Jogging du cerveau
Jouer doit fatiguer

Sudoku, mots croisés, memory, puzzles: les nombreuses petites applications doivent non seulement divertir, mais aussi améliorer notre capacité de réflexion en général. C’est du moins ce que promet la publicité. Mais en réalité, il n’en est hélas rien. Ces mini-jeux n’entraînent toujours qu’une compétence très spécifique qui ne peut être transposée à d’autres tâches. «Ce n’est pas en entraînant son gros orteil qu’on se muscle les bras», illustre Daphné Bavelier, professeure de neurosciences à l’Université de Genève.

Le problème: les techniques mentales que l’on apprend lors de ces petits jeux deviennent des automatismes avec le temps et ne demandent que peu d’efforts aux régions du cerveau chargées de résoudre des problèmes complexes. «Pour un transfert réussi, il faut une activité qui représente un défi pour le cortex préfrontal – et surtout qui reste stimulante», explique la spécialiste.

«Qui entraîne le gros orteil n’en obtient pas non plus des muscles dans le bras.»Daphné Bavelier

C’est le cas de certains jeux vidéo, comme «Call of Duty», un jeu de tir à la première personne. Ils aident à plonger le cerveau dans l’état souhaité. Ils exigent un passage fluide entre différents états de l’attention: dispersée quand le joueur se déplace dans l’univers imaginaire, concentrée quand il tient ses ennemis en joue. Cela entraîne le contrôle de l’attention, une condition idéale pour apprendre rapidement. L’effet peut se maintenir pendant des mois, surtout si les séances de jeu booster sont régulières. C’est une bonne nouvelle pour les joueuses et les joueurs passionnés même si, selon Daphné Bavelier, de brèves séances d’exercice réparties sur plusieurs semaines fonctionnent mieux. Il ne faut donc pas se lancer dans des marathons de jeux. Pour tirer malgré tout le meilleur parti des mini-jeux, la scientifique a un conseil: «Choisir des jeux dans lesquels on est vraiment mauvais et que l’on trouve éprouvants.» Cette sollicitation du cerveau pourrait avoir un effet positif sur les capacités cognitives en général. Quant à savoir si le jeu reste motivant dans ces conditions, c’est une autre question.

Entraînement à la pleine conscience
La focalisation fait la différence

«L’entraînement à la pleine conscience est une forme de méditation», explique la psychologue Patricia Cernadas Curotto de l’Université de Genève. «On apprend à se concentrer sur le moment présent, sans évaluer ses perceptions.» La clé de la réussite est de se focaliser sur sa respiration ou sur ses impressions sensorielles. La spécialiste sait, par expérience, qu’une fois cette technique acquise, elle peut être utilisée à tout moment dans la vie quotidienne.

La pleine conscience semble bonne à tout faire: bien-être général, résistance au stress, amélioration de la mémoire de travail ou capacité à résoudre des problèmes complexes. Toujours plus d’études confirment qu’il ne s’agit pas simplement de promesses creuses des prestataires de cours. Il s’avère aussi que les exercices renforcent les connexions dans certaines zones du cerveau.

«l ne s’agit pas de se reposer, mais de se concentrer activement.»Nathalie Mella

La détente n’y est pas non plus au premier plan. «Il ne s’agit pas de se reposer, mais de se concentrer activement», explique Nathalie Mella, également psychologue à l’Université de Genève. Elle étudie actuellement si l’entraînement à la pleine conscience apporte quelque chose aux enfants à l’école.

Neurofeedback
Pour l’heure utile qu’en thérapie

Etes-vous capable d’activer votre cortex visuel à volonté? Ou d’envoyer davantage d’oxygène dans les zones du cerveau responsables de la mémoire? Ce qui peut sembler impossible ne l’est pas. La plupart d’entre nous peuvent l’apprendre en quelques heures à l’aide du neurofeedback. Pendant l’entraînement, les ondes cérébrales ou l’irrigation sanguine sont mesurées par électroencéphalographie ou imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Le sujet connaît donc en temps réel le degré d’activité de la région du cerveau choisie, par exemple sous forme de barre verte dont la taille augmente sur un écran.

Bien qu’essentiellement étudiée dans le cadre de la thérapie de maladies telles que la dépression, cette méthode fonctionne aussi pour améliorer sa mémoire de travail ou sa perception visuelle, entre autres. Pourtant, «il faut laisser le clocher au milieu du village, les données sont encore assez minces», indique Frank Scharnowski. Ce chercheur en sciences cognitives à l’Université de Vienne participe à plusieurs projets de recherche suisses dans ce domaine. Il n’est pas certain, par exemple, que les capacités acquises soient conservées sans entraînement permanent et il ne sait pas pendant combien de temps. De plus, la technologie est compliquée et donc peu pertinente hors du contexte médical.

