Les écrivains sont parfois en avance sur la réalité, note Philipp Theisohn. | Bild: Valérie Chételat

Génies incontrôlables, cadavres dans les polars: les scientifiques ne sont guère épargnés par la fiction.

Ils n’ont en effet jamais le beau rôle, mais ce cliché n’est pas toujours correct. Les jeunes auteurs, notamment, considèrent aujourd’hui la science comme quelque chose de poétique et l’utilisent pour raconter des histoires. Cela découle de la tradition romantique qui associe sciences naturelles et poésie. Ce que vous évoquez, ce sont des icônes à l’image du Dr Strangelove. Elles correspondent à l’idéal faustien: la connaissance surpasse tout. Le professeur fou franchit les limites fixées par la société, il est possédé par le démon scientifique.

Pourquoi les chercheurs constituent-ils de bons personnages littéraires?

Parce qu’ils sont ambivalents: ils pensent de manière très structurée mais restent des gens simples, ce qui crée une tension. Comment vit une passionnée de microbiologie – est-ce qu’elle fait des pique-niques en campagne, comme vous et moi? De quelle manière un psychologue gère-t-il sa relation amoureuse?

«La fiction permet de répondre aux questions scientifiques de manière spontanée et provisoire.»

D’autres deviennent écrivains. D’où naît cette envie de fiction dans un métier qui s’attache aux faits?

Affronter l’inconnu exige de travailler avec des hypothèses. La science-fiction imagine par exemple notre monde après le changement climatique. Ces champs littéraires font émerger de nouveaux questionnements et, avec eux, des réponses.

La fiction, une source d’inspiration?

Oui, dans une certaine mesure. La fiction permet de répondre aux questions de manière spontanée et provisoire. Un chercheur procédant à l’autopsie d’une momie glacière va toujours enquêter sur son origine, et c’est de la fiction. Même un spécialiste des vers de terre doit interpréter ses résultats et fictionnaliser son travail.

Les chercheurs-écrivains ne visent-t-ils pas avant tout à partager leurs connaissances?

Ce sont souvent les plus mauvais livres. Qui écrit un roman pour vulgariser la biologie cellulaire échoue dans le genre.

Quel érudit a écrit les meilleurs livres?

Umberto Eco, et de loin.

Les fictions scientifiques font-elles connaître l’univers académique?

On y découvre comment les scientifiques voient le monde, de quelle manière la pensée systématique reposant sur l’objectivation imprègne l’approche subjective. Lorsqu’on lit un roman dans lequel un scientifique joue le premier rôle, on se met au diapason d’un univers passé à travers un filtre bien particulier. Le chercheur décompose le monde et le recompose à sa manière. Dans ces textes, l’aspect performatif est plus important que les explications techniques. Pour savoir comment le clonage fonctionne, on peut lire Wikipédia.

Quelle est l’influence de la fiction littéraire sur la science?

Il ne faut pas simplifier les choses à l’excès. Les cartes de paiement n’existent pas aujourd’hui parce que leur concept a été imaginé en 1888 par Edward Bellamy dans son livre «Cent ans après ou l’an 2000». L’élément décisif, ce sont les besoins que nous anticipons. Imaginer un monde autre permet de créer un espace pour des choses dont on ne voit pas encore la nécessité – donc pour des inventions. Voilà pourquoi la Silicon Valley aime embaucher des écrivains. Parfois, ils sont en avance sur la réalité.