Patient atteint d’un carcinome de la vésicule biliaire, 84 ans, deux jours avant son décès. Extrait d’interviews menés dans le cadre du projet de recherche «Désirs de mort chez les personnes gravement malades», conduit par Heike Gudat, spécialiste en médecine palliative.

Tristesse ou soulagement, paralysie ou nouveau départ: pour les proches, l’achèvement d’une vie peut prendre de nombreux visages. Collectivement, la société oscille entre une tabouisation qui a fait disparaître les corps des foyers et une personnalisation croissante de la manière dont nous désirons dire adieu à la vie. Ce nouveau champ de l’individualisme moderne génère une pression inédite: il s’agit de «réussir sa mort», comme on réussit sa carrière, son équilibre personnel, voire son accouchement … Nous devons désormais craindre l’échec ultime, écrit Daniel Di Falco (p. 12): celui de rater son départ.

La mort est un absolu, une sentence inéluctable, un passage définitif. Mais lorsqu’on la regarde en face, cette vision si nette s’estompe rapidement. La biologie peine à définir le décès: il s’agit d’un processus qui s’étale sur des semaines (p. 15). Ce continuum a des conséquences importantes, notamment pour les décisions liées à la transplantation.

Il s’agit bien d’un domaine dans lequel la science ne saurait apporter de réponses définitives. Au contraire, chaque recherche est susceptible de soulever de nouvelles questions, que ce soit sur le plan médical, sociétal, juridique ou philosophique. A chaque société d’y trouver la réponse qui convient. La mort a beau être universelle, notre manière de la gérer est profondément locale, ancrée dans notre culture, notre religion, notre conception de l’individu et du groupe.

Les pays riches seront toujours davantage confrontés à la manière de gérer la fin de la vie. La médecine ne peut qu’hésiter entre son devoir de guérir et la volonté d’autonomiser le patient, de lui donner la possibilité de décider lui-même quand débrancher les machines, quand refuser la thérapie, quand accepter l’inéluctable (p. 21). Ce choix, si intime, peut nous dépasser. La société se doit de nous accompagner dans cette épreuve. C’est une décision individuelle à prendre de manière autonome, oui. Mais si possible pas tout seul.