Antonio Loprieno est président des Académies suisses des sciences. | Photo: Andri Pol

Il faut distinguer de manière rigoureuse les informations plausibles, dit Antonio Loprieno, président des Académies suisses des sciences. | Photo: Andri Pol

Nous simulons afin d’exposer quelque chose de manière plus claire que nous ne pourrions le faire de façon analogique. Nous simulons aussi afin de masquer ce que nous préférerions laisser méconnu. La simulation est aussi bien une représentation imagée des processus scientifiques qu’une déformation des faits réels. Dans une précédente colonne d’Horizons, j’avais déjà attiré l’attention sur ce paradoxe du virage numérique pour notre culture scientifique: la diversité sémantique de la notion de simulation.

Le virage numérique a transformé notre accès aux connaissances sous un triple aspect. Notre savoir est devenu davantage imagé, social et disponible. Le savoir transmis par le biais d’images nous est plus proche émotionnellement que celui expliqué par des mots. Le savoir numérique est aussi plus social que les formes traditionnelles de connaissances, car il est contrôlé et piloté par une communauté en ligne, comme celle des auteurs de Wikipédia. Il est enfin plus disponible que son pendant analogique car nous pouvons assimiler et gérer de grosses quantités de données en un minimum de temps.

Mais est-ce vraiment le savoir dans son entier qui devient plus imagé, social et disponible – ou seulement quelques fragments? Ces morceaux doivent non seulement être transmis mais avant tout regroupés s’ils veulent se consolider en de nouvelles connaissances. Sans connexion contextuelle, ils perdent leur autorité potentielle et peuvent être plus facilement manipulés. Le savoir numérique est rapidement accessible, mais uniquement sous une forme indisciplinée.

C’est pourquoi nous parlons aussi de «disciplines» lorsque nous nous référons à différentes spécialités scientifiques: derrière leurs divers fragments de savoir se cache une logique qui organise, un algorithme analogique qui nous permet de différencier de manière rigoureuse une information plausible de celle qui ne l’est pas. Derrière le savoir discipliné, il y a toujours la croyance en sa plausibilité, ce qui le différencie des découvertes fortuites indisciplinées, des théories du complot ou des chiffres bruts.

Comment fait-on la distinction entre savoir discipliné et fragments de savoir indisciplinés? En utilisant la raison critique qui se démarque de l’esprit non critique par l’examen du contexte des diverses unités de savoir. Notre travail de recherche et d’enseignement ou celui que nous accomplissons dans la politique de la science s’attache principalement aux questions de plausibilité. C’est de manière analogique que nous devons rendre l’abondant savoir numérique crédible, en l’apprivoisant, en le disciplinant, et en l’amenant dans des canaux transparents. Une tâche difficile mais passionnante.