Près de la mine de Xikuangshan en Chine, la géologue Jaime Caplette collecte des composés gazeux d’antimoine dans une rizière. | Image: Adrien Mestrot

«Nous avons travaillé dans des petits villages reculés pour analyser les concentrations d’antimoine dans les rizières. Notre présence intriguait beaucoup leurs habitants, et chaque jour quelques-uns venaient nous rendre visite. Ils posaient des questions sur nos recherches et nous parlaient de la région. Heureusement que nous avions dans notre équipe trois étudiants de l’Académie chinoise des sciences qui pouvaient nous aider avec les traductions! Ces échanges spontanés nous ont fourni des informations qui nous auraient échappé autrement, comme le fait que des poissons mouraient dans certaines étendues d’eau ou que des précipités se formaient dans d’autres. Malgré quelques craintes avant notre venue, les autorités chinoises ne nous ont posé aucun problème.

J’ai prélevé des échantillons de sol, d’eau et de gaz dans des rizières à proximité de la zone minière de Xikuangshan, le plus grand gisement d’antimoine du monde situé dans la province du Hunan. Là où je me trouvais, la concentration d’antimoine dans le sol peut atteindre 2500 parties par million (ppm), soit environ mille fois plus qu’un taux normal. L’objectif de mes travaux était de mieux comprendre les différents processus qui influencent le cycle de cet élément chimique toxique et potentiellement cancérigène. L’Union européenne et les Etats-Unis le considèrent comme un polluant prioritaire, mais il reste relativement peu étudié jusqu’à présent.

Une Canadienne en Suisse

Image: Lorenz Gfeller

Jaime Caplette a étudié la géologie à l’Université Laurentienne de Sudbury au Canada. Après son master consacré à l’antimoine et au plomb dans le sol de zones minières, la Canadienne a rejoint l’Institut de géographie de l’Université de Berne en mars 2017. Elle y poursuit un doctorat au sein du groupe spéciation des éléments traces.

Je me concentre sur les formes volatiles de l’antimoine, notamment biométhylées. Nous voulons comprendre comment se créent ces composés, car certains sont plus toxiques que d’autres. Nous étudions notamment comment cette spéciation influence la mobilité de l’antimoine dans l’environnement et s’il se retrouve dans le riz. Nous avons sélectionné trois sites, des rizières ayant des concentrations d’antimoine respectivement basse, moyenne et élevée.

La météo constituait le plus gros défi. Nous travaillions en plein soleil, par 30 à 35 degrés. En outre, comme il s’agit d’une zone de montagne, des orages éclataient régulièrement. Je devais constamment m’assurer que les pompes utilisées pour la récolte des échantillons gazeux restaient aussi étanches que possible – je les abritais sous des parapluies.

Le poison dans les munitions

Nous avons analysé certains paramètres sur place, mais la majeure partie des analyses aura lieu à Berne. D’ailleurs, c’est en Suisse que le deuxième volet de mon doctorat se déroulera. L’antimoine est utilisé pour durcir le plomb des munitions, et si une balle explose et reste dans la nature, il risque de se retrouver dans l’eau. Vu que le pays ne compte pas moins de 4000 stands de tir, anciens ou actuels, ce sont autant de sites contaminés potentiels.

Nous voulons nous concentrer sur cinq stands de tir pour étudier l’influence de différents paramètres, comme des inondations ou l’usage de fumier, sur la libération d’antimoine dans l’environnement. Une fois que nous disposerons d’une meilleure connaissance de cet élément, nous serons mieux à même de proposer des solutions aux pollutions qu’il occasionne.»

Des échanges spontanés avec la population locale ont mis les scientifiques sur la piste de lieux pollués.| Image: Adrien Mestrot

Propos recueillis par Martine Brocard