravimètre sensible, qui sert à mesurer la gravitation à divers points. Comme celle-ci est influencée par la densité du sol, les chercheuses peuvent établir un profil sans avoir à effectuer de forages.

«Les canyons souterrains ont été creusés dans la roche par les glaciers.»Fritz Schlunegger

«Nous avons pu montrer que la vallée de l’Aar cache des canyons profonds, explique le codirecteur de l’étude Fritz Schlunegger. Ces surprofondeurs ont été creusées dans la roche par les glaciers.» Grâce aux mesures, on peut également reconstituer une chronologie de l’érosion par les glaciers durant les périodes de glaciation et celles plus chaudes. Au cours des glaciations qui ont eu lieu il y a 200 000 à 150 000 ans, les glaciers massifs ont avant tout creusé la vallée de l’Aar en profondeur. Tandis que lors de la dernière grande glaciation, terminée il y a 20 000 ans, ils ont érodé ses versants latéraux. Les spécialistes comprennent maintenant mieux comment les glaciers ont façonné nos paysages pendant des millénaires.

Afin de pouvoir protéger au mieux la population en cas de débordement de l'Aar, on simule les conséquences d'évènements météorologiques extrêmes. | Illustration: Andrea Peter

Quand les crues arrivent

Mobiliar Lab sur les risques naturels de l’Université de Berne, rivières suisses

Tous les deux ans, l’Aar menace de sortir de son lit. Avec la multiplication des événements météorologiques, la menace sur les bâtiments et la population le long des 288 kilomètres du cours de la rivière augmente. Savoir où elle déborde le plus volontiers et le plus violemment est essentiel pour les mesures de protection. Le déroulement d’un tel événement intéresse également les scientifiques et les services chargés de la protection de la population. Le Mobiliar Lab sur les risques naturels de l’Université de Berne tente de mieux comprendre cette dynamique à l’aide d’un outil de simulation développé à cette fin. Il présente différents scénarios de crues extrêmes, mais réalistes, le long des principaux cours d’eau de Suisse.

«Combien de kilomètres de routes sont inondés dans quelle zone et quand? Les écoles, hôpitaux ou EMS sont-ils affectés?»Andreas Zischg

Les neuf simulations fournissent des indications pour répondre à des questions centrales, comme l’explique le codirecteur Andreas Zischg: «Combien de kilomètres de routes sont inondés dans quelle zone et quand? Combien de bâtiments sont concernés, à quel moment et où? Les écoles, hôpitaux ou EMS sont-ils affectés?» Les scénarios se basent sur des données des prévisions météorologiques archivées et visualisent les effets des inondations dans l’espace et dans le temps. Pour ce faire, les données hydrologiques ont été combinées avec des informations sur l’emplacement et le nombre d’hôpitaux et d’écoles, la valeur des maisons, les routes situées alentour et les personnes éventuellement touchées. Ce puzzle compliqué finit par rendre compréhensible le danger naturel comme une situation dynamique. Cela permet de mieux comprendre quelles mesures sont nécessaires, et à quel moment.

Les échelles à poissons aident barbeaux, anguilles et truites à franchir les centrales électriques dans le sens inverse du courant. Mais en aval, elles se retrouvent souvent dans les turbines. On cherche désormais des solutions. | Illustration: Andrea Peter

Poissons en lutte pour descendre le courant

ETH Zurich et Eawag, centrales hydrauliques

Pour les poissons, les centrales au fil de l’eau représentent souvent d’infranchissables obstacles. Le long de l’Aar, on en compte une vingtaine. Bien qu’elles soient souvent équipées d’échelles à poissons pour qu’ils puissent remonter le courant, il manque toujours une solution pour leur migration dans le sens inverse. Ce problème concerne surtout les grandes centrales. Les barbeaux, anguilles ou truites suivent le courant et se retrouvent dans les turbines, où près d’un tiers meurt. Pour mettre fin à cette hécatombe, il faut trouver une solution de construction durable à prix abordable et qui plaise aux poissons.

«Le système doit fonctionner dans n’importe quelle situation, qu’il y ait peu ou beaucoup d’eau.»Andreas Stettler

Plusieurs projets pilotes tentent de résoudre ce problème. Dans les centrales hydrauliques de Bannwil et de Wildegg-Brugg, les analyses visent à comprendre comment les poissons peuvent éviter les turbines au moyen d’une dérivation efficace. En laboratoire, des ingénieures de l’ETH Zurich et des biologistes de l’Eawag ont développé les dispositifs nécessaires. Ces grilles modifient le courant et orientent les poissons dans la direction souhaitée. Dans l’Aar, le biologiste Armin Peter a par ailleurs étudié le comportement de migration des poissons: quand partent-ils? Quelles distances parcourent-ils? Et où vont-ils? Dans la rivière, les conditions sont plus complexes qu’en laboratoire. «Le système doit fonctionner dans n’importe quelle situation, qu’il y ait peu ou beaucoup d’eau», explique Andreas Stettler, qui accompagne les projets pilotes. «Le bois flottant pourrait en outre endommager les grilles de guidage filigranes.» L’étape suivante consistera donc à étudier les effets réels à Bannwil, afin de développer une solution adaptée à la pratique.

Il y a 16 millions d'années, l'Aar se jetait dans une gigantesque mer de molasse. Là où se trouve aujourd'hui le Plateau suisse, des animaux préhistoriques s'ébattaient dans l'eau. | Illustration: Andrea Peter

Quand l’Aar traversait Lucerne

Institut de géologie de l’Université de Berne, région du bassin historique de l’Aar

Les Bernoises le savent bien: l’Aar est la rivière la plus importante de Suisse. Elle draine près de 43% du pays, soit, outre le versant nord des Alpes, presque tout le Plateau du lac de Joux jusqu’au Walensee, avant de se jeter dans le Rhin à Coblence. Son cours n’a cependant pas toujours été le même qu’aujourd’hui. L’intervention la plus connue est la canalisation et la déviation dans le lac de Bienne à l’occasion de la première correction des eaux du Jura, de 1868 à 1891. L’ancienne Aar entre Aarberg et Nidau en témoigne aujourd’hui encore.

L’origine de toutes les versions de l’Aar se trouve dans l’actuel Oberlandbernois.

Le géologue Fritz Schlunegger de l’Université de Berne a remonté le cours de l’histoire de l’Aar encore plus loin: depuis sa naissance, il y a près de 30 millions d’années, le sens d’écoulement de la rivière primitive a régulièrement changé. Elle s’écoulait tantôt vers l’est, tantôt vers l’ouest et, à un moment donné, vers le nord. Il y a 16 millions d’années, elle débouchait même dans une gigantesque mer de molasse antique, le Plateau actuel. L’origine de toutes ces versions de l’Aar se trouvait toutefois toujours dans l’actuel Oberland bernois. Le déploiement des Alpes est aussi l’une des raisons pour lesquelles la rivière n’a jamais coulé vers le sud. Ce n’est qu’il y a environ 2,6 millions d’années qu’elle a plus ou moins pris sa forme actuelle. Pendant un million d’années, elle a toutefois évité l’actuelle ville de Berne, se dirigeant directement vers le nord en passant par Lucerne. Les choses ont changé avec les périodes de glaciation et de réchauffement de ces 500 000 dernières années. Mais une question reste ouverte pour Fritz Schlunegger: où l’Aar s’écoulera-t-elle dans le futur? Il se peut qu’elle choisisse à nouveau d’aller vers l’ouest.