Image: FNS, DFG, AER

Depuis que le nouveau coronavirus se répand, les magazines spécialisés et les serveurs de prépublication croulent sous une avalanche de textes. Malgré une hausse des subventions, la qualité risque d’en pâtir. La recherche intensive menée sur le SARS-CoV-2 a accru les besoins en matière d’expertise, tant pour les études que pour les demandes de soutien. «J’ai reçu un nombre incroyable de demandes», note la virologue Isabella Eckerle de l’Université de Genève. Faute de temps, elle en refuse la plupart. Bien des éditeurs ont actuellement de la peine à faire évaluer les articles reçus, ce qui prolonge le processus de révision. Sous l’effet de l’extrême pression, il arrive que des études de moindre qualité paraissent aussi dans les magazines spécialisés.

«Je connais les gens qui travaillent déjà depuis un certain temps sur les coronavirus et je suis en mesure d’évaluer si leurs études sont sensées.»Isabella Eckerle

Les publications ont en effet atteint un niveau record et tout doit aller très vite. De nombreux chercheurs utilisent BioRxiv et MedRxiv. Sur ces deux serveurs de prépublication ont été réalisées des collections entières sur le Covid-19. A fin juin, ils contenaient déjà plus de 5700 contributions. Et il en existe d’autres. Il y a donc bien lieu de s’interroger sur la manière dont les spécialistes séparent le bon grain de l’ivraie. «Je connais les gens qui travaillent déjà depuis un certain temps sur les coronavirus et je suis en mesure d’évaluer si leurs études sont sensées», dit Isabella Eckerle. Quand les travaux ne relèvent pas de son domaine de recherche spécifique, elle consulte des collègues pour juger la fiabilité des études.

Les rencontres réelles sont irremplaçables

Volker Thiel, virologue à l’Université de Berne, relève l’importance de Twitter pour les résultats qui n’ont pas encore été évalués. Ce canal met en effet de nombreux chercheurs en réseau. «Les choses captivantes se répandent rapidement», explique-t-il. Néanmoins, la limitation des contacts a rendu l’échange direct plus difficile et de nombreuses conférences ont été annulées ou ont été organisées en ligne.

Roland Regös, immunologiste mathématicien à l’ETH Zurich, regrette les rencontres physiques et des aspects des conférences que le monde virtuel ne parvient pas à remplacer. Telles les pauses-café, sources d’impulsions scientifiques. Isabella Eckerle déplore encore l’absence de ces réseaux informels et Volker Thiel relève l’importance de la possibilité de poser des questions durant les conférences.

Mais les trois chercheurs s’entendent sur le fait que ces manifestations finiront bien par reprendre un jour. Certains déplacements professionnels pourraient cependant être définitivement supprimés. «On réfléchira à deux fois avant de voyager», note Volker Thiel. Ces derniers mois ont en effet démontré qu’il était possible de discuter d’un projet en vidéoconférence.

Ne pas se contenter de suivre la tendance

Après tout, des fonds généreux sont alloués à la recherche sur la pandémie. Mais ce n’est pas forcément bénéfique, ce soutien ne tenant pas compte des projets à long terme. «Je ne peux ainsi pas engager de doctorant pour un projet limité à deux ans», explique Volker Thiel.

Isabella Eckerle pense qu’il ne faudrait pas se concentrer sur des thèmes de recherche à la mode, car il reste à trouver des réponses fondamentales: «Par exemple, nous ne comprenons pas pourquoi les virus passent des animaux aux êtres humains», note-t-elle. Il serait donc important de surveiller l’état de propagation des virus chez l’humain et les animaux. Une tâche qui nécessite un soutien à long terme.

«Une telle pandémie forme les sciences de la vie au sens large.»Roland Regös

Compte tenu du montant élevé des fonds accordés, le thème principal était prédéterminé. C’est quelque peu en contradiction avec le principe «bottom up» qui prévaut par exemple dans le soutien de projets par le Fonds national suisse. Les chercheurs proposent les thèmes eux-mêmes. Volker Thiel souhaite que cette pratique soit préservée, même s’il peut comprendre qu’une partie du soutien aux chercheurs soit provisoirement concentrée en raison de la pandémie. Toutefois, les appels à subventions peuvent aussi intéresser trop de gens, si bien que des demandes similaires arrivent en masse, par exemple pour le développement de tests.

Le nouveau virus bouleverse les priorités scientifiques. Pour Roland Regös, l’épidémiologie des maladies infectieuses va devenir un thème plus important en Suisse: «Une telle pandémie forme les sciences de la vie au sens large.» La pandémie de VIH par exemple n’a pas seulement marqué l’infectiologie, mais aussi la biologie mathématique et la biologie de l’évolution, en soulevant des questions inédites en matière quantitative et évolutive, très pertinentes pour la santé publique.