La Suisse, véritable capitale du sport professionnel: la Maison du sport international à Lausanne héberge 16 fédérations sportives mondiales, du baseball au tir à l’arc. | Photo: Valérie Chételat

La Suisse est une capitale du sport professionnel: la Maison du sport international à Lausanne héberge 16 fédérations sportives mondiales, du baseball au tir à l’arc. | Photo: Valérie Chételat

Deux millions de personnes pratiquent en Suisse un sport au sein d’un club – un bon quart des 5 à 74 ans. Ces chiffres se sont stabilisés depuis le milieu des années 1990. En parallèle, on note une professionnalisation de ces structures. La proportion du travail rémunéré est passée de 10 à 20% entre 1996 et 2010 avant de se stabiliser autour de 16% depuis deux ans, indique la dernière étude sur les clubs sportifs publiée par l’Observatoire sport et activité physique suisse, un institut mandaté par l’Office fédéral du sport.

Une équipe des universités de Lausanne et de Berne s’est penchée pour la première fois sur la question de la professionnalisation des fédérations sportives nationales et internationales installées en Suisse. Cette recherche empirique a été conduite à partir d’études de cas portant sur dix fédérations nationales et huit fédérations internationales, ainsi que sur des données de base concernant presque toutes les fédérations sportives helvétiques. L’étude indique que la majeure partie des fédérations sont gérées à la fois par des bénévoles et des employés rémunérés, tant au niveau sportif qu’administratif. Dans les petites associations tournées vers la performance, les professionnels se rencontrent surtout dans le domaine sportif, en particulier comme entraîneurs. Ils se retrouvent plutôt dans le secteur administratif dans les fédérations de taille moyenne, moins axées sur les résultats.

Vision d’avenir

Un cinquième des fédérations étudiées sont gérées par des personnes dont c’est l’activité principale, alors qu’un peu plus d’un tiers le sont uniquement par des bénévoles. Ces derniers assurent aujourd’hui encore plus de 80% des tâches dans les associations sportives. Ils se retrouvent également à la présidence de presque toutes les fédérations. «Bénévolat et professionnalisme ne s’excluent pas, souligne l’un des auteurs de l’étude, Siegfried Nagel de l’Université de Berne. Des bénévoles peuvent aussi travailler de manière très professionnelle». Mais le personnel rémunéré se préoccupe davantage de l’avenir et des membres et travaille de manière stratégique.

Pourquoi assiste-t-on à professionnalisation des fédérations sportives, qui sont, par tradition, des organisations de bénévoles? «Pour les organes nationaux, la pression croissante de la concurrence internationale et la commercialisation du sport d’élite constituent des facteurs déterminants, répond Siegfried Nagel. Des ressources financières supplémentaires sont nécessaires pour soutenir les athlètes de pointe et assurer la relève de manière optimale. Elles viennent toujours plus souvent des sponsors.» La faîtière Swiss Olympic joue également un rôle important parce qu’elle attend que les fédérations formulent des stratégies et emploient des professionnels pour assurer une promotion ciblée.

«Bénévolat et professionnalisme ne s’excluent pas.»Siegfried Nagel

La professionnalisation ne touche cependant pas seulement le sport de compétition et d’élite mais elle encourage également le sport de masse, note Siegfried Nagel. Elle amène un meilleur soutien aux clubs membres des fédérations, principalement à travers de nouvelles prestations numériques, comme des plateformes pour la gestion des membres ou pour l’organisation de compétitions. Les fédérations jouent également un rôle important dans la formation – à nouveau pas uniquement dans le domaine sportif. Mais le phénomène suscite d’autres questions concernant la conduite du personnel: qui mène les entretiens d’évaluation et développe une culture du feedback appropriée?

En regard des scandales de corruption dans les grandes fédérations professionnelles, telles que la FIFA ou plus récemment l’Union internationale de biathlon, on peut se demander si les personnes qui s’adonnent simplement au sport dans un club apprécient la professionnalisation des petites fédérations. «Cette évolution débouche sur une systématisation des décisions qui deviennent ainsi juridiquement vérifiables, ce qui finalement prévient la corruption», estime Ansgar Thiel, spécialiste du sport à l’Université de Tübingen en Allemagne. Siegfried Nagel souligne l’importance d’une bonne répartition des tâches entre professionnels et bénévoles: «Il faut définir clairement à qui revient la responsabilité des différentes tâches stratégiques ou opérationnelles, sous peine de voir éclater des conflits.»

Malgré ses progrès, la professionnalisation n’est pas un phénomène récent, relève l’historien du sport Christian Koller, de l’Université de Zurich: «Dans le milieu sportif, la commercialisation et la professionnalisation ont toujours avancé main dans la main». Entre la fin du 19e et celle du 20e siècle, la professionnalisation a d’abord touché les athlètes et les entraîneurs pour s’étendre ensuite aux fonctionnaires. D’un côté, la commercialisation a libéré l’argent qui a permis la professionnalisation et, de l’autre, les athlètes et les fonctionnaires sportifs ont activement poussé à la commercialisation.

Un regard sur l’histoire du sport montre cependant que la majorité des tâches relevaient encore du bénévolat dans la phase pionnière des fédérations internationales. «Le Comité international olympique était alors dominé par des aristocrates qui pouvaient se permettre un tel engagement et financer eux-mêmes les voyages pour participer aux congrès internationaux», explique Christian Koller. De nombreuses fédérations employaient toutefois déjà des secrétaires rémunérés au début du 20e siècle. Ensuite, l’importance politique croissante du sport, en particulier durant la Guerre froide, a entraîné le développement d’administrations étatiques en la matière.

Le symbole Sepp Blatter

Une nouvelle étape vers la professionnalisation a commencé dans les années 1970 et 1980, à nouveau en lien avec la commercialisation. Et finalement, la libéralisation des télécommunications des années 1980 et 1990 a entraîné un saut quantique. Sepp Blatter en est le symbole. «Avec son élection à la présidence de la FIFA en 1998, la Fédération internationale de football plaçait pour la première fois à sa tête une personnalité issue de l’appareil professionnel de l’association et qui avait participé activement à la commercialisation par des partenariats avec différentes multinationales», rappelle Christian Koller.

Reste la question de l’évolution prochaine des fédérations sportives. «En Allemagne et en Suisse, les clubs et les associations tablent sur le travail bénévole et cela devrait rester ainsi. Mais, plus les tâches se différencient plus des structures professionnelles deviennent nécessaires. Il y aura donc toujours des formes hybrides», prédit Ansgar Thiel.

Cela pose une nouvelle question, en particulier au niveau des clubs. Qui sera encore prêt à effectuer un travail bénévole aux côtés de personnes qui, dans le même club, touchent une rémunération? Une activité dans le comité peut se justifier pour des juristes ou des politiciens qui trouvent là des opportunités pour lier des contacts professionnels ou politiques. Mais les bénéfices doivent être à la mesure de la charge que cela représente. «Un dirigeant bénévole n’a en général pas assez de temps pour assumer le volume de travail qu’exige la direction d’un grand club ou d’une grande fédération», dit Ansgar Thiel. «La professionnalisation y est donc une question de survie».»