Le 40% de la capitale indonésienne Jakarta se trouve sous le niveau de la mer. Ainsi, la mégapole est régulièrement en proie à des inondations. | Photo: Mast Irham/EPA/Keystone

Premier ministre de Singapour, Lee Hsien Loong annonçait en 2019 que la cité-Etat allait devoir investir au moins 100 milliards de dollars US au cours des cinquante à cent prochaines années pour protéger ses côtes. La même année, son confrère indonésien Joko Widodo annonçait son intention de déplacer la capitale Jakarta dans la province du Kalimantan oriental, sur l’île de Bornéo. La cité s’est en effet affaissée de 2 mètres au siècle dernier et connaît des inondations toujours plus fréquentes.

Singapour et Jakarta ne sont pas des cas isolés. Ainsi, 62% des villes de plus de 8 millions d’habitants se trouvent au bord de l’eau. Rien qu’en Asie du Sud-Est, plus de 400 millions de personnes vivent dans des régions côtières situées sous le niveau de la mer. Toutes ces agglomérations sont menacées par la hausse du niveau des mers, l’érosion des côtes, l’intensification des cyclones et des ouragans, la destruction des écosystèmes ainsi que la salinisation des terres et de la nappe phréatique. Sous l’effet du réchauffement de la planète, les océans s’étendent alors que la fonte de la glace terrestre s’accélère.

D’après les calculs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le niveau de la mer a augmenté en moyenne mondiale de 20 centimètres au siècle dernier. Suivant le scénario climatique, cette hausse atteindra 50 à 100 centimètres d’ici à 2100, avec de grandes disparités régionales.

«On ne peut plus arrêter la hausse du niveau des mers.»Oscar Carracedo
Villes régénératives contre la crise climatique

«On ne peut plus arrêter la hausse du niveau des mers», affirme Oscar Carracedo, professeur de design urbain à l’Université nationale de Singapour. «Les villes situées à proximité des côtes ont trois options pour s’adapter: construire des murs de protection, surélever la ville ou s’éloigner du littoral.» A la tête du projet de recherche «The Sea-City Interface» du Future Cities Lab de l’ETH Zurich, il travaille depuis un an avec son équipe pour développer des stratégies sur la manière dont les villes côtières asiatiques doivent se transformer pour relever les défis qui se multiplient. «Les possibilités d’adaptation sont largement connues, mais elles sont limitées», précise Oscar Carracedo.

Son équipe souhaite aller plus loin et lier adaptation et mitigation. «Nos études portent sur des villes qui redonnent quelque chose à l’environnement.» Il évoque le design régénératif, qui permet de conserver et de renouveler les ressources utilisées dans un circuit fermé. A l’avenir, les cités ne doivent pas seulement produire moins d’émissions, mais aussi extraire des gaz à effet de serre de l’atmosphère.

«En vue des défis urbains énormes, nous devons réfléchir de manière utopique.»Oscar Carracedo

Pour y parvenir, les scientifiques ne misent pas seulement sur la nature, à l’image de la reforestation, mais aussi sur les technologies de captage du CO2. «Les gratte-ciel pourraient se muer en arbres artificiels et extraire le CO2 de l’air ambiant», explique le chercheur. Dans ce but, de nouveaux matériaux doivent être intégrés aux façades des bâtiments. Ainsi, des spécialistes de la physique, de la chimie et de la biologie de Singapour et de Zurich travaillent aussi sur ce projet.

L’accent mis sur les villes côtières n’est pas un hasard: pour les processus régénératifs et le stockage des gaz à effet de serre, d’importantes quantités d’eau sont nécessaires. Des solutions de stockage et d’utilisation de l’eau de pluie seront cependant aussi testées. Le chercheur avoue que ces idées sont encore idéalistes. Pourtant, «compte tenu des énormes défis urbains, nous devons penser de manière utopique; nous avons besoin de disruptions.»

«Pour les plus pauvres, la seule priorité est de s’adapter le plus rapidement possible.»Oscar Carracedo

Oscar Carracedo est conscient que ces visions offrent peu d’espoir aux millions de personnes qui vivent dans des quartiers informels des mégapoles du Sud-Est asiatique telles que Jakarta. Leurs abris sont d’ores et déjà emportés par l’eau de la mer, dont le niveau ne cesse de monter. «Pour les plus pauvres, la seule priorité est de s’adapter le plus rapidement possible.» Et donc, encore une fois, de construire des murs de protection, de surélever les villes ou de s’éloigner du littoral.