Des gouttelettes de graisse circulent dans de microscopiques canaux. Des processus cellulaires sont répliqués dans des systèmes similaires. | Photo: Schaerli Lab

L’usine pharmaceutique du futur se compose d’une puce en plastique. Dans les minuscules canaux creusés à sa surface, les scientifiques font couler de petites gouttes d’huile. Ainsi, ils peuvent produire comme à la chaîne des structures qui ressemblent aux cellules: pas à pas, les gouttes sont truffées de protéines et chargées de substances actives.

«Notre objectif est de remplacer les cellules naturelles ou des parties de celles-ci par des cellules artificielles simplifiées qui permettent de traiter les maladies de façon ciblée», explique Ilia Platzman, biophysicien à l’Institut Max-Planck de recherche médicale à Heidelberg. Avec son équipe, il a ainsi assemblé des gouttes de graisse et des substances capables d’envoyer un signal pour la guérison des plaies. Une idée inspirée par la nature, où les cellules dans des tissus blessés communiquent entre elles par l’intermédiaire de petites bulles similaires, des vésicules.

Dans cette approche de biologie synthétique qui consiste à recréer des cellules neuves à l’aide de composants individuels, la microfluidique décrite ci-dessus joue un rôle important: «Cette technologie nous permet un contrôle précis lors de l’assemblage», affirme Ilia Platzman. Selon lui, il est particulièrement important pour les applications médicales que la taille et la composition de toutes les vésicules soient strictement identiques.

«Naturellement, les vésicules de ce genre ne sont pas de vraies cellules en état de fonctionner», ajoute le scientifique. «On devrait peut-être plutôt parler de robots synthétiques imitant des cellules.» Elles sont par exemple incapables de se diviser et de produire de l’énergie. Mais des progrès sont réalisés même dans ce domaine: les scientifiques sont désormais en mesure de fabriquer des membranes qui délimitent l’extérieur d’une cellule et forment des compartiments à l’intérieur, tout comme le font les mitochondries qui lui fournissent de l’énergie. Et des avancées ont également eu lieu dans l’imitation de la structure qui confère leur stabilité aux cellules et les aide à se diviser.

«On devrait peut-être plutôt désigner ces vésicules de robots synthétiques imitant des cellules.»Ilia Platzmann
Pompe à insuline dans le corps des diabétiques

Le biotechnologue Martin Fussenegger, du Département des biosystèmes à l’ETH Zurich à Bâle, est toutefois sceptique quant à la possibilité d’assembler des cellules plus complexes à partir de composants individuels à l’avenir: «De tels systèmes sont sans doute justifiés pour certaines applications. Mais atteindre la complexité d’une évolution longue de plusieurs millions d’années avec cette approche rationnelle relève selon moi de l’impossible.»

De nombreuses chercheuses et chercheurs, dont Martin Fussenegger, suivent donc une autre approche. Ils ne partent pas de zéro, mais basent leurs créations sur des cellules naturelles, existantes, qu’ils dotent de propriétés supplémentaires taillées sur mesure. La thérapie cellulaire Car-T contre le cancer, utilisée avec succès, a ouvert la voie dans ce domaine. Des cellules immunitaires sont prélevées sur les patientes et modifiées par génie génétique afin que leur surface forme des récepteurs artificiels. Une fois réintroduites dans l’organisme, les cellules cancéreuses sont trouvées par ces récepteurs qui les détruisent.

«Atteindre la complexité d’une évolution longue de plusieurs millions d’années avec cette approche rationnelle relève de l’impossible.»Martin Fussenegger

Martin Fussenegger aimerait également transformer des cellules corporelles à des fins thérapeutiques – à l’aide de circuits synthétiques qui activent et désactivent les gènes en fonction des besoins. L’exemple du diabète de type 1 montre comment ce système pourrait fonctionner en pratique. Chez les personnes atteintes de cette maladie, les cellules bêta du pancréas ne sont plus en mesure de sécréter de l’insuline. Les patientes et les patients doivent donc mesurer leur taux de glycémie plusieurs fois par jour et s’injecter la bonne dose d’insuline pour éviter une hyperglycémie ou une hypoglycémie dangereuses.

