Dossier: Vivre longtemps
L’espoir meurt malgré tout
Les causes du vieillissement sont connues. Et on commence tout juste à comprendre comment cela fonctionne. Quant à savoir par quels moyens l’empêcher, les avis des scientifiques et des gourous du bien-être divergent.

Vivre le plus longtemps possible ou maximiser le nombre de descendants? Tel est le dilemme évolutif auquel sont confrontés tous les êtres vivants. | Photo: Ed Kashi pour 1in6by2030
1 — Abandonnés par l’évolution
Une question a toujours préoccupé l’humanité: pourquoi vieillissons-nous et mourons-nous, alors que l’évolution – si on veut la personnifier – a trouvé d’excellentes solutions pour presque tout? Désormais, il existe une explication concluante: dès que nous avons dépassé l’âge de procréer, l’évolution se fiche pour ainsi dire de savoir si nous continuons à vivre ou non.
Pendant longtemps, on a pensé que la mort était programmée dans notre patrimoine génétique, à l’instar des processus de développement de l’ovule fécondé à l’être vivant complet. La théorie a depuis été réfutée: la mort ne fait pas partie d’un programme, mais est la conséquence d’une négligence. En effet, du point de vue de la théorie de l’évolution, il faut avant tout que nos gènes soient transmis à la génération suivante via les cellules germinales. Ce qu’il advient ensuite de nos cellules somatiques importe peu.
Dépasser les 120 ans semble impossible
La mouche éphémère vit quelques heures, la baleine bleue 100 ans. Cette énorme différence reste un mystère. Un facteur: les animaux qui vivent longtemps sont souvent plus grands, peut-être à cause d’un métabolisme et de mécanismes de réparation plus efficaces. La chauve-souris constitue l’une des exceptions.
La durée de vie maximale est toutefois élastique. L’espérance de vie humaine a doublé au cours des cent cinquante dernières années et pourrait continuer à augmenter grâce à la lutte contre les maladies liées à l’âge. Mais une limite se situerait à plus ou moins 120 ans: il n’est pas possible de stopper tous les processus complexes du vieillissement cellulaire, selon certains scientifiques. Cela n’empêche pas certaines personnes de prendre chaque jour une multitude de pilules. Reste à savoir si elles y gagneront la vie éternelle.
Les variantes génétiques qui ont un effet néfaste à un jeune âge sont donc éliminées par sélection naturelle. «Mais après l’âge de procréer, la sélection diminue de plus en plus», explique Thomas Flatt. Biologiste de l’évolution à l’Université de Fribourg, il étudie ces processus chez la mouche du vinaigre.
En l’absence de la pression de sélection, les anomalies génétiques s’accumulent, notamment celles qui n’ont pas d’effet négatif à un jeune âge, mais sont nocives plus tard. Un exemple: la mutation responsable de la maladie neurodégénérative de Huntington. Ses premiers symptômes apparaissent généralement entre 30 et 50 ans. «Elle ne posait donc pas un grand problème lorsque les gens ne vivaient pas très vieux, comme à l’époque préhistorique», note Thomas Flatt.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là: certaines mutations délétères à un âge avancé sont même utiles chez les jeunes, «par exemple si elles favorisent le développement ou la reproduction», poursuit le biologiste. Certaines variantes du gène BRCA1/2 ont ainsi un effet positif sur la fertilité, mais augmentent les risques de cancer du sein plus tard. C’est un conflit d’objectifs biologiques entre reproduction et longévité.
Des expériences confirment ce compromis: des scientifiques ont sélectionné sur plusieurs générations les mouches du vinaigre les plus résistantes. Le prix à payer pour vivre plus longtemps était que ces mouches Mathusalem pondaient moins. La restriction calorique livre un autre indice d’un tel compromis: le fait de manger très peu prolonge entre autres la vie des mouches et des souris. «Il y a sans doute un rapport avec le métabolisme énergétique», explique Thomas Flatt. Il se peut que les organismes produisent moins de descendants lorsqu’ils ne disposent pas de suffisamment d’énergie, et qu’ils soient ainsi en meilleure santé à un âge avancé. Mais on ne devrait pas pour autant renoncer à avoir des enfants: «Ces compromis sont probablement multidimensionnels et bien plus complexes qu’on ne le pense», conclut le chercheur.
