Malgré une flexibilité accrue: bouchon sur l’A9 en direction de Lausanne. Photo: Dominic Favre / Keystone

Il cristallise de nombreux espoirs, que ce soit en termes d’impact environnemental, d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle ou encore de coûts. Ce qui est certain, c’est que le home office a la cote en terre helvétique. Selon l’Office fédéral de la statistique, le télétravail à domicile – qu’il soit partiel ou complet – a crû ces vingt dernières années jusqu’à concerner un quart de la population active occupée avant la pandémie de Covid-19. En 2020, cette part a même bondi à près de 35%.

Une évolution couplée à une baisse des émissions de CO2, dont le trafic est responsable pour un tiers en Suisse? Pas vraiment, montre une équipe de scientifiques réunie autour d’Axel Franzen, de l’Université de Berne, qui a travaillé sur des données de la période pré-pandémique.

La première conclusion de leur étude ne constitue pas vraiment une surprise: l’intensification du home office entraîne une contraction des déplacements pendulaires. Les personnes qui exercent partiellement leur activité à domicile effectuent ainsi 21% de trajets professionnels en moins. Cependant – et c’est là l’observation la plus intéressante –, le nombre total de kilomètres effectués en Suisse, tous types de véhicules et de mobilité confondus, n’a pas baissé parmi les télétravailleurs. Ce paradoxe apparent s’explique par ce qu’on appelle l’effet rebond. «Ces personnes font davantage de trajets pour des motifs privés, par exemple des achats ou des loisirs», explique Fabienne Wöhner, qui a mené l’étude.

«Notre hypothèse est que malgré des horaires de plus en plus flexibles, les pendulaires continuent à calquer leur mobilité sur le rythme de leurs enfants ou de leurs proches.»Fabienne Wöhner

L’étude s’est aussi intéressée aux congestions de trafic. «Car qui dit bouchons dit pollution, accidents et perte de temps, donc des conséquences à la fois environnementales, sanitaires et économiques», rappelle la scientifique. Si la hausse du télétravail semble engendrer une légère amélioration du trafic pendulaire le soir, les bouchons matinaux ont pour leur part tendance à empirer. «Notre hypothèse est que malgré des horaires de plus en plus flexibles, les pendulaires continuent à calquer leur mobilité sur le rythme de leurs enfants ou de leurs proches», indique la chercheuse.

De nouvelles données de la mobilité, incluant la période pandémique, viennent de tomber. Si elle n’a pas encore eu l’occasion de les analyser en détail, Fabienne Wöhner peut déjà souligner quelques tendances. «Logiquement, les résultats sont impactés par le semi- confinement, qui a non seulement fortement accru la part des télétravailleuses, mais aussi limité les déplacements privés.» Dans ces conditions particulières, l’effet rebond a été minime et n’a donc pas compensé les trajets pendulaires.

L’Institut für Verkehrsplanung und Transportsysteme de l’ETH Zurich s’intéresse également de près aux déplacements des habitants du pays. Plusieurs études menées au sein de cet institut dirigé par Kay Axhausen ont porté sur l’impact de la pandémie de Covid-19 sur les choix de mobilité en Suisse. L’une d’entre elles, qui compare les trajets effectués par plus de 1000 personnes huit semaines avant la crise sanitaire puis jusqu’à six mois après son début, constate une réduction globale des distances de l’ordre de 60% durant le premier confinement.

«L’intensification du télétravail est un phénomène qui est parti pour durer. Elle a des conséquences claires sur la mobilité:.»Kay Axhausen
Réorganisation de la mobilité

«L’intensification du télétravail est un phénomène qui est parti pour durer, anticipe Kay Axhausen. Elle a des conséquences claires sur la mobilité: les Suisses se déplacent différemment et à d’autres moments de la journée.» Plutôt que de parler d’effet rebond, le chercheur préfère évoquer une «réorganisation de la mobilité». Une évolution dont il est, selon lui, important de tenir compte lors de l’élaboration des politiques de transport.

Du côté de l’Université de Berne, on estime aussi que les enseignements tirés de la recherche peuvent fournir de précieuses informations aux décideurs. et décideuses. «Nos résultats donnent à penser qu’en soi, la numérisation du monde du travail et la pratique croissante du home office ne vont ni faire baisser le trafic, ni empêcher les bouchons; elles doivent donc être accompagnées d’autres mesures, par exemple la tarification routière», commente Fabienne Wöhner.