Depuis 2023, des éruptions se produisent régulièrement près de la ville islandaise de Grindavik. Les photos de ces phénomènes d’une beauté effrayante sont très prisées. En voici une datant de 2024. | Photo: Veðurstofa Íslands

La région autour de Grindavik, en Islande, tremblait depuis des semaines. Des dizaines de secousses, d’une magnitude allant jusqu’à 5,6, étaient accompagnées de grondements sourds et faisaient trembler les bâtiments du village de pêcheurs, où le géologue Joël Ruch logeait avec ses trois collègues. Puis, soudain, le calme est revenu pendant deux jours. «J’ai su alors qu’une éruption était très probable», raconte le scientifique de l’Université de Genève. Elle s’est produite le 19 mars 2021. «Le ciel nocturne s’est soudain embrasé, une vision incroyable.»

De la lave jaillissait à nouveau d’une fissure sur la péninsule de Reykjanes, près de la capitale, Reykjavik, 800 ans après la dernière éruption. «Pour nous, scientifiques, c’était une chance inespérée.» Il était justement venu avec son équipe pour étudier la série de tremblements de terre en Islande. «Il nous fallait agir vite.» Il s’agissait de documenter cet événement en direct. L’équpe a scanné le sol au centimètre près au moyen de drones, d’interférométrie radar par satellite et de mesures GPS locales, et a ainsi produit des cartes tridimensionnelles des changements. Douze éruptions ont suivi depuis.

Pas plus d’activité, mais une meilleure surveillance

Les secousses sismiques se multiplient également près de Naples, dans le cratère volcanique des champs Phlégréens, depuis l’été 2025. Près de la banlieue de Pozzuoli, la surface s’est soulevée de 4 mètres en forme de cloche sur une zone de plusieurs kilomètres carrés à travers les décennies. Rien d’inhabituel pour les volcanologues. «Nous observons une activité normale après de longues périodes de calme», résume Olivier Bachmann de l’ETH Zurich. Il souligne que les moyens de surveillance n’ont jamais été aussi performants et les informations circulent plus vite. «Cela donne l’impression que l’activité augmente, alors qu’elle est simplement mieux observée.»

Les géologues peuvent désormais enregistrer des changements minimes afin d’évaluer s’il s’agit d’événements normaux ou précurseurs d’une catastrophe. Une série de séismes est comme le pouls du système volcanique. Le soulèvement du sol signale une montée de pression dans une chambre magmatique située en dessous. Les gaz remontant des profondeurs, tels que le CO2, le méthane et les composés soufrés sont d’autres indicateurs de ce qui se passe sous terre. «Mais chaque volcan est différent», rappelle Olivier Bachmann.

«Le ciel nocturne s’est soudain embrasé, une vision incroyable.»Joël Ruch

L’Islande permet de bien étudier ces questions. Elle compte de nombreux systèmes actifs situés à l’endroit où les plaques tectoniques nord-américaine et eurasienne s’éloignent l’une de l’autre de 2 centimètres par an. Une zone de fracture traverse la surface du pays. La dérive des plaques induit des tensions à leurs bords qui, lorsqu’elles se libèrent, provoquent des séismes. Ceux-ci créent des fissures dans la croûte terrestre, à travers lesquelles la lave en fusion peut parfois s’écouler.

La lave basaltique, comme l'appellent les géologues, est plutôt fluide et ne peut accumuler assez de pression pour un événement volcanique de grande ampleur. Le danger de volcans effusifs, tels que ceux de Reykjanes, reste plutôt localisé. La vitesse de montée du magma était toutefois sans précédent dans l’histoire des éruptions basaltiques sous surveillance, remontant en quelques jours d’une profondeur de 20 kilomètres, relève Joël Ruch. «Le délai d’alerte a été extrêmement court et a reposé avant tout sur le réseau sismique local.»

Tsunamis et superéruptions

Désormais, des équipes de recherche comme celle de Joël Ruch, en collaboration avec les autorités islandaises, mesurent en permanence les nouvelles fissures et prélèvent des échantillons pour déterminer la composition du magma et sa teneur en gaz. A cette fin, elles passent souvent jusqu’à seize heures sur le terrain, dans un paysage accidenté – des excursions qui «sont également très utiles pour nos étudiantes et nos étudiants», note Joël Ruch. Elles permettent d’acquérir de nouvelles connaissances, par exemple sur l’apparition de fissures avant une éruption. A Reykjanes, l’activité s’est déplacée vers l’ouest après trois événements survenus en 2023, conduisant à l’évacuation de Grindavik, une localité de 3500 personnes.

