Chaque année, les bibliothèques universitaires dépensent des millions de francs pour l’accès aux publications scientifiques. | Image: Keystone/Gaetan Bally

Le grand public devrait pouvoir accéder gratuitement aux résultats des recherches financées par l’argent public – l’essence du mouvement de l’open access. En Suisse aussi, les débats autour du libre accès font rage.

Par un hasard du calendrier, le droit d’auteur fait actuellement l’objet d’une révision. La nouvelle loi devrait être finalisée d’ici à 2020 et tenir compte également des intérêts de la science. Le projet de loi a été présenté en novembre dernier. Après de longues hésitations, il n’inclut finalement pas de droit de publication secondaire, soit le droit de faire paraître gratuitement une deuxième fois une publication originale sur une plateforme électronique. Il s’agit pourtant d’un fondement important du libre accès. Dans sa prise de position lors de la procédure de consultation sur le projet législatif, le FNS écrit notamment que le libre accès nécessite un droit de publication secondaire inscrit dans la loi.

«Deux versions d’un même texte pourraient se retrouver en circulation.»Willi Egloff

Aujourd’hui, les scientifiques cèdent généralement à leur éditeur leurs droits d’auteur. S’ils publient leurs travaux dans un réseau de recherche ou sur leur propre site Internet, ils violent les droits de l’éditeur et s’exposent à des poursuites. Ils peuvent ainsi faire l’objet d’une action en cessation ou une demande de dommages et intérêts. Il en va de même pour les universités qui incluent des textes dans leurs fonds. Résultat: certains renoncent à une publication sur Internet, ce qui n’est pas dans l’intérêt de la science et de la recherche.

Daniel Hürlimann se dit déçu. Le professeur assistant à l’Université de Saint-Gall, fervent défenseur du droit de publication secondaire, estime que renoncer à ancrer ce dernier dans le droit de la propriété intellectuelle compromet la Stratégie nationale sur l’Open Access. A ses yeux, le problème fondamental du droit de publication secondaire vient du fait qu’on prend le droit d’auteur à la légère. «De nombreux auteurs scientifiques cèdent leurs droits à leur éditeur sans réfléchir à ce que cela signifie.» Ils le font parce qu’ils ne se préoccupent pas de leurs droits ou ne leur accordent pas beaucoup d’importance. Théoriquement, il serait possible de conclure des contrats différents avec les éditeurs. «Mais le souci numéro un d’un scientifique est d’être publié et cité, explique Daniel Hürlimann, raison pour laquelle les détails du contrat passent au second plan.»

Interdire le transfert des droits

Pour remédier à cette situation, Daniel Hürlimann propose d’ancrer le droit de publication secondaire dans le Code des obligations. Les auteurs pourraient ainsi conserver les droits sur leurs travaux et la possibilité de les publier en ligne. Dans une prise de position présentée avec le professeur de droit à l’Université de Zurich Florent Thouvenin, il suggère un nouvel article spécifiant qu’on ne peut céder à un éditeur le droit de donner accès gratuitement à un article scientifique issu de recherches financées par de l’argent public. Daniel Hürlimann en est convaincu: la loi doit mieux prendre en compte les intérêts de la science.

L’avocat bernois et expert du droit d’auteur Willi Egloff soutient une autre opinion. Il n’est pas favorable au droit de publication secondaire, jugeant qu’il serait plus judicieux de régler d’abord la question de la publication première. «La publication secondaire fait débat uniquement parce que la publication première ne fonctionne pas.» A ses yeux, la situation présente – des éditeurs qui publient les travaux mais exigent une rétribution pour la lecture sur Internet – n’est pas tenable. Il serait nécessaire, estime-t-il, d’activer des leviers pour que chacun ait accès gratuitement en ligne aux résultats de recherches. Les éditeurs devraient changer leur stratégie commerciale, ce qui exigerait «un travail de persuasion». Au demeurant, l’avocat doute qu’avec l’approche actuelle les éditeurs génèrent des revenus importants, alors que de leur côté les auteurs ne reçoivent de toute façon aucune redevance.

Willi Egloff voit deux problèmes supplémentaires: «Avec un droit de publication secondaire, deux versions d’un même texte pourraient se retrouver en circulation. Cela aurait des conséquences négatives sur la citation de textes scientifiques.» Daniel Hürlimann réfute: «On utiliserait la même version que lors de la publication première.» Willi Egloff n’attend pas non plus grand-chose de la proposition figurant dans le projet de loi de rendre impérative l’application du droit suisse en cas de publication par une maison d’édition étrangère. Cette exigence tomberait à plat et laisserait de glace les éditeurs étrangers. «Il conviendrait de garder clairement en tête que les auteurs aspirent à pouvoir être publiés dans des revues renommées comme Nature ou Science pour faire avancer leur carrière scientifique et qu’en cas de succès, ils n’ont d’autre choix que d’accepter les conditions des éditeurs. Or, le droit étranger applicable au contrat d’édition fait aussi partie de ces conditions.» Pour Daniel Hürlimann en revanche, il importe peu que les éditeurs étrangers s’en préoccupent: «Il serait licite que les textes d’auteurs d’universités suisses soient accessibles en ligne.»

Willi Egloff est fermement convaincu que la réussite de la Stratégie nationale sur l’Open Access ne doit pas dépendre du droit de publication secondaire. «La Confédération doit mieux veiller à ce qu’en son sein et en celui de toutes les organisations qu’elle soutient financièrement le public puisse effectivement accéder aux données et aux publications.» En attendant, l’avocat propose une solution pragmatique mais contestée: publier simplement les travaux scientifiques sur les sites des instituts de recherche ou directement sur ceux des auteurs. «A ma connaissance, il n’existe pas de cas où l’éditeur serait intervenu.»

Même si le Conseil fédéral ne retient pas l’idée d’un droit de publication secondaire dans le projet de loi, il entend néanmoins suivre attentivement la discussion au niveau européen afin de «pouvoir évaluer un éventuel besoin d’agir», comme l’indique l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle. En contrepartie, le projet législatif introduit une clause importante en faveur de la science. Elle autorise l’utilisation de travaux protégés pour le data et text mining, à savoir l’exploitation de textes et de données à des fins d’analyse par des tierces personnes. Cela sans l’accord de l’auteur ni rétribution financière. La révision du droit d’auteur est désormais entre les mains des Chambres fédérales.

Michael Baumann est journaliste indépendant à Zurich.

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L’idée du libre accès («open access»): les résultats de recherches financées par de l’argent public constituent un bien de la collectivité qui devrait être accessible gratuitement en ligne. Depuis des années, le sujet est débattu âprement au niveau international, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas. Au printemps 2017, la Suisse a adopté une Stratégie nationale sur l’Open Access qui vise à instaurer un libre accès aux études subventionnées dès 2024. Favorable à cette initiative, le FNS a décidé de faire de cet objectif une réalité à partir de 2020 pour la totalité des publications relatives aux travaux qu’il soutient.