La psychologue comportementale Rebekka Weidmann à la cave avec les cartons de déménagement. | Photo: Fabian Hugo

«Je ne pouvais forcer aucune frontière, seulement attendre»
Rebekka Weidmann (32), psychologue comportementale, Michigan State University
Pendant le confinement: a atterri chez ses beaux-parents avec les valises prêtes

«Nous venions de résilier le bail de notre appartement, et de quitter nos jobs, quand le Conseil fédéral a décrété le confinement. Ce n’était pas vraiment une surprise, mais quand les Etats-Unis ont fermé leurs frontières, j’ai d’abord été secouée. Avions-nous mis notre vie en Suisse entre parenthèses sans pouvoir en commencer une nouvelle? En fait, le 1er juin aurait dû débuter mon séjour PostDoc Mobility à l’Université d’Etat du Michigan où je voulais poursuivre mes projets. J’étudie les interactions entre la personnalité, la santé et le bienêtre personnel, en particulier dans les relations étroites.

«Ce qui m’a le plus pesé, c’était de me sentir impuissante»

Ce qui m’a le plus pesé pendant ces mois, c’était de me sentir impuissante. Je ne pouvais forcer aucune ambassade, aucune frontière, seulement attendre. Une fois, je me suis même demandé si je ne devais pas envoyer un tweet au président Trump. Mais cela n’aurait pas servi à grand-chose. J’aurais évidemment aussi pu commencer en home office, mais ce n’est pas l’idée d’un séjour de recherche à l’étranger. Par chance, tout le monde autour de nous a été formidable. J’ai pu travailler plus longtemps que prévu à l’Université de Bâle et mon partenaire a pu prolonger son contrat à deux reprises. Nous occupons actuellement avec notre petit garçon deux pièces chez mes beaux-parents. C’est étroit, mais à la mi-septembre nous avons enfin reçu de bonnes nouvelles. L’ambassade nous a assuré que nous pourrions partir pour les Etats-Unis en novembre 2020.»

L'infectiologue Niccolò Buetti a veillé à l'hygiène dans un hôpital fortement frappée par la Covid-19. | Photo: Sébastien Agnetti

«Je trouvais moralement indéfendable de simplement poursuivre mes recherches»
Niccolò Buetti (37), infectiologue, Inserm (Paris)
Pendant le confinement: a interrompu sa recherche pour aider à l’hôpital de Locarno

«Je suivais sans cesse les infos sur la Covid-19 et comment la situation devenait toujours plus critique en Suisse. En tant que Tessinois, je lisais aussi les journaux italiens, et là, c’était pire encore. Je trouvais moralement indéfendable de simplement poursuivre mes recherches sur les bases de données à Paris. Un soir, un ex-collègue médecin m’a contacté pour me dire qu’il était temps de quitter le laboratoire et d’aller sur le terrain. C’était un moment clé pour moi. Je suis donc allé à Locarno.

«Aider va de soi quand on peut le faire»

C’est là que mes parents habitent et c’est dans l’hôpital local qu’étaient soignés les malades tessinois de la Covid-19. Je connaissais cet établissement pour y avoir travaillé à la fin de mes études. En temps normal, il y a peut-être cinq malades intubés aux soins intensifs. Là, il y en avait 70! Cela touche forcément. Mais quand on est médecin, on a l’habitude d’entrer et de se mettre au travail. J’ai donc supervisé les services des maladies infectieuses et d’hygiène hospitalière de mars à mai. Comme il n’y avait qu’une seule autre infectiologue sur le terrain dans cet hôpital, mes connaissances ont été bien appréciées. Je suis très content d’avoir mis mes recherches en pause et d’avoir fait quelque chose pour les Tessinois. Dans une situation comme celle-là, c’est normal d’aider si on en a la possibilité.»

Amy Macfarlane, physicienne de la neige, a passé plusieurs mois au milieu de la banquise. | Photo: Ornella Cacace

«Pour certains c'était quand même dur d'être bloqués là»
Amy Macfarlane (26), physicienne de la neige, SLF (Davos)
Pendant le confinement: bloquée sur un brise-glace dans l’Arctique

«Alors, nous avons compris que nous étions bloqués ici, au milieu de la banquise. L’équipe qui devait nous relever n’allait pas venir, ne pouvait pas venir parce que les bateaux ne naviguaient plus, qu’aucun avion ne volait. On parlait déjà du virus fin janvier quand je suis partie pour ce séjour de recherche à bord du Polarstern, cette grande aventure, mais d’une certaine façon cela semblait encore lointain. Je suis finalement arrivée sur le brise-glace début mars et les informations reçues devenaient toujours plus préoccupantes au fil de notre progression. Mais c’était tellement beau là-bas, à couper le souffle quand le soleil s’est levé pour la toute première fois après la longue nuit polaire, que je me suis d’abord concentrée sur mes recherches.

