Randonnée déconseillé: le flanc ouest du Petit Dru à Chamonix montre les cicatrices gris clair de divers éboulements rocheux. | Photo: Guillaume Baviere

Chamonix, France, fin juin 2005. Soudain, la vue sur le massif du Mont- Blanc n’est plus la même. En cause: l’effondrement d’une partie du Petit Dru et la disparition du pilier Bonatti sur sa face ouest. Une paroi des Alpes bien connue des alpinistes.

Le Petit Dru est en fait le théâtre d’éboulements réguliers depuis les années 1950 déjà. Mais par son ampleur – 300 000 mètres cubes de roches se sont effondrés –, l’événement de 2005 a marqué le coup d’envoi d’un suivi scientifique détaillé. Tous les automnes, d’octobre 2005 à septembre 2016, l’Université de Lausanne a scanné la paroi rocheuse avec un laser. Objectif: caractériser la structure du massif, ses fractures et ainsi localiser les masses rocheuses instables. Parallèlement, tous les éboulements survenus durant cette période – soit plus de 300 – ont été répertoriés. «Un travail de bénédictin», résume Michel Jaboyedoff, responsable du projet et spécialiste des risques environnementaux à l’Université de Lausanne.

Des lasers et des drones pour plus de précision
Prévenir les risques… oui, mais il n’est pas envisageable de scanner en permanence tous les sommets des Alpes. Actuellement, les scientifiques se concentrent sur les zones instables. «La télédétection par laser est intéressante pour les sites difficiles d’accès et sa précision très bonne. La possibilité d’embarquer des lasers dans des drones offrira à l’avenir de nouvelles perspectives», explique Michel Jaboyedoff. D’autres solutions moins coûteuses existent. La photogrammétrie, c’est-à dire la construction de modèles en 3D à partir de photographies, devrait être amenée à se développer selon le spécialiste.

«Ce suivi détaillé nous a permis de mettre en évidence une cyclicité des éboulements», détaille Antoine Guérin, responsable des relevés. Après le gros événement de 2005, les éboulements se sont progressivement espacés et ont diminué en volume avant de redevenir plus fréquents et plus importants, précédant un gros éboulement en 2011. Puis, à nouveau, la fréquence et le volume ont diminué. «Une découverte importante: si elle se vérifie ailleurs, cette cyclicité permettra de prévoir les effondrements de grande ampleur», précise le scientifique.

Quand la «colle» des Alpes fond

Pour Christian Huggel, géographe à l’Université de Zurich et spécialiste des risques climatiques en montagne, cette étude est riche d’enseignements. «Elle montre que l’érosion s’est accélérée ces dernières décennies, probablement en lien avec le réchauffement climatique, le recul des glaciers et la fonte du permafrost. Nous l’avons constaté sur d’autres sites dans les Alpes, par exemple sur la partie italienne du mont Rose. Il est possible qu’à l’avenir d’autres zones abruptes soient soumises à des instabilités accrues.»

«Les causes des plus gros événements ne sont pas encore bien connues. Il est possible que l’eau, en s’infiltrant dans les failles de la montagne, fasse pression et provoque des fractures.»Marcia Philipps

L’état de santé du permafrost est en effet un sujet d’inquiétude. Cette glace qui se trouve dans les discontinuités rocheuses commence à fondre à des altitudes de plus en plus élevées et permet des infiltrations d’eau en grande profondeur.

Géographe et cheffe du groupe de recherche «permafrost» à l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches (SLF), Marcia Phillips explique: «Nous essayons d’enregistrer tous les éboulements qui surviennent dans les Alpes suisses. Les gros événements – plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes – sont répertoriés précisément par le service sismologique suisse. Les plus petits nous sont signalés par des randonneurs ou des pilotes d’hélicoptère.»

La scientifique précise: «Les petits et moyens événements semblent souvent être liés au dégel du permafrost en été. Par contre, les causes des plus gros événements ne sont pas encore bien connues. Il est possible que l’eau, en s’infiltrant dans les failles de la montagne, fasse pression et provoque des fractures. D’où l’importance, pour prévenir les risques, de mieux connaître la structure interne de la montagne, comme cela a été fait dans le massif du Petit Dru.