Gravure sur cuivre de Lucques datant de 1750: depuis la fin du Moyen Age jusqu’à aujourd’hui, la petite ville toscane est protégée par un cercle de murailles. | Photo: akg-images

Que ce soit Paris, Londres, Cologne, Milan, Strasbourg ou Bâle, presque toutes les villes célèbres sont fondées sur des structures urbaines héritées de l’antique Empire romain. La Rome impériale avait recouvert le Vieux Continent d’un réseau dense de centres urbains. Ceux-ci lui servaient à sécuriser et à administrer son empire, mais étaient aussi des modèles de civilisation romaine à suivre. Bien que la chute de l’Empire romain à la fin du Ve siècle ait entraîné le dépérissement de la majorité de ces centres, au point qu’il n’en reste souvent presque rien au nord des Alpes, ils sont restés des points de relais pour la grande vague d’urbanisation qui déferlera sur l’Europe aux XIe et XIIe siècles.

Les villes d’Italie du Nord telles que Florence, Venise, Milan, Sienne ou Lucques, où la tradition urbaine de l’Antiquité n’a pratiquement jamais faibli, ont connu un développement particulièrement rapide. Le commerce de marchandises en provenance d’Orient y était prospère et les riches négociants, banquiers d’affaires et artisans sont parvenus à acquérir toujours plus de droits de la part des évêques et autres comtes. En Toscane, les citoyennes et les citoyens de Lucques ont été autorisés au XIe siècle déjà à former un parlement municipal et à se présenter aux élections du gouvernement de la ville.

La sécurité juridique permet l’ascension

Les riches familles de négociants ont rapidement pris en main le destin de la ville. En 1160, en échange d’un tribut annuel, la cité de Lucques obtient même du marquis de Toscane le droit de régner sur un territoire autour de la ville, le «contado». Les nobles sont alors forcés d’abandonner leurs résidences de campagne et de s’établir en ville. Lucques se mue en cité-Etat indépendante, dotée de son propre ordre juridique, gage de protection et de sécurité du droit pour ses habitants. Un atout de taille pour son essor économique.

En France, en Allemagne et en Suisse, où les villes sont parvenues à s’établir comme espaces juridiques à part entière à la fin du Moyen Age, ces nouveaux droits ont également pris de l’importance. Simon Teuscher, professeur d’histoire du Moyen Age à l’Université de Zurich, perçoit cette évolution comme l’élément d’une «spatialisation des droits»: dans ce processus, les droits et les devoirs sont moins liés aux personnes qu’aux structures spatiales. L’adage «l’air de la ville rend libre» rappelle que le territoire de la cité était considéré comme un espace de liberté. Il fait référence au droit pratiqué en de nombreux endroits, selon lequel un paysan ou une servante qui s’échappaient de leur seigneurie ne pouvaient plus être réclamés par leur maître après «un an et un jour» passés dans la ville.

«L’air de la ville rend libre».»Proverbe de l'époque

Les fugitifs étaient dès lors subordonnés à la ville, qui leur accordait davantage de droits personnels et les libérait d’obligations, comme le droit de relief – droit seigneurial sur les mutations de propriétés. Les hommes, en particulier, profitaient des droits de la cité. Pour autant qu’ils disposent des moyens financiers nécessaires, ils pouvaient même acquérir un droit de cité complet, privilège dont les femmes étaient par contre privées.

«La ville en tant que nouvel espace de droit avait un puissant effet d’attraction», explique Martina Stercken, professeure d’histoire du Moyen Age à l’Université de Zurich. «Ici, s’offrait aux roturiers la chance de progresser et de s’élever dans la hiérarchie sociale.» Il est intéressant de noter qu’entre le XIIe et le XIVe siècle, la plupart des villes d’Europe centrale et de l’Est ont été fondées par des nobles ecclésiastiques et laïques. Ceux-ci ont ainsi pu affermir leur pouvoir, étendre leur influence et profiter de l’économie urbaine.

«La ville en tant que nouvel espace de droit avait un puissant effet d’attraction.»Martina Stercken

En de nombreux endroits, cette évolution s’est concrétisée par la construction de fortifications ou de remparts: la ville se délimitait du reste du territoire et démontrait sa capacité à se défendre face à la noblesse de la campagne ou, comme en Italie, face aux villes voisines concurrentes. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de ces symboles d’une bourgeoisie libre et affirmée. Pour la plupart, ces constructions ont été démantelées au XIXe siècle. En Europe, les remparts les mieux conservés et les plus beaux se trouvent à Lucques: cet anneau de 4,2 km de long dispose d’une promenade continue et verdoyante. Il contribue fortement au secteur économique le plus important de la ville d’aujourd’hui: le tourisme.