Les instruments ultrasensibles et de haute précision utilisés pour la recherche spatiale doivent résister à des forces et des radiations massives. | Photo: Ruben Hollinger

Qui veut analyser la composition de roches, de sable, de poussière ou de gaz quelque part loin de la Terre a besoin d’un spectromètre de masse. C’est l’appareil à tout faire pour des analyses chimiques précises lors de missions spatiales. Dans le développement de tels appareils de pointe, l’Université de Berne joue au sein de l’élite mondiale. «Il n’existe que quatre groupes de recherche capables d’atteindre cette qualité. Nous sommes l’un d’eux», explique Andreas Riedo, responsable du groupe Space Research & Planetary Sciences de l’université. Son équipe en teste actuellement de nouveaux pour des missions sur la Lune, Mars et Vénus. L’objectif est en particulier de trouver des indices de vie extraterrestre au sein du système solaire.

Dès l’entrée du laboratoire de développement, on comprend pourquoi il est si difficile de construire un appareil de mesure de haute précision destiné à être utilisé dans l’espace. Andreas Riedo nous tend une combinaison de protection, une sorte de manteau de pluie avec une fermeture Eclair et une capuche – à boutonner jusqu’au menton. L’appareil du photographe? C’est ok, mais le chercheur le nettoie soigneusement à coups de jets d’azote très pur. Le laboratoire est ce qu’on appelle une salle blanche. Fibres textiles, cheveux ou pellicules flottant dans l’air sont ici indésirables. «Ils pourraient contaminer nos échantillons et ainsi fausser les résultats des mesures», explique le chercheur.

«Un des problèmes vient de la gare principale juste à côté. Quand un train part, le sol tremble chez nous.»Andreas Riedo

La salle blanche n’offre guère de place. Il y a deux tables d’essai posées sur des cylindres remplis d’air destinés à neutraliser les vibrations. «Un des problèmes vient de la gare principale juste à côté. Quand un train part, le sol tremble chez nous», dit Andreas Riedo. Les spectromètres de masse y sont allergiques.

Un boîtier plat couvre une des tables sur toute sa largeur. C’est un laser très puissant et l’élément central de l’appareillage. «La lumière est produite avec une sorte de flash similaire à celui d’un appareil photo. Elle est ensuite comprimée en plusieurs étapes en impulsions lumineuses extrêmement courtes, de l’ordre d’un billiardième de seconde», explique Salome Gruchola, doctorante en physique. Dans le cadre de sa thèse, elle teste le spectromètre et le prépare pour le voyage dans l’espace.

A l’Institut de physique de l’Université de Berne, les chercheurs bricolent pour les missions spatiales et produisent des spectromètres de masse spéciaux. | Photos: Ruben Hollinger

Dans la chambre à vide, le spectromètre de masse est protégé contre les arcs électriques destructeurs. Car même la fine atmosphère de Mars pourrait en provoquer.

Un éclair laser, qui ne dure qu’un milliardième de seconde, est dirigé dans la chambre à vide à l’aide de miroirs. Il est si puissant qu’il peut transformer un peu de roche lunaire en un petit nuage.

A la fin, les particules atterrissent sur le détecteur du spectromètre de masse.

Chaque cheveu, chaque squame et chaque fibre textile peut fausser les mesures d’Andreas Riedo. C’est pourquoi tous ceux qui entrent dans la salle blanche doivent porter une combinaison de protection.

Bijoux scintillants interdits

Au final, le faisceau laser est si fortement focalisé que sa puissance surfacique est plus de dix fois supérieure à celle de la lumière solaire qui frappe la Terre. «Un seul tir dans l’œil suffit pour devenir complètement aveugle», note Salome Gruchola. Il existe certes des lunettes de protection laser conçues selon la nouvelle mode martienne, mais des lésions oculaires se produiraient même en les portant. Pour réduire le risque d’accident, les bagues et autres bijoux sont interdits dans le laboratoire. En effet, les surfaces métalliques qui entrent accidentellement dans le faisceau se transforment en boules à facettes miniatures et diffusent la lumière laser de manière incontrôlée dans tout le laboratoire. Les outils en métal tels que les clés Allen sont noircis pour ne plus produire de reflets.