«Seul le dentifrice a failli nous manquer»

Puis, quand le grand morceau de banquise sur lequel notre hélicoptère devait se poser s’est brisé, la relève n’était plus qu’une perspective lointaine. Nous étions 40 à 50 chercheurs et 40 membres d’équipage. En fait, l’ambiance était très bonne. Mais pour certains, en particulier pour ceux qui avaient des enfants à la maison, c’était quand même dur d’être bloqués là.

Pour moi, ce n’était pas si grave. J’aimais mon travail là-bas, sortais chaque jour sur la glace pour prélever des échantillons de neige. J’étudie la microstructure et les propriétés chimiques de la couverture neigeuse de la mer de glace. Et je ne m’inquiétais pas pour l’approvisionnement. Seul le dentifrice nous aurait manqué à un moment donné. Cela m’a tellement plu qu’en juin, lorsqu’il a été de nouveau possible d’être relevée, j’ai décidé de rester deux mois de plus.»

La biologiste moléculaire Kristina Schoonjans a vécu des semaines traumatisantes. | Photo: Anoush Abrar

«Nous avons dû euthanasier les animaux»
Kristina Schoonjans (52), professeure de biologie moléculaire, EPFL
Pendant le confinement: a dû euthanasier la moitié des souris de son laboratoire

«A la mi-mars, l’animalerie de l’EPFL devait agir vite dans un contexte très incertain. Partout, il était question de fermer les frontières, alors que nous attendions une livraison de nourriture de l’étranger et que de nombreux animaliers sont frontaliers. Le confinement allait clairement retarder nos expérimentations animales, mais les protocoles exigent un âge bien précis pour les souris. Nous avons dû prendre, avec nos collègues du Centre de phénogénomique, la difficile décision d’euthanasier les animaux les moins indispensables.

«Mes chercheurs étaient dévastés»

Dans mon laboratoire, nous avons dû sacrifier la moitié de nos souris. Les deux premières semaines ont été très difficiles. J’ai dû décider quels projets étaient prioritaires et quels projets devaient être interrompus, ce qui impliquait l’euthanasie des souris en question. Je l’ai vécu comme un traumatisme. Mes chercheurs étaient dévastés. C’était un gâchis financier , mais surtout éthique, vis-à-vis des souris. Et un désastre professionnel pour mon équipe. A cause de cela, certains chercheurs ne pourront pas terminer leur projet alors qu’ils sont brillants et représentent la relève. Mon but maintenant est de faire redémarrer les projets arrêtés, mais certains doivent repartir de zéro. Elever des rongeurs pour une recherche peut prendre jusqu’à un an.

J’espère que les institutions vont comprendre que certains laboratoires ont subi des pertes bien plus importantes que d’autres, et accorderont un délai aux chercheurs concernés. Je me battrai pour cela.»

Spécialiste en data science, Stuart Grange visite une entrée d'air. | Photo: Désirée Good

«Cela nous a donné un petit avant-goût de ce que pourrait être la situation en Europe dans vingt ans»
Stuart Grange (32), spécialiste en data science, Empa (Dübendorf)
Pendant le confinement: recherche sur la qualité de l’air durant cette période

«Je vis très loin de chez moi depuis plus de cinq ans déjà. Cela ne m’avait jamais posé de problème. Je pouvais prendre le prochain vol pour rentrer rapidement à la maison. Mais ce n’est plus le cas. Maintenant, je me sens en quelque sorte comme coupé de tout ce qui se passe chez moi en Nouvelle-Zélande. J’ai été toutefois extrêmement occupé pendant le confinement, ce qui a détourné mon attention. En tant que spécialiste en science des données auprès de l’Empa, j’ai pris en charge un nouveau projet de recherche. Dès fin mars, j’ai étudié les conséquences de l’arrêt de la société sur la qualité de l’air en Suisse. La très forte réduction du trafic routier a effectivement eu des conséquences, du moins dans les régions urbaines. Les taux de dioxyde d’azote ont baissé de 20%. Mais ce qui nous a étonnés, c’est que les taux d’ozone ont simultanément augmenté autour des 20%. Nous savons certes que ces deux valeurs sont corrélées, mais nous ne nous attendions pas vraiment à ce que l’ozone augmente fortement en dépit de la baisse du trafic. La météo y a certainement joué un rôle: nous avons eu des semaines inhabituellement ensoleillées pendant le mois d’avril, ce qui a probablement eu une influence supplémentaire sur les taux d’ozone.

«Les taux de dioxyde d’azote ont baissé de près de 20%»

Cela nous a donné un petit avant-goût de ce que pourrait être la situation en Europe dans vingt ans. Nous publierons prochainement les résultats de notre travail, mais il m’importe de suffisamment prendre notre temps. Au cours des derniers mois, trop d’études ont été publiées de manière précipitée.»