Sur le chemin du retour en tram, vite organiser ses prochaines vacances de rêve: le commerce en ligne a connu un boom pendant la pandémie. Ainsi, en 2022, près de 14 milliards de francs suisses ont été dépensés via Internet. | Photo: Tom Huber

L’argent ne se mange pas. Cette affirmation lapidaire renferme une quantité de science étonnante. En effet, les moyens de paiement sont l’exemple parfait d’une construction sociale. La valeur de l’argent existe certes exclusivement dans nos esprits et, pourtant, rien n’est plus réel dans notre quotidien. Que ce soit sous forme de pièces métalliques gravées, de morceaux de papier décorés, de chiffres datés sur un écran ou de cristaux de carbone taillés et polis: celui ou celle qui en possède peut s’en servir pour l’achat de nombreux objets de valeur. Si, par contre, une civilisation extraterrestre nous rendait visite, elle ne serait pas impressionnée par une valise remplie de billets de 1000 francs.

«Il existe toujours des alternatives, que ce soient des cryptomonnaies ou des coquillages, sur lesquelles nous construisons notre image de nous-mêmes.»

On peut en tirer au moins deux enseignements. D’abord, que l’invention des moyens de paiement peut être façonnée. Ainsi, tout le ­système financier – qu’il s’agisse du taux d’inflation visé par la Banque nationale, du couplage ou non des taux de change internationaux à un standard ou de la définition de cours ­destinés à motiver les économies ou les investissements – relève de pures décisions humaines. Ensuite, que la valeur des moyens de paiement est ancrée si profondément en nous, que nous considérons l’argent lui-même comme une chose réelle, au même titre qu’un arbre ou une maison. Dès l’enfance, nous apprenons à acheter et à vendre, à épargner et à investir. Les convictions qui en découlent sont difficiles à changer.

Il est toutefois encore plus difficile de prévoir les mécanismes complexes du marché. ­Aucun individu, aucune nation ne peut agir indépendamment des autres. La Suisse l’a clairement ressenti lors de la débâcle de Credit Suisse. C’est à ce champ de tensions entre marge de manœuvre et vulnérabilité que le dossier de la présente édition est consacré. D’une part, les Suissesses et les Suisses sont nés dans un pays bancaire et où revenus et ­fortunes sont répartis de manière inégale, ce qui influence les rapports de pouvoir au sein des familles et en politique. D’autre part, il existe toujours des alternatives, que ce soient des cryptomonnaies ou des coquillages, sur lesquelles nous construisons notre image de nous-mêmes, voire décidons d’orienter notre start-up sur des investissements durables plutôt que sur un profit maximal.