Que les enfants vivent la moitié du temps chez leur père est plus fréquent dans la classe moyenne supérieure. | Photo: Madelon Verdoorn

Deux week-ends par mois et une partie des vacances scolaires chez le père, le quotidien et tout le reste chez la mère: ce modèle de garde des enfants après une séparation semble désormais progressivement disparaître. Depuis quelques années, la garde alternée gagne en importance. La Confédération a révisé les dispositions du Code civil relatives à la responsabilité parentale conjointe: il est explicitement prévu depuis 2017 qu’un parent ou un enfant puisse demander au tribunal ou à l’autorité compétente d’examiner la possibilité d’une garde alternée. Une initiative parlementaire souhaite encourager davantage cette pratique, car ces arrangements familiaux plus égalitaires ne se développent que lentement. Les solutions véritablement 50-50, dans lesquelles les enfants vivent la moitié du temps avec leur père et l’autre moitié avec leur mère, sont encore très peu adoptées.

Il est cependant difficile d’obtenir des chiffres précis sur la diffusion de la garde partagée en Suisse. Pour commencer, il n'existe aucune définition reconnue de manière générale et juridiquement contraignante de ce concept. Son interprétation courante en Suisse est que les enfants passent au moins un tiers du temps chez chaque parent. De plus, les statistiques ne disent pas grand-chose sur les arrangements réels dans la pratique. «Il existe un écart considérable entre les accords conclus par les parents ou les décisions rendues par les tribunaux et la réalité vécue», note Heidi Stutz du bureau d’études BASS à Berne, spécialisé dans les politiques du travail et sociales.

«Même si l’opinion publique les perçoit souvent comme très fréquents, les cas litigieux concernant le droit de garde sont rares devant les tribunaux.»Heidi Stutz

Dans une étude qu’elle a codirigée, 40% des parents interrogés déclaraient avoir mis en place une garde alternée. «Mais c’est seulement dans un peu plus d’un tiers de ces cas que les enfants passent au moins un tiers de leur temps avec chaque parent», précise la chercheuse. La plupart des autres vivent principalement chez leur mère.

Il serait erroné de réduire cette divergence à un manque de volonté des parents ou à des conflits, selon Heidi Stutz: «Même si l'opinion publique les perçoit souvent comme très fréquents, les cas litigieux concernant le droit de garde sont rares devant les tribunaux.» En général, les parents s’accordent sur la question. «Cela aussi parce que leurs conditions de vie et la répartition des tâches avant la séparation ne laissent généralement pas beaucoup de choix quant à la solution à adopter.»

Le plus grand obstacle à une prise en charge égalitaire est la difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle», selon Heidi Stutz. La garde partagée est une solution coûteuse et exigeante: chacun des deux parents doit non seulement gagner suffisamment d’argent pour assumer un logement adapté aux besoins quotidiens des enfants, mais également pouvoir s’acquitter des tâches de garde de manière flexible.

Un modèle plus établi en Suisse romande

C’est pourquoi la garde partagée est aujourd’hui plus fréquente dans les familles de la classe moyenne supérieure. La répartition classique des rôles y est assouplie: les mères avec un niveau de formation élevé travaillent en moyenne à des taux d’occupation plus grands que les femmes issues de milieux socioéconomiques défavorisés, et sont mieux rémunérées. Et les pères de ce segment de la population exercent plus souvent des professions qui leur permettent d’aménager assez facilement leur temps de travail ou de réduire leur taux d’occupation.

Dans une autre étude sur le sujet, Heidi Stutz a relevé que le modèle de garde partagée semble être un peu plus répandu côté romand qu’en Suisse alémanique: «Les mères en Suisse romande continuent à travailler à des taux plus élevés et les structures d’accueil d’enfants y sont mieux développées et meilleur marché.» L’influence culturelle du pays voisin joue sans doute un rôle: en France, la société accepte nettement mieux le travail à temps plein des mères qu’en Suisse.

