«Travaille, aime ce que tu fais et reste humble»: la devise de Botond Roska, neurobiologiste. | Image: Valérie Chételat

C’est avec des superlatifs que ses collègues le décrivent: «époustouflant», «unique», «brillant»… Car Botond Roska s’est fait un nom avec ses recherches sur la rétine humaine. Ces derniers mois, le neurobiologiste de 48 ans et son équipe bâloise ont réussi à cultiver en éprouvette une rétine artificielle parfaitement opérationnelle. Un tournant dans le monde scientifique.

«Bonjour, je suis Botond», dit l’homme avenant qui m’accueille à l’entrée très surveillée du campus Novartis à Bâle. Nous longeons les bâtiments conçus par les stars de l’architecture mondiale pour nous rendre dans la partie arrière du périmètre.

C’est là que se sont installés provisoirement il y a quelques semaines les laboratoires de l’Institut d’ophtalmologie moléculaire et clinique de Bâle (IOB) fondé en décembre dernier par Botond Roska et Hendrik Scholl, médecin-chef de la clinique de l’oeil à l’Hôpital universitaire de Bâle.

«Notre but est de conjuguer recherche fondamentale et médecine pour développer de nouvelles méthodes de traitement.» Botond Roska caressait l’idée d’un tel institut depuis des années. Il est financé par l’Université de Bâle, l’Hôpital universitaire et Novartis, à hauteur de 20 millions de francs annuels. Dix nouvelles chaires et plus d’une centaine d’emplois doivent être créés ces prochaines années.

«Le matin, je réfléchis. L’après-midi, je discute.»

Le grand intérêt suscité par les recherches de Botond Roska repose sur des raisons très concrètes. L’augmentation de l’espérance de vie va entraîner une forte croissance des maladies des yeux dans de nombreux pays. D’un autre côté, l’ophtalmologie n’a pas connu de véritables innovations ces dernières décennies. Botond Roska entend changer la situation et «contribuer à redonner la vue à des personnes aveugles». Comment? En menant des recherches de pointe qui conjuguent médecine, neurosciences, nanotechnologie et mathématiques.

Le chercheur natif de Hongrie a notamment identifié des types de cellules à l’origine de certaines affections, ce qui offre de nouvelles cibles pour des traitements basés sur la thérapie génique. Son équipe manipule des virus afin qu’ils transportent du matériel génétiquement modifié dans les cellules malades. Cette approche devrait à l’avenir permettre de traiter une multitude de maladies, dont des dégénérescences de la rétine telles que les rétinites pigmentaires ou la maladie de Stargardt.

Installé devant son laptop, Botond Roska montre des images de la rétine cultivées dans son laboratoire. Des couleurs distinguent les différents types de cellules. Il y en a une centaine. «On peut voir les cellules comme de petits ordinateurs qui sont reliés entre eux pour former un supercalculateur, explique-t-il. La rétine est un processeur d’image qui peut être appréhendée de manière complète par les mathématiques. C’est d’ailleurs une langue dont j’aime la clarté et qui est à la base de ma manière de comprendre.»

Son intérêt pour les yeux s’est éveillé lors d’un souper en compagnie d’une connaissance de son père, raconte-il. Le fils d’une musicienne et d’un informaticien a grandi à Budapest. Passionné de musique, il étudie le violoncelle jusqu’à ce qu’une blessure à la main mette prématurément fin à sa carrière. Contraint de se réorienter, il entame des études de mathématiques et de médecine. Mais après son diplôme, il ne se sent pas prêt à travailler comme praticien: «J’en savais encore trop peu sur l’organisme humain.»

Laisser une trace

Sa fascination pour la rétine l’amène à se tourner vers les neurosciences, en Californie puis à Boston. Il vient en Suisse en 2005 à l’Institut Friedrich Miescher, un centre de recherche privé situé à Bâle. Voilà cinq ans, il se fixe un objectif ambitieux: «Je me suis dit qu’au moins une de mes découvertes devrait faire progresser la médecine de manière importante.»

Botond Roska se décrit lui-même comme un possédé. «Quand je suis éveillé, je réfléchis.» Une grande partie de son temps est passée à voyager: il participe à des conférences une vingtaine de fois par année – il revient d’ailleurs de Barcelone, Paris, Honolulu, Boston et Stanford. Autant d’échanges avec d’autres chercheurs qui s’avèrent «indispensables» à ses recherches.

Sinon, ses journées sont rigoureusement structurées: «Le matin, je réfléchis. L’après-midi, je discute avec les gens.» Il consacre au réveil une heure à des problèmes mathématiques, «pour entraîner mon cerveau». Ensuite, il s’assied à sa table et pense à ses recherches – la plupart du temps dans son appartement d’Oberwil, un peu en dehors de Bâle. A midi, il enfourche son vélo pour se rendre à l’institut. Il y rencontre son équipe ou d’autres chercheurs mais le plus souvent Hendrik Scholl. Les deux hommes communiquent tous les jours, également le week-end. «Nous sommes en échange permanent. C’est le seul moyen d’unifier les cultures différentes de la recherche en laboratoire et de la médecine hospitalière.»

Les loisirs n’ont guère de place dans sa vie. «C’est plus facile de réfléchir, sourit-il. Et je suis vite mal à l’aise lorsqu’il y a beaucoup de monde.» Il s’arrête parfois de travailler, mais uniquement le dimanche. Il joue alors du violoncelle, écoute du Bach et passe du temps avec sa famille. Pour lui, Bâle représente le meilleur site de recherche au monde. On y trouve les moyens de financer des travaux de recherche, et il apprécie le calme de la ville et la modestie des gens. «Travaille, aime ce que tu fais et reste humble: pour moi, c’est le bon chemin pour réussir sa vie.» Mais la discussion doit s’arrêter: Botond Roska a rendez-vous avec un collègue. Il est bientôt 18 heures, et aujourd’hui encore, le scientifique passionné par la rétine n’est pas près d’arrêter de travailler.

Du violoncelle à la médecine
Né en 1969, Botond Roska a d’abord étudié le violoncelle, puis les mathématiques avant d’entreprendre des études de médecine à Budapest. Il fait une thèse en neurosciences à l’Université de Californie à Berkeley, puis un postdoc à la Harvard Medical School de Boston. Il revient en Europe comme responsable de groupe à l’Institut Friedrich Miescher de Bâle. Il fonde dans cette ville en 2017 l’Institut d’ophtalmologie moléculaire et clinique. Botond Roska vit avec sa femme et deux de ses trois enfants à Oberwil (BL).

Simon Jäggi est journaliste à Bâle.