Avoir une main sûre, anticiper et collaborer: la recette de Martina Hirayama pour renforcer la place scientifique suisse. | Image: Keystone/Peter Klaunzer

Vous avez quitté votre poste de professeure de chimie pour l’administration. La recherche était-elle ennuyeuse?

Je trouvais mes recherches passionnantes, mais j’ai toujours eu de multiples intérêts et un attrait pour la nouveauté. Il est très motivant de contribuer à définir les conditions encadrant la formation, la recherche et l’innovation. Même avant de rejoindre le SEFRI, je ne passais pas toutes mes journées au laboratoire: j’étais avant tout occupée par la gestion de l’Ecole d’ingénierie de la ZHAW (Haute école zurichoise des sciences appliquées, ndlr). Mon adieu à la science a été progressif.

«Il faut des objectifs stratégiques à tous les échelons du système.»

Transition énergétique, numérisation, bactéries résistantes: la politique impose un nombre croissant de thématiques de recherche. La science ne devrait-elle pas les choisir elle-même?

Evidemment, l’autonomie des chercheuses et des chercheurs dans le choix de leurs points forts est importante. En revanche, les hautes écoles peuvent – et doivent – déterminer les chaires qu’elles entendent créer. Le SEFRI essaie d’aborder les défis de manière très générale: quelles priorités veulent-elles fixer? Dans quels domaines souhaitent-elles collaborer, par exemple grâce à des contributions de la Conférence suisse des hautes écoles (l’organe fédéral de supervision, ndlr) allouées à des projets spécifiques? Il faut des objectifs stratégiques à tous les échelons du système.

Les hautes écoles n’apprécient guère les restrictions de la part du gouvernement.

Mais nous n’en imposons pas! Bien entendu, les hautes écoles doivent comprendre le sens de la collaboration pour que cela fonctionne. Nous demandons par exemple: quelle position adoptons-nous face à la montée en puissance de la Chine dans le domaine de la physique quantique? Nous devons veiller à ce que les hautes écoles aient suffisamment de temps à consacrer à ces réflexions pour éviter que celles-ci ne disparaissent dans le quotidien.

Vous venez du côté des sciences appliquées: hautes écoles spécialisées, start-up, Innosuisse. Voyez-vous la formation et la recherche fondamentale comme étant avant tout au service de l’innovation?

Certainement pas! Dans la recherche, il s’agit de poser des questions. Le principal résultat est le gain de connaissances. Certaines s’avèrent tout simplement moins exploitables. Mais lorsqu’elles peuvent déboucher sur des applications, il convient absolument de saisir cette chance.

Les hautes écoles spécialisées (HES) s’efforcent de se rapprocher du modèle universitaire. Elles souhaitent par exemple délivrer elles-mêmes des doctorats. Au risque de fragiliser leur profil orienté vers la pratique?

Dans leur prise de position de 2014, les hautes écoles spécialisées ont clairement dit vouloir délivrer les doctorats en coopération avec les hautes écoles universitaires. Pour la Confédération, c’est aussi clair: les hautes écoles spécialisées font partie de la voie de la formation professionnelle, sont orientées vers la pratique et leur diplôme standard est le bachelor. Nous encourageons cependant de manière ciblée la coopération entre les deux types de hautes écoles.

Les HES voudraient également toucher une plus grande part des ressources allouées à la recherche fondamentale, notamment à travers le Fonds national suisse.

L’encouragement de la recherche fondamentale du FNS s’adresse surtout aux universités. Mais il a aussi des programmes orientés vers les applications tels que Bridge, mené en commun avec Innosuisse, qui se concentre sur la recherche appliquée. Ces deux institutions d’encouragement sont complémentaires et jouent un rôle déterminant dans le développement de nos hautes écoles.

«Maintenir notre position internationale représentera un véritable défi parce que le monde change très vite.»