2 — Dégradation généralisée
La dégradation du corps trouve donc son origine dans les mécanismes de l’évolution. La manière précise dont elle se produit reste moins claire. Les scientifiques ont identifié des caractéristiques principales du vieillissement. Il s’agit de phénomènes survenant de plus en plus fréquemment au cours de la vie dans les cellules et l’organisme qui accélèrent le vieillissement et dont l’inhibition ralentit, voire inverse le processus.
Entre-temps, le nombre de ces indicateurs a augmenté à douze. Ils comprennent entre autres la perte de fonction des cellules souches, l’instabilité du patrimoine génétique, le dysfonctionnement des mitochondries, la détection défaillante des nutriments ainsi que des inflammations chroniques.
Regula Furrer, spécialiste en biologie musculaire au Biozentrum de l’Université de Bâle, décrit l’affaiblissement progressif des muscles: «Les mitochondries produisent moins d’énergie, les changements du métabolisme entraînent une accumulation de graisse et il manque des cellules souches pour reconstituer les tissus.» Des mécanismes similaires ont pour effet que le cerveau dégénère, que les os deviennent fragiles ou que la peau s’affine. Le métabolisme du sucre se déséquilibre, le cœur ne pompe plus correctement et le système immunitaire s’emballe. Ces dysfonctionnements s’accumulent jusqu’à provoquer l’effondrement du système – et nous mourons.
Il y a longtemps déjà que les scientifiques ont trouvé des indices que l’intégrité de notre patrimoine génétique influence le processus de vieillissement. En effet, l’ADN se détériore constamment au cours de la vie. Les mécanismes de réparation s’affaiblissent, les dommages provoqués par exemple par les rayons UV ne sont plus réparés et les cellules défectueuses ne sont plus éliminées.
Quand les cellules tumorales se réveillent à nouveau
«L’incidence du cancer augmente avec l’âge», explique Ron Jachimowicz, oncologue à l’Hôpital universitaire de Cologne. Avec les années, l’augmentation des dommages de l’ADN peut transformer des cellules saines en cellules cancéreuses. De plus, l’activité des suppresseurs de tumeurs qui éliminent normalement de telles cellules se réduit.
Mais la situation est encore plus complexe, selon le chercheur. Un exemple: les cellules à l’ADN endommagé qui ne peut pas être réparé commettent normalement un suicide préprogrammé appelé «apoptose». Avec l’âge, cela ne fonctionne parfois plus aussi efficacement. Certaines cellules tumorales peuvent entrer en sénescence – une forme de repos – et échapper ainsi au traitement. «Le fait qu’elles recommencent néanmoins à se diviser pourrait être la cause de récidives», ajoute-t-il.
De plus, les extrémités des chromosomes – les télomères – raccourcissent légèrement à chaque division cellulaire. Les cellules finissent par ne plus être capables de se multiplier, en particulier les cellules souches qui assurent le renouvellement des tissus. Et l’ADN acquiert ou perd un nombre croissant de marques chimiques sous l’effet des influences environnementales. Ces modifications épigénétiques ont pour effet que certains gènes sont plus ou moins exprimés.
Outre les dommages causés par l’ADN, la régulation du métabolisme joue également un rôle décisif, un fait connu depuis les années 1930. Une découverte a alors fait sensation: la restriction stricte de l’apport calorique peut prolonger la durée de vie des souris de 50%. Ce fut le premier indice du lien étroit entre le métabolisme nutritionnel et la longévité, et qu’une dépense d’énergie moindre ralentit de nombreux processus de vieillissement. Les mécanismes précis n’ont toutefois pas encore été entièrement élucidés.
