En Argentine, les gens protestent contre l'augmentation des impôts et l'inflation. | Photo: JSPhoto / Alamy Stock Photo

Les Etats du monde entier rivalisent pour afficher la plus forte croissance économique, le taux de chômage le plus bas ou le déficit le plus faible. Ces indicateurs peuvent décider du succès ou de l’échec d’un gouvernement, influencer l’obtention de prêts et l’avenir économique. De nombreuses études récentes ont montré que les gouvernements manipulent les indicateurs économiques. Lukas Linsi, professeur assistant d’économie politique internationale à l’Université de Groningue, a examiné leurs méthodes.

«Où se situe la limite entre ajustements acceptables et ajustements inacceptables des données? Et à qui revient le pouvoir de déterminer où elles deviennent mensongères?»Lukas Linsi

Il a analysé, avec Roberto Aragão de l’Université d’Amsterdam, trois scandales récents dans lesquels des pays ont manipulé des indicateurs macroéconomiques: en Argentine (optimisation des statistiques de l’inflation), au Brésil (embellissement de la dette publique) et en Grèce (ajustement des déficits publics). Ils ont examiné de nombreux documents et ont parlé avec des ministres des Finances et des fonctionnaires de l’époque. Sur cette base, ils ont identifié quatre stratégies utilisées pour améliorer les indicateurs: la manipulation des données brutes, l’exploitation de la marge de manœuvre méthodologique, l’optimisation des estimations et la falsification des chiffres recueillis.

«Il a été démontré que la frontière entre données correctes et manipulées est bien moins claire qu’on ne le présente souvent dans le débat public», indique Lukas Linsi. Souvent, les gouvernements eux-mêmes ne connaissent pas les chiffres exacts, il y a de grandes discussions sur les méthodes les plus fiables et certains Etats n’arrivent même pas à recenser précisément la population. «Les indicateurs économiques sont bien moins univoques que beaucoup ne le pensent», note-t-il. Ce phénomène n’est pas limité aux pays en développement, il est aussi courant dans les Etats les plus développés.

Ces résultats soulèvent d’autres questions, remarque le chercheur: «Où se situe la limite entre ajustements acceptables et ajustements inacceptables des données? Et à qui revient le pouvoir de déterminer où elles deviennent mensongères?»

R. Aragão and L. Linsi: Many shades of wrong: what governments do when they manipulate statistics. Review of International Political Economy (2020)