«Il faut laisser le clocher au milieu du village, les données sont encore assez minces.»Frank Scharnowski

Pourtant, des entreprises technologiques ont déjà pris le train en marche et proposent de mesurer, de façon simplifiée, les ondes cérébrales ou l’irrigation du cerveau par des dispositifs pour la tête. Le feed-back est donné via une application. Un fabricant prédit même une «révolution de la santé cérébrale» grâce à son produit. Frank Scharnowski n’en exclut pas globalement des effets positifs. «Mais si, en laboratoire, des méthodes pointues ne nous permettent pas encore de dire avec certitude qu’il existe des effets durables, pourquoi un appareil commercial pourrait-il y parvenir? Personnellement, je suis confiant dans le fait que cette technologie finira par percer. Mais pour l’instant, je ne dépenserais pas mon argent pour cela.»

Doping cérébral
Des pilules plus inoffensives que leur réputation

Aujourd’hui, la chirurgie esthétique est un procédé courant pour améliorer son apparence. Pourquoi donc ne pas doper aussi son cerveau avec des pilules sur ordonnance? Pour beaucoup, l’idée est discutable du point de vue éthique. Car cela risque de mettre sur la touche les personnes qui y renoncent en toute honnêteté. Ce sont surtout les jeunes adultes qui puisent dans la panoplie des substances pharmacologiques pour améliorer leurs performances à l’école, à l’université ou au travail. Un sondage réalisé en 2013 a montré qu’en Suisse environ 4% des étudiantes et étudiants avaient pris au moins une fois du méthylphénidate, une substance similaire aux amphétamines que l’on trouve dans la ritaline, prescrite en cas de trouble du déficit de l’attention (TDAH). Le modafinil, développé pour traiter la narcolepsie, a aussi la cote. Ces deux psychostimulants influencent avant tout l’équilibre des neurotransmetteurs dopamine et noradrénaline dans le cerveau et ont un effet stimulant.

«Celui qui a assez dormi ne peut guère améliorer ses performances à l’aide d’un stimulant.»Matthias Liechti

Reste à savoir s’il vaut la peine de doper son cerveau. «L’efficacité de ces substances est comparable à celle d’un expresso», tempère Matthias Liechti, médecin-chef adjoint de pharmacologie clinique à l’Hôpital universitaire de Bâle. «Celui qui a assez dormi ne peut guère améliorer ses performances à l’aide d’un stimulant.» L’avantage concurrentiel serait minime. C’est aussi l’avis d’Annette Brühl, médecin-cheffe du Centre pour les troubles affectifs dus au stress et au manque de sommeil à la clinique psychiatrique universitaire de Bâle: «Des études montrent que ces produits n’aident qu’à compenser les déficits dus au manque de sommeil, par exemple si on veut étudier toute la nuit. Un effet positif sur d’autres fonctions cognitives, comme la mémoire, n’a pas été démontré.»

Selon Matthias Liechti, caféine, méthylphénidate et modafinil sont tous des stimulants bien tolérés et sûrs. «La caféine est simplement mieux acceptée par la société et nous savons d’expérience comment l’aborder.» Les autres substances sont des médicaments délivrés sur ordonnance, ou vendus sous le manteau. Des voix s’élèvent toutefois régulièrement pour en demander la libéralisation.

La ritaline comme le modafinil n’ont quasiment pas d’effets secondaires, ce qui plaide en leur faveur. «Les données des adultes qui prennent de la ritaline depuis des décennies en raison d’un TDAH sont bonnes. Nous n’avons pas constaté d’effets secondaires à ce jour, à part une augmentation possible de la tension artérielle», note Annette Brühl. Le méthylphénidate a toutefois un certain potentiel de dépendance. «Si les comprimés sont sniffés, ils agissent comme la cocaïne», indique Matthias Liechti. Il faut également bien réfléchir aux conséquences d’une autorisation d’un point de vue éthique, selon Annette Brühl. Non pas parce que certaines personnes en tireraient un avantage déloyal – ce qui serait peu probable. Mais par exemple en raison d’un éventuel assouplissement de la protection du travail: les entreprises de transport pourraient alors pousser leurs chauffeurs à prendre des pilules en cas de fatigue au lieu de faire des pauses.

Stimulation cérébrale
Promesses sous tension

Une batterie de 9 volts, des fils, quelques composants électroniques et deux éponges imbibées d’eau salée: c’est suffisant pour ponter son cerveau. Les éponges fixées à la tête du sujet permettent de faire passer un faible courant électrique à travers le cerveau. Selon les personnes qui ont testé la méthode, 2 milliampères, soit moins que ce qu’il faut pour allumer une petite lampe LED pendant trente minutes par jour, suffisent à rendre plus intelligent, plus performant et plus heureux. Le gadget se vend aussi pour quelques centaines de dollars. La neuropsychologue Anna-Katharine Brem mène des recherches dans ce domaine à l’Université de Berne et au King’s College à Londres. Elle déconseille la stimulation cérébrale «maison». Non pas parce qu’elle ne fonctionne pas, mais parce qu’elle n’est pas encore aboutie.

