Twitter fait désormais partie du quotidien professionnel de nombreux chercheurs et chercheuses. Et depuis la pandémie, leurs contributions de 280 caractères au maximum reçoivent une attention toute nouvelle. Leurs explications percutantes permettent au grand public de suivre directement les résultats de leurs travaux.

Parmi ces scientifiques figure Christian Althaus de l’Université de Berne, ancien membre de la Task Force Covid-19 de la Confédération. «Au début, c’était pour communiquer au sein de la communauté scientifique », raconte l’épidémiologiste. Plutôt que d’attendre la publication du préprint d’une étude, on partageait les résultats sur la plateforme et on en discutait directement. «En février et mars, nos activités ont été de plus en plus remarquées par le public.»

Tweet largement repris dans la presse

Christian Althaus, qui compte plus de 19 000 followers, s’est également mêlé au débat sur les mesures de lutte contre la pandémie. Il considère qu’il est de son devoir de communiquer les faits et de corriger les informations fausses. Et comme il ne mâche pas ses mots, la presse de boulevard a donné un large écho à certains de ses tweets, allant jusqu’à consacrer une page entière à ses critiques lorsque, dans un même tweet, il a dénoncé la «faillite politique complète de la Suisse» et qualifié une politicienne d’«épidémiologiste du dimanche». «Maintenant, je réfléchis un peu plus longtemps aux mots que je choisis», note-t-il.

Mais les scientifiques ne s’impliquent de loin pas tous de manière aussi active sur Twitter. Nombre d’entre eux utilisent leur fil d’actualité de façon passive pour ne pas se perdre dans la mer de publications, de préprints et de documents de travail. Et ils apprécient le réseautage avec leurs collègues. C’est le cas également du phytobiologiste Etienne Bucher, collaborateur d’Agroscope à Nyon, qui utilise la plateforme depuis 2010 déjà. «J’étais postdoc à Genève à l’époque et Twitter était un très bon moyen pour discuter avec les grands noms de mon domaine.» C’est ainsi qu’il a entamé une discussion avec un chercheur renommé. Lorsqu’ils se sont rencontrés plus tard lors d’une conférence, ils ont immédiatement pu établir un contact grâce à leur activité commune sur Twitter. A côté du réseautage, Etienne Bucher utilise aussi le service de micro- messagerie pour la communication scientifique. Il cite par exemple une étude parue récemment sur l’identification des plantes modifiées à l’aide des ciseaux génétiques Crispr-Cas9 – un point important dans le débat sur les nouvelles techniques de sélection des végétaux.

Le biologiste a examiné de près les résultats de l’étude et montré qu’elle pouvait conduire à des conclusions erronées. Il a présenté son analyse dans un thread, soit une série de tweets connectés entre eux, qui lui a notamment valu d’être contacté par des responsables de l’Union européenne qui voulaient en savoir plus. «Sans Twitter, je n’aurais pas publié mon analyse, parce que cela m’aurait demandé trop de temps», constate le chercheur.

La climatologue Sonia Seneviratne de l’ETH Zurich, qui compte 5000 abonnés sur Twitter, a toutefois fait une expérience différente avec les threads. Elle a publié une série de tweets sur la charge de changement climatique que la planète peut encore supporter. Le thread a été partagé par près de 1000 personnes. Néanmoins, elle émet des réserves sur l’utilisation de la plateforme: «Concevoir un bon thread prend beaucoup de temps.» En outre, cette composition exigeante de texte disparaît de la timeline des utilisateurs très rapidement. «Je me demande si je n’aurais pas mieux fait d’écrire un article durable sur un blog.» Elle doute de plus que son travail d’information ait vraiment atteint beaucoup de gens en dehors de la communauté scientifique.

Et c’est bien là que se situe le problème: les gazouillis académiques touchent-ils vraiment la population? Seulement 10% environ des Suissesses et des Suisses ont un compte Twitter et la majorité des utilisateurs et utilisatrices sont issus des médias, de la politique, de l’économie et de la science.

Parfois, le service de micro-messagerie permet cependant à des thèmes scientifiques d’atteindre des cercles plus larges, par exemple lorsqu’ils sont relayés par des journalistes. C’est l’expérience faite par l’économiste Monika Bütler de l’Université de Saint-Gall. Elle gère avec deux collègues un blog sur la politique économique suisse et utilise Twitter, entre autres, pour promouvoir leurs nouveaux articles. «Pendant une période, les médias reprenaient presque un tiers de nos entrées », note-t-elle. L’intérêt rencontré par un article dépend de l’actualité du sujet.

Commentaires insultants

Une fois que les chercheurs se sont fait une large audience, des problèmes peuvent toutefois surgir. Par exemple, lorsqu’ils sont mal compris. C’est arrivé à la psychologue Angela Bearth de l’ETH Zurich qui tweete régulièrement autour des résultats des recherches sur le comportement des consommateurs. Un tweet sur son étude consacrée aux inquiétudes irrationnelles face aux produits chimiques a rencontré beaucoup d’attention après avoir été retweeté. Des critiques constructives des milieux scientifiques sont arrivées, puis quelques chimistes et toxicologues ont mal interprété son étude, comprenant que les personnes qui ont peur des produits chimiques étaient simplement «trop bêtes». Angela Bearth a bien essayé de rectifier, raconte-t-elle. Mais ces interprétations erronées lui ont valu quelques commentaires hostiles, l’accusant d’être à la solde de l’industrie chimique pour faire avaler les produits toxiques à la population. «Cela fait certes plaisir que les gens lisent votre travail, mais là, j’ai compris que certaines personnes faisaient vraiment ce qu’elles voulaient des résultats.» Dans ce cas, discuter et commenter ne sert plus à grand-chose. La plupart des chercheurs ont fait l’expérience de commentaires infondés et les ignorent souvent tout simplement. Mais, dans de rares cas, ces commentaires peuvent aussi être insultants, comme l’a vécu l’économiste saint-galloise Monika Bütler. Au début de la pandémie, elle a mis en évidence l’efficacité de certaines mesures, en particulier de l’obligation du port du masque, et ses tweets ont été repris par la presse.

Des utilisateurs du réseau lui ont alors reproché de nier les conséquences psychologiques des mesures prises pour enrayer la pandémie. «Ce sont par exemple toujours les mêmes personnes qui m’ont régulièrement qualifiée de négatrice du suicide, raconte Monika Bütler. Face à la répétition de telles attaques personnelles, j’ai commencé à bloquer des comptes.» Sur certains thèmes, de telles attaques sont plus fréquentes, explique Silke Fürst qui étudie la communication publique des hautes écoles à l’Université de Zurich. «La recherche sur le genre en est un exemple. Outre le blocage du commentateur, le masquage des tweets, des formulations prudentes ou des contre-attaques, il peut être utile que d’autres chercheurs se mêlent à la discussion afin de soutenir une personne attaquée, estime Silke Fürst.

Le réseautage sur Twitter a des côtés obscurs. Cependant, il sert les échanges scientifiques, ainsi que l’exigence de la communication scientifique de mieux intégrer la recherche dans la société.