Une pièce importante de ce puzzle a été découverte il y a plus de trente ans par Michael Hall, un chercheur du Biozentrum de Bâle: il s’agit de TOR, une enzyme jusque-là inconnue qui est inhibée par la rapamycine, un immunosuppresseur. Des travaux avaient montré que désactiver TOR prolonge considérablement la durée de vie des levures, des vers nématodes, des mouches du vinaigre et des souris. «Après la découverte des effets de TOR, le domaine de la recherche sur le vieillissement a explosé», se souvient le biologiste.
Désormais, on sait que l'enzyme TOR joue un rôle central dans la régulation du métabolisme, qui influence la capacité des cellules à détecter la présence de nutriments, d’oxygène, d’insuline, de facteurs de croissance et bien d’autres éléments. L’inhibition de TOR simule un manque en nutriments, ce qui entraîne un ralentissement du métabolisme. «A ce jour, TOR est la meilleure explication pour comprendre pourquoi la restriction calorique prolonge la durée de vie», selon Michael Hall.
Le stress cellulaire provoqué par un excès de substances fortement réactives est également lié. Ces radicaux libres rompent les liaisons chimiques d’autres composés chimiques et peuvent provoquer des dommages considérables.
Les radicaux libres se forment en permanence lorsque les mitochondries produisent de l’énergie. «Le corps dispose de mécanismes de défense très efficaces, comme des enzymes qui transforment les radicaux libres en substances inoffensives», explique Michael Ristow, directeur de l’Institut d’endocrinologie expérimentale et de diabétologie de l’Hôpital de la Charité de Berlin, spécialiste du vieillissement et auparavant chercheur à l’ETH Zurich. Ces radicaux libres se forment constamment dans les mitochondries vieillissantes ou en cas d’augmentation du métabolisme énergétique, jusqu’à saturer les mécanismes de défense naturels. Les dommages s’accumulent dans les cellules, qui finissent par mourir – du moins en théorie.
La mort cellulaire constitue ici la meilleure option. La moins bonne est la sénescence: les cellules cessent de se diviser et entrent dans une sorte d’état de repos. Ce processus – qui fait l’objet d’une attention croissante dans la recherche sur le vieillissement – est déclenché par le dysfonctionnement des mitochondries ou par des dommages à l’ADN. Les cellules ne sont en fait pas complètement inactives: elles sécrètent un mélange toxique de signaux biochimiques qui par exemple alertent constamment le système immunitaire, ce qui provoque des inflammations chroniques telles que l’arthrite.
Malgré l’essor de la recherche sur le vieillissement, la science est encore loin de comprendre parfaitement les processus en jeu. Il est clair qu’il n’y a pas de mécanisme ni de gène unique qui en soit seul responsable. D’innombrables voies métaboliques y contribuent et interagissent entre elles. «Chaque scientifique a naturellement tendance à mettre en avant son propre domaine de recherche, dit Michael Ristow. Je pense toutefois que tous les processus ont leur importance et qu’ils se complètent mutuellement.»
3 — Promesses de guérison infondées
Cette compréhension croissante des mécanismes du vieillissement soulève l’espoir de pouvoir un jour retarder la mort ou même d’y échapper entièrement. C’est ce que promettent plusieurs substances. Hélas: pratiquement tous les résultats concernent des recherches menées sur des levures, des vers nématodes, des mouches du vinaigre ou des rongeurs.
A ce jour, il n'existe effectivement aucune substance dont l’effet prolongateur de la vie humaine ait été prouvé. Car il n’existe pratiquement aucun travail sérieux à ce sujet. «Une étude contrôlée coûterait jusqu’à 100 millions de francs et prendrait au moins une décennie», selon Michael Ristow. D’un point de vue éthique, il serait de plus très discutable d’administrer une substance nouvelle ou très peu testée à des personnes en bonne santé.