La science a démontré qu’une stimulation électrique avait un effet sur le cerveau. Même si on ignore encore tous les facteurs impliqués, le mécanisme de base est connu: le courant circule dans les cellules nerveuses et les stimule légèrement, les rendant plus réactives. «On peut imaginer que cela développe progressivement les liaisons nerveuses qui, de sentier, deviennent peu à peu autoroute», dit-elle.

«Quand on en stimule une région du cerveau, on influence en même temps tout le réseau de nerfs lié à celle-ci.»Anna-Katharine Brem

De nombreuses études font état des effets positifs de la stimulation transcrânienne à courant continu sur la mémoire de travail, la concentration ou d’autres fonctions cognitives. En laboratoire, les scientifiques utilisent aussi, outre le courant, de brèves impulsions de champs magnétiques produisant aussi un courant électrique dans le cerveau. La tomographie à résonance magnétique leur permet de vérifier qu’ils touchent bien la région visée.

L’effet des appareils à usage domestique reste à démontrer. Les succès rapportés sont anecdotiques et un effet placebo n’est pas exclu. Anna-Katharine Brem met en garde contre les effets indésirables d’une stimulation, en laboratoire aussi, d’ailleurs: «Il ne faut pas oublier que le cerveau n’est pas constitué de pièces individuelles, isolées. Quand on en stimule une région, on influence en même temps tout le réseau de nerfs lié à celle-ci.» Sans sous-estimer le risque que présentent les appareils bricolés: si les électrodes sèchent, elles peuvent provoquer de douloureuses brûlures du cuir chevelu.

Implants
Tous et toutes cyborgs

Il y a quelques années, la truie Gertrude est devenue célèbre après qu’un robot chirurgical a placé plus d’un millier d’électrodes ultra-fines dans son cerveau. En présentant en direct l’animal en pleine forme, Elon Musk voulait prouver à quel point l’implantation des puces électroniques de son entreprise Neuralink était simple. Les essais sur l’humain sont prévus cette année.

Les électrodes peuvent lire des informations sur l’activité du cerveau et stimuler les cellules nerveuses. L’idée est de lier l’être humain à son ordinateur et à son smartphone, sans fil et durablement, pour lui permettre de commander ces appareils par la pensée. Dans une nouvelle présentation de Neuralink, un chimpanzé porteur d’implants cérébraux fait bouger le curseur d’un ordinateur et joue au jeu vidéo très simple «Pong» sans toucher l’appareil.

«Quand on ne perçoit pas l’impulsion reçue de l’extérieur, c’est la porte ouverte à la manipulation inconsciente du cerveau.»Tobias Ruff

Pour certains, il s’agit là d’une étape de plus vers un nouveau monde prometteur: Elon Musk considère que nous sommes de toute manière déjà toutes et tous des cyborgs du fait de notre dépendance au smartphone. Une puce dans le cerveau rendrait simplement cette relation plus profonde. D’autres y voient une application de masse précipitée, liée à des risques considérables. Le neurobiologiste Tobias Ruff de l’ETH Zurich doute fortement des systèmes où l’implant décide, de manière autonome, comment il stimule le cerveau: «Quand on ne perçoit pas l’impulsion reçue de l’extérieur, c’est la porte ouverte à la manipulation inconsciente du cerveau.»

Tobias Ruff n’est cependant pas inquiet pour l’avenir proche. «Même si c’est joliment présenté, ce n’est pas nouveau, tant d’un point de vue technique que scientifique.» Selon lui, le placement exact des électrodes n’apporte pas grand-chose puisqu’une stimulation va activer, malgré tout, des milliers de cellules nerveuses tout autour, sans distinction. «En outre, nous ne savons pas encore précisément comment le cerveau code les informations et où il les enregistre.» Une fusion complète de l’être humain et de la technique reste ainsi pour l’instant du domaine de la fantaisie. Le scientifique considère cependant que les projets travaillant à la périphérie du cerveau, sur les organes sensoriels, sont tout à fait possibles. Dans ces cas, les stimulations peuvent aussi être perçues consciemment. Grâce aux implants cochléaires dans l’oreille, les personnes sourdes peuvent désormais percevoir des sons.

Le Britannique daltonien Neil Harbisson transmet, à l’aide d’une antenne implantée dans son crâne, les informations visuelles par vibrations à son cerveau. Il peut ainsi sentir les couleurs, aussi dans les plages infrarouges et ultraviolettes, invisibles pour nous. Ce cyborg auto-déclaré veut désormais encourager, au travers d’une fondation, la création de nouveaux sens, telle la perception de champs magnétiques ou de la rotation terrestre.

Illustrations : Peter Bräm