«La densité, la viscosité,  ainsi que la teneur en gaz sont des propriétés déterminantes pour savoir si une éruption sera explosive ou effusive.»Olivier Bachmann

Joël Ruch étudie également la caldeira d’Askja en Islande, qui montre des signes d’activité. L’endroit attire les touristes avec son lac profond de 220 mètres. En juillet 2014, des millions de mètres cubes d’éboulis se sont déversés dans l’eau, ce qui a provoqué un énorme tsunami, haut de 80 mètres. Heureusement, c’est arrivé durant la nuit. Mais le danger n’est pas écarté: le centre du cratère sous le lac s’est récemment soulevé de 90 centimètres. «Askja était en 2022 l’un des volcans se déformant le plus vite au monde», estime le géologue.

Malgré une surveillance permanente, les éruptions restent toujours difficiles à prévoir. Une autre approche est de tirer des leçons du passé. Olivier Bachmann de l’ETH Zurich étudie le système Kos-Nisyros-Yali dans la mer Egée. Les roches volcaniques y sont bien conservées en raison du climat sec, constituant une forme d’archive. Les scientifiques analysent la composition de la lave refroidie pour évaluer la densité et la viscosité qu’elle avait ainsi que la teneur en gaz de la chambre magmatique. «Ces propriétés sont déterminantes pour savoir si une éruption sera explosive ou effusive», explique le volcanologue.

Les prédictions restent incertaines

Luca Caricchi tente également d’apprendre de l’histoire. Ce collègue de Joël Ruch à l’Université de Genève travaille dans les champs Phlégréens, la zone volcanique sans doute la plus dangereuse d’Europe, et la mieux surveillée. Les tremblements de terre de l’été dernier ont inquiété la protection civile. Un nouveau projet de recherche a examiné de plus près les ondes sismiques et a révélé des modes de vibration inhabituels. «Ils semblent indiquer la formation de fissures relativement importantes au-dessus du réservoir de magma», explique Luca Caricchi. Il soupçonne que ces fractures pourraient provoquer la remontée de la roche en fusion d’une température d’environ 1000 degrés Celsius. Si elle devait continuer à monter et si la pression de la deuxième chambre, plus profonde et plus vaste, devenait suffisamment grande, elle finirait par atteindre la surface. Serait-ce pour bientôt? «Nous ne le savons pas, répond le spécialiste. Nous ne pouvons qu’interpréter les indices et nous préparer à différents scénarios.»

Les grands cratères volcaniques tels que les champs Phlégréens représentent un défi pour les chercheurs et chercheuses, car leur cycle de vie s’étend sur plus de deux cent mille ans avec un comportement très variable. En particulier, les structures situées à plusieurs kilomètres de profondeur sont difficiles à étudier. Les mesures du champ magnétique terrestre permettent certes de localiser les chambres magmatiques, des zones qui conduisent bien l’électricité, mais elles ne fournissent souvent que des valeurs approximatives. De plus, l'emplacement et la taille de la connexion entre les deux réservoirs sous Pozzuoli ne peuvent être déterminés.

«Nous voulons élaborer des scénarios plausibles qui permettent de prendre les dispositions nécessaires pour évacuer la ville de Naples.»Luca Caricchi

Ces informations seraient justement déterminantes pour les prévisions. Les scientifiques savent certes qu’une superéruption – comme celles survenues il y a 39 000 et 15 000 ans – aurait besoin de grosses quantités de magma remontant depuis la grande chambre située à une profondeur de 10 à 12 kilomètres. «Les modèles montrent qu’une éruption est d’autant plus explosive que la connexion entre les deux réservoirs est étroite», explique Luca Caricchi.

Les modèles intègrent aussi les signaux géologiques laissés par d’anciens événements volcaniques, comme la structure de certains cristaux de lave refroidie, qui dépend de la pression. Le géologue a ainsi découvert que la lave de la dernière explosion violente de 1538 provenait presque exclusivement de la chambre magmatique supérieure, plus petite. C’est différent pour les échantillons des deux superéruptions. «On y trouve des cristaux provenant des chambres supérieure et inférieure, note -t-il. Cette comparaison nous permet de déterminer l'intensité avec laquelle le magma s'est écoulé depuis les profondeurs et a alimenté l'éruption.» Des super­éruptions ne peuvent probablement se produire que si le magma remonte rapidement.

Objectif: disposer d’assez de temps pour évacuer

Les scientifiques progressent ainsi, peu à peu. Ils développent désormais également des outils d'analyse basés sur l’IA pour traiter les données utilisées par leurs modèles et améliorer leurs prévisions. «Nous voulons élaborer des scénarios plausibles qui permettent de prendre les dispositions nécessaires pour l'évacuation de la ville de Naples», explique Luca Caricchi. Selon le plan, elle prendrait au moins 72 heures, un délai similaire à celui pour Reykjanes, en Islande. Les éruptions y présentent une sorte de comportement cyclique qui débute toujours par un soulèvement du sol. Les responsables islandais ont donc défini un seuil d’alarme qui donne ensuite quelques jours pour une évacuation. Toutefois, la zone d’activité pourrait encore se déplacer, note Joël Ruch, comme en 2023 quand Grindavik était soudain directement concernée.