La science veut élargir les horizons. Il était donc approprié que les programmes-cadres de recherche de l'UE, auparavant désignés de manière très technique, aient été baptisés Horizon 2020 en 2014. Ils expirent cette année, et leur successeur est prêt: Horizon Europe. Les nouveaux programmes-cadres courent de 2021 à 2027, avec un budget record de presque 100 milliards d’euros. La Confédération a pour sa part alloué, en 2020, plus de 560 millions de francs à Horizon 2020, soit presque 60% de ses investissements dans la recherche internationale. Berne entend débloquer 5,4 milliards de francs pour tout le paquet Horizon Europe.

Depuis que le Conseil fédéral a rompu les négociations avec l’UE sur l’accord-cadre institutionnel en mai 2021, il reste cependant à savoir si et sous quelle forme la Suisse participera à Horizon Europe. En juillet, la Commission européenne a en tous cas rétrogradé la Suisse au rang de pays tiers non associé pour le moment. Cela vaut également pour le programme de recherche sur l’énergie nucléaire Euratom. La coopération avec le projet international de fusion nucléaire ITER est également affectée. L’objectif de la Confédération reste néanmoins la pleine association de la Suisse. L'incertitude persistera probablement au moins jusqu'à l'automne (état au 11.08.2021).

1. La majorité des fonds va à Horizon 2020

Dépenses de la Confédération pour les programmes et infrastructures de la recherche internationale en 2020

La Confédération soutient d’autres grandes infrastructures de recherche internationales telles que l’Observatoire européen austral ESO au Chili, le Laboratoire européen de biologie moléculaire EMBL et le laser XFEL en Allemagne, l’ESRF et ILL en France ainsi que des cofinancements de projets Horizon 2020.

ESS, la source de neutrons la plus puissante du monde, est actuellement en construction en Suède et permettra des études inédites notamment en science des matériaux et en biochimie.

La Suisse collabore au projet pharaonique de prototype de réacteur de fusion nucléaire ITER. Celui-ci est également financé par Euratom, qui coordonne des recherches sur l’énergie nucléaire; la Suisse est un Etat associé depuis 2014.

Installé des deux côtés de la frontière franco-suisse, le CERN représente l’un des emblèmes de la collaboration scientifique internationale.

L’Agence spatiale européenne ESA constitue le deuxième poste budgétaire. La Suisse participe à plus de 60 projets tels que Cheops (découverte d’exoplanètes) ou Rosina (analyse de l’atmosphère de la comète Chury).

Le programme de l’UE Horizon 2020 a couru de 2014 à 2020 avec un budget de 77 milliards d’euros.

Sources: Compte d’Etat 2B 2020, Administration fédérale des finances, p. 255; Swiss Participation in European Research Framework (SEFRI, 2019), Tableau 11

2. Près d’un milliard pour la recherche internationale

Principales dépenses de la Confédération pour la recherche en 2020

Les autres hautes écoles sont administrées par les cantons, mais reçoivent plus d’1 milliard de la Confédération.

La Confédération investit également près d'un milliard de francs suisses dans la recherche internationale.

Le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), qui finance la recherche pour le compte de la Confédération, est doté de plus d'un milliard de francs suisses.

Le domaine des EPF, comprenant l’ETH Zurich, l’EPFL, l’Eawag, l’Empa, le PSI et le WSL, reçoit plus de 40% des dépenses pour la recherche.

Sources: Compte d’Etat 2B 2020, Administration fédérale des finances, p. 255; Swiss Participation in European Research Framework (SEFRI, 2019), Tableau 11

Les programmes-cadres européens pour la recherche ne sont pas seulement cofinancés par la Suisse, mais sont aussi essentiels pour soutenir la recherche du pays. Entre 2014 et 2018, près de 1,1 milliard de francs ont ainsi été versés par Horizon 2020 à des institutions suisses, dont environ la moitié pour la recherche fondamentale, notamment au travers de bourses du Conseil européen de la recherche (CER) ou du financement des initiatives phares des Technologies futures et émergentes, ou FET Flagships.

Martin Fischer, directeur de la communication au Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI), explique: «Les programmes-cadres pour la recherche et l’innovation constituent la deuxième source de financement public la plus importante pour la recherche en Suisse après le Fonds national suisse et la source de financement la plus importante pour la recherche menée dans l’économie privée, les PME et les grandes entreprises.»

3. La recherche fondamentale reçoit la moitié

Subsides d'Horizon 2020 alloués à des institutions suisses (2014–2018)

Societal Challenges: recherches thématiques (santé, alimentation, énergie, transport, climat, inclusion, sécurité…).

Industrial Leadership: soutien à la R&D et aux partenariats public-privé dans des domaines tels que les nano- et biotechnologies, les communications ou l’espace.

Excellent Science: recherches non thématiques de type bottom-up et mobilité (ERC, FET Flagships, bourses Marie Skłodowska-Curie, infrastructures). Le taux de succès des demandes CER d’institutions suisses (21%) est 1,7 fois plus élevé que la moyenne européenne. Sur l’ensemble du programme Horizon 2020, il est 1,2 fois plus grand.

Sources: Compte d’Etat 2B 2020, Administration fédérale des finances, p. 255; Swiss Participation in European Research Framework (SEFRI, 2019), Tableau 11

Grâce à Horizon 2020, la Suisse est fortement intégrée au réseau européen. Les possibilités d’atténuer les conséquences qui l’attendent font dès lors l’objet de discussions plus ou moins animées ou tempérées depuis mai dernier. En juin dernier, le SEFRI se voulait encore rassurant: une association prochaine de la Suisse au programme serait toujours possible.

