Der CMS-Detektor wird 2006 noch oberirdisch zusammengebaut. Später im Tunnel wird er helfen, das Higgs-Boson nachzuweisen. | Foto: Cern

En 2006, le détecteur CMS est encore assemblé en surface. Plus tard, dans le tunnel, il va aider à prouver la présence du boson de Higgs. | Photo: CERN

Le 4 juillet 2012, l’euphorie était certes à son comble parmi les 6000 chercheuses et chercheurs du Large Hadron Collider (LHC) du CERN, le laboratoire européen pour la physique des particules. L’existence du boson de Higgs était prouvée. C’était la confirmation d’une prédiction vieille de 45 ans, la dernière pièce du puzzle d’une théorie désignée de modèle standard (voir encadré: «Le modèle standard: beau, mais incomplet»). Or, depuis, il ne s’est plus passé grand-chose.

Certes, au cours des dernières années, une armée de physiciens théoriques ont prédit une multitude de particules exotiques. Mais les espoirs de les prouver également sont restés vains. «Rien de cela ne s’est produit», résume Sabine Hossenfelder, physicienne au Centre de philosophie mathématique de l’Université Louis-et-Maximilien de Munich. «Il semble que quelque chose ait mal tourné à un niveau fondamental. Nous perdons ainsi des générations entières de physiciennes.»

Le modèle standard: beau mais incomplet
Formulé il y a une cinquantaine d’années, le ­modèle standard synthétise avec succès toutes les découvertes essentielles de la physique des particules. Il comprend au total 17 particules élémentaires. Douze d’entre elles sont des particules de matière telles que les quarks, qui composent le noyau de l’atome, ou les leptons, dont font partie les électrons et les neutrinos. Quatre des cinq autres particules sont des vecteurs de forces: le photon est par exemple le médiateur de l’interaction électromagnétique et le gluon celui de l’interaction forte qui lie les quarks ensemble et leur permet ainsi de donner naissance aux protons et aux neutrons qui constituent le noyau atomique. La détection de la dernière particule élémentaire qui manquait encore, le boson de Higgs, a été annoncée en juillet 2012 par le Large Hadron Collider (LHC) du CERN. Celle-ci confère leur masse aux autres particules. Mais le modèle a aussi une ­faiblesse: il n’explique pas la force de gravité.

Les scientifiques du LHC sont sous pression pour trouver enfin des indices d’une nouvelle physique dans l’actuel cycle de mesures. Après trois ans de pause, les protons s’entrechoquent à nouveau dans le tube long de 27 kilomètres, afin de produire d’autres particules et d’observer leur désintégration. Et de préférence des particules encore inconnues. Une meilleure focalisation des faisceaux et une énergie de collision record de 13,6 téraélectronvolts (TeV) doivent enfin mettre un terme aux déceptions. «S’ils ne trouvent rien, ce champ de recherche est mort», déclarait en juin 2022 le physicien des particules Juan Collar de l’Université de Chicago dans la revue spécialisée Science.

La crise est aussi liée à l’étonnant succès du modèle standard de la physique des particules (lire encadré ci-dessus). Mais les chercheurs savent depuis longtemps qu’il ne peut s’agir de la théorie complète de la nature. Car ce modèle ne décrit ni la gravité, ni la mystérieuse matière noire qui devrait constituer 80% de la matière de l’Univers et dont la composition reste à ce jour une énigme.

Stagnation dramatique ou habituelle?

«Le problème de l’incompatibilité des théories fondamentales de la physique préoccupait déjà Einstein et le physicien suisse Fritz Zwicky il y a cent ans», dit Sabine Hossenfelder, autrice du livre «Lost in maths. Comment la beauté égare la physique». Elle déplore l’absence d’idées fondamentalement nouvelles dans la discipline. «Les bonnes théories reposent sur la résolution d’une contradiction dans les théories existantes», dit-elle. Des approches telles que la théorie des cordes, qui faisait partie des candidates pour une théorie unifiée, sont certes intéressantes sur le principe. «Mais il faut toujours les tester expérimentalement et les accélérateurs de particules ne sont pas adaptés pour cela.» La chercheuse table plutôt sur la mise à l’épreuve des théories dans de petits laboratoires.

De nombreux physiciens des particules, tel Nicola Serra, professeur à l’Université de Zurich, voient cette prétendue stagnation de la physique des particules de manière moins dramatique. «Nous avons atteint un niveau élevé de compréhension. Chaque nouveau progrès est donc difficile. Dans des champs de recherches si complexes, il est normal que la progression fluctue. Nous sommes arrivés à des questions très profondes qui restent à résoudre», dit-il.

