Lena Gubler est géographe à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) | Photo: Gabi Vogt

Lena Gubler, votre étude sur les incitations préjudiciables par des subventions semble représenter une montagne de travail. Comment avez-vous procédé?

Nous avons tout d’abord enregistré l’état de la biodiversité dans différents habitats et analysé pourquoi un habitat en particulier était perturbé, pollué ou fragmenté. Cela nous a conduits vers les moteurs ou les causes. Puis nous avons examiné lesquels de ces moteurs étaient subventionnés. Il a fallu analyser des documents et des comptes annuels, consulter des offices fédéraux et discuter avec des expertes et des experts. Nous avons par ailleurs lancé un appel public aux spécialistes pour qu’ils nous annoncent les subventions de leur région.

Entre nature et société
Lena Gubler est géographe à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) à Birmensdorf. Ses travaux la placent au carrefour entre nature et société. Ces 18 derniers mois, elle a travaillé sur les effets du système suisse de subventions sur la biodiversité.

Qu’avez-vous découvert?

Le montant des subventions qui ont un effet nuisible partiel ou total sur la biodiversité se monte à 40 milliards de francs au moins par an. C’est 30 à 40 fois plus que la somme des mesures d’encouragement. Il est aussi apparu que les effets des moteurs sur la biodiversité étaient très complexes.

Qu’entendez-vous par «complexes»?

De nombreuses subventions présentent d’importants conflits d’intérêts avec d’autres objectifs politiques ou entre les différentes préoccupations environnementales. Parfois, une subvention favorise la protection de l’environnement, mais ses effets secondaires nuisent à la biodiversité.» Prenez par exemple les petites centrales hydrauliques, très soutenues dans le cadre de la stratégie énergétique. Si la force hydraulique remplace l’énergie fossile, c’est bon pour le climat et donc pour la biodiversité. Mais en raison de ce soutien marqué, presque tous les ruisseaux de montagne sont découpés en segments par de telles installations. Les poissons ne peuvent plus descendre ou remonter les cours d’eau et sont pratiquement incapables de se reproduire.

«Si les taxes routières étaient versées dans la caisse fédérale générale, d’autres tâches de la Confédération pourraient être financées.»

Des voix s’élèvent depuis longtemps pour demander l’abrogation de telles subventions. Pourquoi la Confédération n’a-t-elle pas encore agi?

En ratifiant la Convention sur la diversité biologique, la Suisse s’est engagée à supprimer ou à rediriger les subventions préjudiciables d’ici à 2020. A ce jour, il n’existait cependant pas d’analyse aussi complète que la nôtre. C’est pourtant la base d’un changement de méthode. De plus, de nombreuses subventions existent depuis très longtemps déjà, de sorte que cela peut être perçu comme la norme, voire comme un droit. L’impôt sur les huiles minérales le montre bien: il n’a plus été adapté au renchérissement depuis les années 1990, car la population attend que l’essence, et donc le trafic routier, ne soit pas coûteuse.

Peut-on parler ici de subventions, alors que le trafic routier couvre ses dépenses par les recettes des taxes routières?

Nous parlons, pour préciser, d’une incitation financière dommageable. L’affectation obligatoire des taxes routières est particulièrement rigide en Suisse. La taxe sur les huiles minérales ou celle sur les routes nationales (vignette autoroutière), par exemple, alimentent essentiellement le fonds routier, qui permet en principe de construire davantage de routes. Si les taxes étaient versées dans la caisse fédérale générale, d’autres tâches de la Confédération pourraient être financées. Ou alors, une directive serait nécessaire pour que les fonds à affectation obligatoire puissent davantage servir à réduire les effets négatifs du trafic routier, par exemple en couvrant certains tronçons routiers en cas de besoin.

Les principaux constats
Depuis des décennies, la biodiversité diminue continuellement en Suisse. Plus d’un tiers des espèces animales et végétales et près de la moitié de tous les types d’habitat sont désormais menacés. Les subventions de l’Etat sont un moteur important de cette évolution, soit l’argent pour promouvoir par exemple la construction de routes ou la détention de bovins. Cela inclut également les avantages fiscaux pour la propriété privée du logement.

Dans une vaste étude, le WSL, associé au Forum biodiversité suisse et à l’Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT), a évalué quelles subventions entraînaient des dommages collatéraux en matière de biodiversité. Ont été examinés les transports, l’agriculture, l’exploitation forestière, la production et consommation d’énergie, le tourisme, l’urbanisation, l’élimination des eaux usées et la protection contre les crues.

Le résultat déçoit: le total des subventions nuisibles serait d’au moins 40 milliards de francs par an. En comparaison, la biodiversité n’est soutenue qu’avec une fraction de ce montant.

Parlons de l’agriculture: la production alimentaire n’est-elle pas un enjeu primordial, qui passe avant la biodiversité?

La production agricole et donc également la sécurité de l’approvisionnement dépendent à moyen terme de la biodiversité. Si nous ne parvenons pas à mettre un terme à la perte de diversité des êtres vivants, nous perdrons la fertilité des sols, la pollinisation ou l’eau potable propre. Dès lors, les rendements vont également diminuer.

Quelles sont les subventions agricoles particulièrement dommageables?

En premier lieu, celles qui incitent à la détention de grands cheptels. Actuellement, il y a trop de bétail, aussi en raison des énormes quantités d’aliment concentré pour animaux importées. Cela conduit à une surcharge d’azote dans les écosystèmes suisses, ce qui nuit à la biodiversité à grande échelle.

«Les subventions devraient être limitées dans le temps pour éviter qu’elles ne deviennent la norme.»

Quelles sont les principales recommandations de votre étude?

Qu’un si grand nombre de subventions ait des effets négatifs sur la biodiversité devrait inciter à réagir. La diversité de la faune et de la flore devrait être mieux prise en compte dans les différents secteurs et dans les objectifs politiques. De nombreux dommages pourraient être évités si l’octroi des subventions était lié à certaines conditions. Les subventions devraient aussi être limitées dans le temps pour éviter qu’elles ne deviennent la norme.

Dans quels domaines serait-il plus facile de modifier la pratique en matière de subventions?

Les taxes de stationnement à prix coûtant sur le domaine public pourraient être faciles à réformer. Et certaines des nombreuses déductions fiscales possibles en matière de propriété de logement pourraient être rapidement éliminées, notamment la réduction de la valeur locative en cas de sous-utilisation. Disons globalement que l’on pourrait agir rapidement au niveau des possibilités de déductions fiscales.