Après le déclassement en pays tiers par la Commission européenne en juillet, le SEFRI a assuré que les scientifiques en Suisse pourront encore participer à Horizon Europe sous cette forme également et qu’ils pourront donc se porter candidats aux programmes et initiatives liés. Le SEFRI assurerait alors le financement, de même que celui des bourses ERC.

4. La Suisse au cœur d’Horizon 2020

Structures principales du réseau des collaborations européennes

Ce graphique ne représente qu'une fraction des connexions au sein d’Horizon 2020. L'épaisseur des lignes est définie par le nombre de projets communs entre deux pays.

Les 40 connexions les plus importantes du réseau
La Suisse est impliquée dans 5 des 40 connexions les plus importantes
Connexion importante pour qu’aucun pays ne se retrouve isolé
Pays UE15 (dans l’UE avant 2004)
Pays UE13 (après 2004)
14 pays associés à Horizon 2020
La Suisse joue un rôle central au sein d’Horizon 2020: ses institutions participent à un très grand nombre de projets internationaux et elle travaille principalement avec des pays qui sont eux-mêmes très bien connectés: l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne.

L’impression de déjà-vu ne trompe pas: en 2014, après l’acceptation de l’initiative sur l’immigration de masse, la Suisse avait été temporairement exclue d’Horizon 2020. La Confédération avait réagi à l'époque et mandaté le Fonds national suisse (FNS) pour organiser les mesures dites de remplacement CER temporaires. Celles-ci sont venues pallier l’absence d’instruments de subvention du CER dans les instituts de recherche suisses. Le FNS a alors distribué ses propres 27 Starting Grants et 21 Consolidator Grants pour un budget alloué d’environ 90 millions de francs. Selon le FNS, la participation et le succès étaient similaires à ceux des bourses CER.

Tout reste encore écrit dans les étoiles

Toutefois, Jean-Luc Barras, actuel responsable de la division Relations institutionnelles du FNS et impliqué à l'époque dans la mise en œuvre des mesures de remplacement, souligne que «le FNS a toujours été conscient qu’il ne s’agissait que d’une solution de secours temporaire, un niveau de compétition équivalent à celui du CER ne pouvant pas être atteint au niveau national». Une enquête en cours auprès des bénéficiaires va analyser l’effet des mesures temporaires.

«Si la Suisse devait ne pas être associée à Horizon Europe à moyen terme, des mesures plus adaptées devraient être prises, par exemple une adaptation des instruments du FNS.» Jean-Luc Barras

Si les mesures temporaires de 2014 ont permis d’éteindre le premier incendie, des aides similaires pourraient aussi s’avérer utiles aujourd’hui, toutefois à nouveau de façon passagère seulement, comme l’explique Jean-Luc Barras: «Si la Suisse ne devait pas être associée à Horizon Europe à moyen terme, des mesures plus adaptées devraient être prises, par exemple une adaptation des instruments du FNS.» Le SEFRI a annoncé en août dernier qu’il reprendrait, pour l’instant, le financement direct des bourses du CER évaluées avec succès en 2021. Cela vaut aussi pour le programme d’innovation EIC Accelerator. De plus, il travaille à des solutions pour les programmes Horizon Europe qui ne sont plus accessibles.

Comme en 2014, le CER a également décidé que ses Starting et Consolidator Grants ne pouvaient pas être transférés en Suisse. Dans ce cas, ses bénéficiaires perdraient le financement de leur recherche s’ils sont nommés dans une institution suisse – pour 2021, et probablement pour 2022. Le SEFRI assure actuellement le financement. Les contributions de transfert sont très importantes pour le rôle de la Suisse dans le paysage de la recherche, car elle importe et exporte des chercheurs comme presque aucun autre pays.

5. La science helvétique est extrêmement internationale

Migrations internationales des titulaires d’un doctorat

Analyse par Yingqiang Gao (ETH Zurich) pour Horizons à partir des données fournies par Charles Gomez (City University of New York) tirées de son article «Moving more, but closer: Mapping the growing regionalization of global scientific mobility using Orcid» doi: 10.1016/j.joi.2020.101044

Près de la moitié des personnes ayant obtenu un doctorat en Suisse ont ensuite été employées dans un autre pays. Cela inclut aussi celles qui n’étaient en Suisse que pour leur PhD. La Suisse importe une grande quantité de talents: deux tiers des scientifiques qui y travaillent ont obtenu leur PhD à l’étranger, contre seulement 27% aux Etats-Unis et 11% en Chine – les poids lourds de la recherche. Cette analyse a établi les affiliations des scientifiques à l’aide des données Orcid entre 1971 et 2018. Il s'agit donc d'un échantillon qui n'est ni complet, ni tout à fait à jour. Une figure correspond à huit personnes. Ces tendances sont cohérentes avec un sondage présenté dans Horizons en juin 2014.

En 2019, l’ex-conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann notait dans nos pages que son plus grand succès en politique scientifique était «sans aucun doute» la pleine association au programme-cadre de recherche de l’UE Horizon 2020. La réussite d’alors pourrait-elle être répétée aujourd’hui? François Schaller, journaliste et blogueur au quotidien Le Temps, observateur avisé de longue date des relations Suisse - UE, prédit: «Il est plus que probable que la Suisse obtiendra le statut de pays tiers associé avec un certain retard.» Comme pour Horizon 2020, ce statut a déjà été accordé à plus de 15 Etats situés à la périphérie de l’UE, dont la Grande-Bretagne et à Israël.

Mais, avertit-il, «ce ne sera pour aucun d’entre eux une association aussi intégrale qu’avant». Car la France, avec les Etats membres latins et de l’Est, a obtenu qu’il y ait de légères restrictions. En somme, seule une lueur toute fine apparaît à l’horizon. (Informations actuelles pour chercheurs dès début septembre: https://www.snf.ch/politique-europeenne)

Infographiques: Daniel Saraga, Bodara