«En Suisse, la famille est aujourd’hui encore perçue comme le domaine de responsabilité privilégié des femmes et la carrière professionnelle comme celui des hommes.»Michelle Cottier

«En Suisse, les conditions sociales et politiques pour une introduction à grande échelle de la garde partagée ne sont actuellement pas réunies», précise Michelle Cottier, professeure de droit à l’Université de Genève. Cela tient non seulement aux inégalités entre les sexes en matière d’opportunités et de salaires sur le marché du travail et à une offre de garde d’enfants peu déployée, mais également aux normes sociales. «En Suisse, la famille est aujourd’hui encore perçue comme le domaine de responsabilité privilégié des femmes et la carrière professionnelle comme celui des hommes», lit-on dans un rapport de 2017 sur ce thème qu’elle a corédigé. L’intégration des mères sur le marché du travail et l’engagement paternel dans le domaine familial restent ainsi au second plan. «Le souhait d’une prise en charge plus égalitaire échoue parfois simplement parce que le père n’obtient pas l’accord de son employeur pour rester auprès de son enfant en cas de maladie», ajoute Heidi Stutz.

Michelle Cottier critique la contradiction d’une politique familiale qui n’offre aux parents vivant sous le même toit pratiquement aucune incitation à partager équitablement les tâches, mais qui – après une séparation – veut promouvoir un partage 50-50 de la garde et des responsabilités financières. Il serait illusoire de penser que l’on peut obliger des parents séparés ou divorcés à vivre selon un modèle familial égalitaire par le biais de décisions judiciaires ou administratives. En effet, «même les couples qui vivent ensemble et souhaitent une telle organisation y parviennent rarement».

Peu de demandes de pères

Heidi Stutz et son équipe ont évalué la pratique judiciaire de plusieurs cantons afin d’examiner un soupçon récurrent: qu’un engagement plus important des pères serait entravé par les tribunaux ou par une conception traditionnelle des rôles parentaux. Leur étude n’observe pas une telle tendance. Ce constat est appuyé par le fait que, durant la période étudiée (2021- 2022), un très faible nombre de pères ont déposé seuls une demande de garde partagée. «Ce n’est donc pas comme si les tribunaux étaient submergés de demandes depuis la révision de la loi.»

Michelle Cottier voit même plutôt le risque que l’idéal de la garde partagée soit interprété de manière trop dogmatique par les tribunaux. Une étude menée à la Haute école spécialisée de Lucerne a ainsi présenté à des magistrats des scénarios fictifs de violence psychologique et physique dans le couple, rapporte-t-elle. Certains d'entre eux ont dit qu’ils ordonneraient également une garde partagée également dans une telle situation. «Or, c'est précisément ce type de prise en charge qui exige des parents qu'ils soient disposés et capables de gérer les conflits de manière appropriée», souligne la chercheuse en droit. En revanche, lorsqu’un parent exerce des violences à l’encontre de l’autre, la garde partagée aggrave la situation. «Il subsiste toujours un manque de sensibilisation et de formation à ce sujet.»

Centrale: la participation au quotidien

«Les innovations en matière de droit de la famille viennent souvent avec l’espoir d’avoir enfin trouvé la solution à tous les problèmes», poursuit Michelle Cottier. On pourrait déduire des expériences positives faites dans de nombreux cas que la garde partagée est la meilleure solution pour tous les enfants après une séparation, mais une telle généralisation n’est pas confirmée par un examen de la littérature scientifique provenant d’autres pays, estime la professeure.

Les deux spécialistes déconseillent de considérer la garde alternée comme un idéal unique ou un modèle normatif. Pour Heidi Stutz, il s’agit plutôt de trouver parmi le large éventail de modes de garde la solution individuelle qui correspond le mieux aux besoins variés et changeants d’une famille tout en tenant compte de la volonté des enfants: «Le modèle de garde privilégié par les parents n’est pas forcément celui qui convient le mieux à l’enfant.» Dans ses recherches, elle constate toutefois que les deux parents restent en général des figures centrales pour leurs enfants après une séparation. Pour elle, ce ne sont pas les parts exactes de garde qui influent le plus sur le bien-être de l'enfant, «mais le fait que les deux parents participent activement à sa vie».