Innosuisse a récemment essuyé des critiques: la restructuration de l’ancienne Commission pour la technologie et l’innovation (CTI) aurait entraîné une hausse massive des coûts administratifs, sapé des réseaux utiles et alourdi la prise de décisions. Est-ce exact?

Toute nouvelle organisation a au début des défauts de jeunesse. Ceux d’Innosuisse sont connus et gérés.

Israël et la Corée du Sud investissent nettement davantage que la Suisse dans la recherche et le développement par rapport au produit intérieur brut. Ne faudrait-il pas les imiter?

Avec sa troisième place au niveau mondial, la Suisse est déjà très bien positionnée. Les finances ne sont qu’un aspect. Il faut des conditions-cadres adéquates pour que les entreprises poursuivent en Suisse leurs investissements importants dans la recherche et le développement: une pondération intelligente de la charge fiscale, un faible niveau de réglementation, la paix du travail et de bonnes infrastructures.

Les perspectives sur l’accord-cadre avec l’UE ne sont pas roses à l’heure actuelle (juillet 2019, ndlr). Les scientifiques en Suisse devront-ils de nouveau en payer le prix, comme après l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse en 2014?

Il s’agit de clarifier les choses: il n’y a pas de lien juridique entre l’accord-cadre institutionnel et l’accord sur la recherche. C’était différent avec l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse, qui a touché les accords bilatéraux. La situation est donc maintenant tout autre. On ne peut toutefois pas exclure que l’UE relie sur le plan politique les deux accords. Pour l’instant, beaucoup de choses restent ouvertes. Dans tous les cas, nos partenaires européens nous estiment.

La réputation internationale des hautes écoles helvétiques attire toujours davantage de doctorants étrangers. Un quota serait-il nécessaire pour encourager la relève locale et maintenir une perspective nationale?

L’intérêt considérable de l’étranger constitue un bon signe. Ce n’est pas à la Confédération d’émettre des prescriptions sur les étudiants. Chaque haute école doit pouvoir déterminer son propre mix.

Faut-il mieux encourager la relève suisse?

Ce qui importe est que nous disposions d’un bon système de formation dual qui permette à chacun de choisir librement. Nous avons des filières de formation perméables, l’une des grandes forces de la Suisse. Chaque étudiant doit se demander s’il est suffisamment motivé pour faire un doctorat. Il y a de bons jobs dans l’économie.

Vos prédécesseurs sont restés une dizaine d’années en fonction. Que souhaitez-vous atteindre d’ici à 2029 pour être satisfaite de votre bilan?

Mon espoir est que nous soyons toujours en mesure de saisir les chances qui se présentent pour le pôle de recherche et d’innovation suisse et de façonner les évolutions globales. Fixer les bonnes priorités demande de l’anticipation, une main sûre et une étroite collaboration avec les cantons, les hautes écoles, les organismes d’encouragement et le monde du travail. Maintenir notre position internationale représentera un véritable défi parce que le monde change très vite. La concurrence est énorme. Si nous sommes aussi bien placés dans dix ans qu’aujourd’hui, nous pourrons être plus que satisfaits. Mais pour cela, il s’agira de retrousser nos manches.

Une chimiste au gouvernement
Martina Hirayama a étudié la chimie à l’Université de Fribourg, à l’ETH Zurich et à l’Imperial College London. L’échec d’une expérience durant son doctorat sur des polymères adhésifs l’a conduite à découvrir une nouvelle méthode de revêtement des surfaces et à cofonder une start-up. Elle a mené des recherches et enseigné à l’ETH Zurich ainsi qu’à la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW); elle y a dirigé l’Ecole d’ingénierie et a été membre de la direction. Elle a été présidente du Conseil de l’Institut fédéral de métrologie (METAS) et vice-présidente de celui d’Innosuisse. Depuis janvier 2019, elle est secrétaire d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation. Binationale germano-suisse, elle est mariée et mère de deux enfants. Elle vit en Thurgovie avec son époux d’origine japonaise.