Malgré cela, de nombreux remèdes ont la réputation de prolonger la vie, à tort: par exemple les antioxydants, qui incluent les vitamines A et E, censés ralentir le processus de vieillissement en capturant les radicaux libres dans les cellules. De nombreuses personnes en prennent comme compléments alimentaires. Une pratique que Michael Ristow déconseille: «Peu de gens sont conscients du fait que les antioxydants ont également des effets indésirables.» Car il est prouvé que les radicaux libres remplissent des fonctions importantes dans le corps, par exemple en renforçant les défenses naturelles contre leur présence en excès. Une trop grande quantité d’antioxydants est même nocive: prendre un précurseur de la vitamine A augmente les risques de cancer du poumon chez les fumeuses et les fumeurs, a montré une étude.
La restriction calorique est considérée comme un autre remède miracle. Mais il faut examiner les études animales à ce sujet de près, avertit Regula Furrer, qui le fait dans le cadre de ses recherches sur les muscles: «Plus l’organisme est complexe, plus l’effet est faible.» On ignore également quels sont les effets d’une restriction calorique dans des conditions de vie réelle et non dans les conditions de laboratoire contrôlées et quasi exemptes d’agents pathogènes. Selon la chercheuse, une alimentation équilibrée et contrôlée sur le plan calorique est préférable.
L’horloge biologique fonctionne différemment
Chacun connaît son âge chronologique – le temps écoulé depuis sa naissance. Mais c’est notre âge biologique qui montre l'état réel du corps par rapport à la moyenne. Il existe beaucoup d’idées sur la façon de lire cette horloge biologique: par exemple la mesure des modifications génétiques liées à l’environnement ou de certaines protéines dans le sang.
«Hélas, aucune de ces méthodes n’a encore été évaluée de façon approfondie, note Regula Furrer du Biozentrum de Bâle. Diverses horloges biologiques fournissent même des résultats parfois contradictoires.» Les mesures physiologiques telles que la force de préhension, la vitesse de marche ou la consommation maximale d’oxygène fonctionnent pour l’instant le mieux: des études ont montré qu’elles sont bel et bien corrélées avec l’espérance de vie.
Il faut également considérer avec scepticisme les substances qui imitent la restriction calorique, comme le resvératrol présent dans le vin rouge et les sirtuines. Les indications de leur efficacité – issues uniquement d’études animales – font désormais débat. De nombreux gourous du bien-être optent pour des microdoses de rapamycine, un immunosuppresseur qui inhibe le facteur du métabolisme TOR. Il n’existe toutefois aucune preuve concluante d’un allongement de la durée de vie chez l’être humain. Michael Hall, qui a découvert TOR, n’exclut pas un effet positif. «C’est un médicament autorisé qui ne cause au moins pas de dommages importants.» Il n’en prend pas lui-même, voulant d’abord voir des preuves de son efficacité chez l’humain.
La dernière tendance porte sur les sénolytiques. Ces substances détruisent les cellules sénescentes qui ne se divisent plus. De nombreuses molécules candidates ont été identifiées chez la souris, dont la quercétine présente dans les plantes. Mais là encore, la prudence reste de mise, car les cellules sénescentes sont également utiles au corps, par exemple pour la cicatrisation.
La pilule miracle n’est donc pas encore en vue. Prolonger simplement la vie n’est de toute façon pas la priorité de la recherche sérieuse sur le vieillissement. «Nous visons à prolonger l’espérance de vie en bonne santé, qui inclut de bonnes fonctions physiques et cognitives et une qualité de vie élevée», explique Heike Bischoff-Ferrari, responsable de l’étude européenne Do-Health et directrice du Campus suisse pour une longévité en bonne santé, fondé récemment par l’Université de Bâle et l’Institut universitaire de médecine gériatrique Felix Platter.
Comment cela fonctionne est déjà connu grâce à de grandes études de cohorte qui établissent un lien très cohérent entre la réduction de nombreuses maladies chroniques et un mode de vie sain. Cela inclut des facteurs comme une activité physique suffisante, une alimentation saine, assez de sommeil, des interactions sociales et un apport suffisant en vitamine D. «Il est motivant de constater que l’étude Do-Health nous a permis de montrer pour la première fois qu’il est possible de rajeunir l’âge biologique non seulement chez les souris, mais aussi chez les humains, et ce, grâce à de simples mesures liées au mode de vie», souligne la chercheuse.
