Faire des selfies à partir du plateau panoramique naturel du Creux du Van. | Photo: Simon Roberts

Lorsque je dois me frayer un chemin à travers la foule à la tour de l’Horloge à Berne, je pense parfois en mon for intérieur – et j’en ai honte: «Tourists, go home!» Et cela, en sachant que, contrairement à moi, les gens de Barcelone ou de Venise ont, eux, des raisons vraiment compréhensibles d’utiliser ce slogan. C’est une malédiction, car nous, voyageurs et voyageuses, détruisons précisément ce que nous voulons expérimenter: l’authenticité de la culture locale et le caractère intact de la nature. Notre dossier illustre ce dilemme que l’écrivain anglais John Ruskin déplorait déjà en 1850. Les nombreux touristes défigurent les Alpes. Et cette destruction se poursuit aujourd’hui: les personnes qui se rendent dans les stations de ski contribuent elles-mêmes au manque toujours croissant de neige à cause du réchauffement climatique.

«Si j’avais plus souvent suivi les itinéraires mise en place pour les masses, j’aurais permis aux autochtones d’avoir plus de contrôle.»

En tant qu’étudiant, je me sentais un être d’exception lorsque, en 2000, j’avais encore pu visiter un village de la forêt vierge mexicaine avant qu’une vague de touristes ordinaires n’y déferle grâce à une nouvelle route. Aujourd’hui, je réalise que j’étais précisément un de ces touristes encombrants qui, avec leur volonté de vivre une expérience extraordinaire, contribuent à ouvrir ces sentiers battus que je cherchais à éviter à tout prix. Et je comprends que j’aurais permis aux autochtones d’avoir plus de contrôle sur ce qu’ils étaient prêts à livrer d’eux-mêmes en suivant plus souvent les itinéraires mis en place pour les masses.

Visiter une destination en vidéo 3D grâce au casque de réalité virtuelle, comme le propose un projet de notre dossier, n’est pas non plus une véritable alternative au voyage. Peut-être devrais-je plutôt chercher d’autres façons de découvrir. Comme Sindhu Gnanasambandan, du podcast Radiolab, qui s’est livrée à une expérience destinée à prolonger la durée du vécu subjectif en s’exposant constamment à de nouvelles impressions. Pendant une semaine, elle a dormi chaque nuit dans un endroit différent afin d’entreprendre chaque jour autre chose avec d’autres personnes. Ce fut une période longue et intense pour la journaliste. Et à la fin, elle était totalement épuisée, son couple a volé en éclats. Malgré tout, son exemple le montre: on peut également vivre des expériences qui élargissent l’horizon de façon durable.