«Les théories sont devenues toujours plus compliquées. Et ce n’est pas parce que ces prolongements mathématiques prévoient de nouvelles particules que c’est scientifique.»Sabine Hossenfelder

Ainsi, par exemple, les neutrinos ont une masse, mais le modèle standard les traite comme s’ils n’en avaient pas. Cette contradiction pourrait être résolue si l’on parvenait à trouver des neutrinos dits droitiers. Ils permettraient d’expliquer pourquoi il y a dans l’Univers tellement plus de matière que d’antimatière et ils sont aussi considérés comme des candidats pour la matière noire. «Malgré ses succès importants, le modèle standard a au moins besoin d’une extension minimale», dit Nicola Serra, qui mène aussi des recherches au CERN.

Une réponse envisageable aux questions ouvertes est ce qu’on appelle la supersymétrie – un prolongement mathématique qui attribue à chaque particule connue du modèle élémentaire une particule partenaire plus lourde. Jusqu’ici, aucune de ces particules n’a été trouvée. «Au lieu de cela, les théories sont devenues toujours plus compliquées», note Sabine Hossenfelder. «Et ce n’est pas parce que ces prolongements mathématiques prévoient de nouvelles particules que c’est scientifique. On ne produit là qu’une infinité d’articles sans valeur.»

Sensations, corrections, sensations...

Même sans nouvelles particules, de petites divergences apparaissent toujours entre les mesures et les prédictions du modèle standard. C’est précisément ce genre d’anomalies que traque Nicola Serra. Avec ses collègues du CERN il travaille sur le phénomène du Flavour Puzzle.

Il s’agit de savoir pourquoi les membres des familles de particules de matière ont un modèle si particulier dans leurs masses, pourquoi par exemple l’électron léger a deux partenaires plus lourds, le muon et le tau. «Les anomalies de flaveur doivent être confirmées de façon expérimentale et théorique. Elles pourraient alors devenir un élément dans la solution de ce mystère», dit Nicola Serra.

«L’IA pourrait devenir une sorte de copilote pour les physiciennes des particules et voir des choses que nous, les humains, ne pouvons identifier.» Nicola Serra

Toutefois, à la suite d’une correction statistique, les anomalies effectivement observées se sont réduites, et avec elles l’euphorie. C’est d’ailleurs récurrent en physique des particules: les annonces sensationnelles sont souvent rétractées après un examen approfondi. Cela est arrivé avec les neutrinos qui, en 2011, se seraient envolés du CERN vers le massif du Gran Sasso à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Il s’est avéré en 2012 qu’il s’agissait d’un câble défectueux et d’une statistique erronée.

Il pourrait en être de même pour les bosons W, qui étaient plus lourds que prévu au Fermilab près de Chicago: en 2022, beaucoup parlaient d’une nouvelle physique. Les évaluations sont encore en cours. «Je ne pense pas que quelque chose ait été découvert ici», note Sabine Hossenfelder. Nicola Serra trouve normal ce jeu laborieux entre une possible nouvelle découverte et la correction qui s’ensuit. Il ne veut pas encore abandonner ses recherches sur les anomalies de flaveur. «Nous pouvons encore apprendre beaucoup de choses au LHC à l’aide des nouvelles données de mesure», dit-il.

Et encore beaucoup, beaucoup plus de données

«Procéder de manière aussi méticuleuse est une bonne chose, mais j’estime improbable qu'il en résulte une nouvelle physique. Et ces recherches nécessitent beaucoup d’argent, ce dont il faut aussi tenir compte losqu'on demande des accélérateurs plus puissants», estime Sabine Hossenfelder qui se réfère aussi au projet du Future Circular Collider du CERN. Il vise à la construction d’un collisionneur circulaire long de 100 kilomètres pour un coût de 20 milliards d’euros.

La physicienne est tout à fait ouverte aux projets de Big Science. Pour elle, le télescope spatial James-Webb est un exemple, «où nous en avons pour notre argent, par exemple grâce à toutes les données sur de jeunes galaxies qui nous aident à mieux comprendre la matière noire.» Mais elle estime qu'on pourrait aussi mettre à l’épreuve les fondements de la physique par l’optique ou l’informatique quantiques.

«Devrions-nous plutôt attendre l’apparition inopinée d’un nouvel Einstein?»Nicola Serra

Toujours plus de spécialistes en physique des particules misent entretemps sur les possibilités de l’intelligence artificielle pour déceler des motifs atypiques dans les données des collisions. Le physicien Steven Schramm de l’Université de Genève espère ainsi trouver une nouvelle particule cachée dans le bruit de fond des collisions à basse énergie du LHC (lire également Horizons 138, «Une fois l’algorithme passé dessus, le tour est joué»). Nicola Serra mise également sur cette technologie. «L’IA pourrait devenir une sorte de copilote pour les physiciennes des particules et voir des choses que nous, les humains, ne pouvons identifier.»

Dans les seize années à venir, le LHC devrait collecter 16 fois plus de données que jusqu’ici. Cela débloquera-t-il la torpeur de la physique des particules? Nicola Serra: «Devons-nous miser sur le potentiel d’un LHC réalisant un éventail complet de mesures pour obtenir un maximum d’informations fiables et simultanément développer de nouvelles théories ou devrions-nous plutôt attendre l’apparition inopinée d’un nouvel Einstein?»