L’équipe de Martin Fussenegger a modifié des cellules corporelles dans une boîte de Pétri de sorte qu’elles commencent à produire automatiquement de l’insuline en cas de concentration élevée de sucre dans leur environnement. Pour que cela soit possible, il a suffi d’intégrer à la cellule deux gènes présents dans la nature et de les reprogrammer. L’un des gènes contient le plan de construction d’un canal dans la membrane cellulaire qui transporte le calcium dans la cellule en cas de forte concentration de sucre. L’autre gène contient le plan de construction de l’insuline et est activé par le calcium. Chez des souris diabétiques, les cellules ainsi modifiées ont effectivement assuré un équilibre entre sucre et insuline.

Selon le même principe, les cellules peuvent être transformées pour traiter de nombreuses autres maladies. «Dans l’idéal, la cellule reconnaît un produit du métabolisme signalant une affection particulière et sécrète alors la protéine qui la combat.» Dans de tels systèmes, la cellule est à la fois un capteur et un médicament. Aucun signal extérieur n’est donc nécessaire pour déclencher la production du traitement, le doser ou l’arrêter.

Ainsi, Martin Fussenegger travaille aussi sur des cellules qui reconnaissent les prémices d’une réaction allergique à l’aide de substances de signal et qui sécrètent alors une protéine anti-allergène. Les personnes allergiques pourraient ainsi se passer de croquer un comprimé et ne remarqueraient peut-être même pas que dans leur organisme une réaction allergique est en train d’être étouffée dans l’oeuf. D’autres groupes de travail de son département modifient des cellules de manière qu’elles débusquent et combattent celles qui sont cancéreuses.

«Nous ne sommes pas les inventeurs géniaux de ces systèmes, qui fonctionnent en réalité comme la nature les a faits, relativise le scientifique. Notre organisme ne produit pas non plus des hormones du bonheur ou des substances anti-inflammatoires en permanence, mais uniquement lorsque nous en avons réellement besoin.» C’est clairement là que réside l’avantage par rapport aux médicaments conventionnels qui sont pris en continu et à dose fixe. Actuellement, on ignore encore si la méthode fonctionne également sur l’être humain, quel type de cellules corporelles s’y prête le mieux et combien de temps une telle reprogrammation perdure dans l’organisme.

Du mucus de bactéries capture des particules d’or

L’idée de Yolanda Schaerli de l’Université de Lausanne peut sembler tout aussi futuriste. Elle aimerait transformer des bactéries en biomatériaux inédits. «Ceux-ci seraient non seulement durables et biodégradables, mais pourraient aussi repousser et se réparer eux-mêmes», dit la professeure de biologie synthétique. Elle est également membre du Pôle de recherche national Microbiomes. Le point de départ de son projet est la couche de mucus dont s’entourent les colonies de bactéries. Ces biofilms sont déjà utilisés aujourd’hui pour nettoyer les eaux usées dans les stations d’épuration. Yolanda Schaerli et d’autres groupes de scientifiques ont analysé la manière dont les bactéries communiquent entre elles dans un tel biofilm et se comportent diversement selon le lieu et le moment.

«Nous ne produisons pas non plus des hormones du bonheur en permanence, mais uniquement lorsque nous en avons réellement besoin.»Martin Fussenegger

En utilisant des circuits synthétiques, les chercheuses parviennent déjà à les pousser à suivre un schéma artificiel dans les communautés de bactéries. Yolanda Schaerli a par exemple conçu un circuit génétique qui fonctionne comme un interrupteur. Pour le prouver, elle a créé des bactéries qui luisent en vert ou en rouge selon la position de l’interrupteur.

Pour l’instant, il ne s’agit encore que d’un gadget: «Au lieu de produire de la couleur verte ou rouge, nous pouvons programmer les bactéries pour remplir d’autres fonctions plus utiles», explique-t-elle. Elle travaille ainsi au développement de biofilms pour des applications électroniques. A cette fin, elle modifie les gènes des protéines de la couche de mucus extra-cellulaire pour leur permettre de fixer les particules d’or qui conduisent l’électricité. Sur un biofilm, les scientifiques peuvent ainsi créer des pistes conductrices. Il est aussi envisageable d’intégrer des éléments qui détectent et décomposent certaines substances toxiques. «L’évolution a produit ce qui était utile dans la nature. Mais ce ne sont pas forcément les propriétés que nous souhaitons pour nos applications», explique Yolanda Schaerli. La biologie synthétique doit maintenant venir combler ces lacunes.