Paru en 1972, Pong est l’un des premiers jeux vidéos commerciaux, ainsi qu'une icône culturelle, ici détournée en un émoticône d’avant l’heure. | Image: 2. Stock Süd

Le renversement est total: il y a encore une décennie, les jeux vidéo faisaient figure d’épouvantail. A cause d’eux, des adolescents s’isolaient dans un univers coupé de la réalité et devenaient violents. Cette vision simpliste et hystérique a laissé la place à des rapports normalisés avec cette culture émergente. Les experts relèvent volontiers le poids économique du domaine – plus grand que l’industrie du film –, alors que des hautes écoles helvétiques se profilent avec des cours en «game design».

Cette évolution va plus loin. Certains mettent désormais en avant leur expérience de jeux collaboratifs en ligne – les fameux MMORPG tels que World of Warcraft – dans leur CV. Avec une certaine logique: skyper avec un coéquipier coréen tout en sirotant un café, basculer d’une scène de combat à une carte stratégique, filtrer une avalanche d’informations ou encore s’investir toute la nuit pour atteindre son objectif et grimper au classement constituent autant de compétences exigées et désirées dans le milieu professionnel contemporain. On ne peut plus ignorer l’importance croissante de la culture numérique, de ses codes et de ses pratiques. Les adeptes des jeux vidéo partent avec une longueur d’avance: ils ont déjà appris à évoluer aussi bien dans les mondes réel que virtuel.

La science s’intéresse désormais aux bienfaits de la pratique des jeux vidéo. Mais il serait illusoire de penser que les gamers d’aujourd’hui seront forcément les employés modèles de demain. Cet espoir un peu naïf semble faire écho au malaise éprouvé vis-à-vis des bouleversements induits par la numérisation de la société. Face à l’inconnu, nous nous précipitons souvent sur le premier remède venu en lui attribuant des pouvoirs quasi magiques.

L’école mais aussi les parents auront ici un rôle crucial à jouer. Devant la passion de son enfant pour les mondes virtuels, l’appréhension, l’incompréhension ou l’indifférence doivent disparaître au profit d’un vrai échange. Afin de préparer au plus vite la nouvelle génération – ainsi que l’ancienne – à un monde réel qui ressemble certes de plus en plus à un jeu, mais dans lequel manquent cruellement les bonus, vies gratuites et autres boutons «restart».

Daniel Saraga, rédacteur en chef