La médecine personnalisée vise à individualiser les traitements, mais les études distinguent mal différences entre patients et variations naturelles chez une seule personne, selon Stephen Senn. | Photo: Viacheslav Lopatin/Shutterstock

La médecine a un problème: les thérapies ne fonctionnent souvent que sur une partie des patients. Selon la Food and Drug Administration américaine (FDA), quatre personnes sur dix ne réagissent pas aux antidépresseurs. La raison en est largement imputable aux gènes.

C’est sur ces différences existant entre les patients que se fonde l’idée de la médecine personnalisée. Un exemple: Iressa, une molécule contre le cancer, qui agit uniquement chez les personnes dont les cellules tumorales présentent des mutations d’un gène précis. Ce dernier agit sur un facteur de croissance qui stimule la division cellulaire. Ces mutations constituent un «biomarqueur» qui indique si le patient pourra tirer bénéfice du médicament administré (s’il est un «répondeur») – ou non.

«L’engouement pour la médecine personnalisée repose sur une hypothèse à peine testée.»Stephen Senn

Identifier les différences entre patients serait bien plus difficile que prévu, selon Stephen Senn, un biostatisticien travaillant au Luxembourg Institute of Health. «Dans une étude clinique, il n’est normalement pas possible d’établir qui a tiré profit du traitement ou non, avance-t-il. L’engouement pour la médecine personnalisée repose sur une hypothèse à peine testée: que les patients réagissent de manière très différentes à un traitement.» A son sens, les études citées notamment par la FDA s’appuient sur des fondements statistiques précaires.

La raison: les études n’analysent pas les réactions de patients individuels. Au contraire, elles se bornent à mettre en parallèle des groupes de patients sur la base de leur réaction moyenne. Ce pourra être la différence de pression sanguine de l’ensemble des patients ayant reçu un traitement donné par rapport aux personnes à qui un placebo a été administré. «Nous ne menons tout simplement pas le type d’études qui serait à même de distinguer un répondeur d’un non-répondeur.»

Stephen Senn ne nie pas que la diversité de l’héritage génétique des patients soit susceptible d’exercer une influence sur le succès d’un traitement. Il dit seulement que la plupart des études cliniques ne sont pas en mesure de conclure si des variations au niveau de l’efficacité ont des causes génétiques ou non. Elles pourraient être aussi provoquées par des différences fortuites dans l’alimentation ou des infections cachées.

Placebo et traitement sur un même patient

Stephen Senn propose une solution: observer les patients de manière individuelle sur une plus longue durée après leur avoir administré un traitement suivi d’un placebo, ou l’inverse. Ces études sérielles appelées «N-of-1» fournissent des données qui permettraient de distinguer la réaction des patients d’autres variations aléatoires. Dans la revue Nature en 2015, Nicholas Schork du J. Craig Venter Institute en Californie appelait également de ses voeux ce genre d’études afin de tester «les innombrables facteurs – notamment génétiques et environnementaux – qui influencent la réaction d’une personne à un traitement particulier».

Mais les études «N-of-1» ne sont pas réalistes, souligne l’épidémiologiste suisse Peter Jüni: elles sont trop fastidieuses et compliquées à mener dans un contexte clinique. L’actuel directeur de l’Applied Health Research Centre de l’Université de Toronto donne raison à Stephen Senn sur le fait que l’on tire fréquemment des conclusions infondées sur les répondeurs et non-répondeurs. Mais des procédures «très disciplinées» peuvent ouvrir des voies à une interprétation correcte des études menées selon les protocoles traditionnels.

Les résultats de sous-groupes spécifiques de patients sont souvent surinterprétés, confirme Peter Jüni: «Il n’existe pas de médecine vraiment personnalisée dans laquelle chaque patient reçoit le traitement qui lui convient exactement. Pour l’instant, nous ne sommes pas en mesure de satisfaire ces attentes.» A ses yeux, les efforts pour consolider les données nécessaires à la médecine personnalisée sont importants – même si les thèses de Stephen Senn ne font pas le consensus parmi ses collègues.

Sascha Karberg est rédacteur scientifique au Tagesspiegel à Berlin.