Le faisceau est dirigé par divers miroirs vers une chambre à vide de la taille d’une glacière qui contient le spectromètre de masse. Le vide est nécessaire pour empêcher l’air de provoquer des «décharges de haute tension», explique Andreas Riedo. Autrement dit, il y aurait un arc électrique entre les différents composants qui sont en partie sous haute tension. L’appareil serait alors hors d’usage ou livrerait des mesures erronées. Sur la Lune, cette chambre devient inutile. Tandis que sur Mars, une petite chambre est nécessaire. En effet, bien que l’atmosphère y soit très fine, elle suffirait à provoquer des dysfonctionnements.

«La roche est quasiment vaporisée par le rayon laser.»Salome Gruchola

A la fin, le rayon laser atteint un échantillon de roche ou, dans le cas de la Lune, de poussière. Il en extrait alors un minuscule nuage de particules chargées – des ions. «La roche est quasiment vaporisée», détaille Salome Gruchola. Il ne reste alors plus qu’à trier les particules. Cette tâche est assurée par plusieurs anneaux métalliques disposés les uns derrière les autres. Chargés électriquement, ils dirigent les ions les uns après les autres vers le détecteur. «Le temps nécessaire pour qu’ils arrivent sur le détecteur dépend de leur poids et de leur charge, explique la chercheuse. Les ions légers, tels que ceux de l’hydrogène, arrivent les premiers. Viennent ensuite les plus lourds, tels que ceux de l’oxygène ou du silicium.» L’ordinateur représente leur arrivée sous la forme d’une courbe de température. Chaque pic représente un groupe de particules. «Grâce à ces informations, nous pouvons désormais déduire la composition élémentaire exacte de la roche», dit la doctorante.

Cet appareil, intégré dans un atterrisseur, devrait voler sur la Lune dans quelques années. Cela, dans le cadre d’Artemis, successeur du programme Apollo des années 1960. L’analyse de la poussière lunaire devrait permettre de répondre à des questions sur la formation de la Lune, de la Terre et du système solaire. «La NASA nous a également déjà adressé une demande pour une mission sur Mars sans équipage dans les années 2030», se réjouit avec fierté Andreas Riedo. «Il s’agira d’effectuer des carottages dans la surface de Mars et d’y chercher sur place des lipides dans les carottes.» Leur détection serait un fort indice de vie sur la planète rouge puisque les membranes plasmiques des cellules sont composées de lipides. «Nous avons pu montrer récemment que nos spectromètres de masse conviennent très bien à ce type de détections.»

L’enveloppe couverte d’or protège le spectromètre de masse du rayonnement, de la corrosion et des particules.

Dans cette salle blanche, on assemble et teste le spectromètre de masse.

Salome Gruchola teste l’appareil de mesure spatial dans le cadre de son doctorat et le prépare à sa mission dans l’espace. De plus, elle entraîne une IA qui décidera plus tard de manière indépendante quelles données elle enverra sur Terre.

Avec le «shaker», on examine si les appareils résistent aux conditions d’un décollage de fusée.

Même les lunettes de protection contre le laser ne protégeraient pas totalement les yeux de Salome Gruchola. C’est pourquoi les outils du laboratoire laser sont peints en noir et les bijoux prohibés.

A l’abri du vide d’air, des échantillons attendent leur utilisation.

En forme pour la torture au décollage

L’un des problèmes des analyses loin de la Terre vient du volume limité de données qu’on peut transmettre. C’est pourquoi, dans sa thèse, Salome Gruchola examine aussi l’automatisation de l’analyse des données: «J’essaie d’apprendre à une intelligence artificielle quelles données sont intéressantes et lesquelles ne le sont pas. Une fois entraînée, elle pourra déjà décider dans l’atterrisseur ce qui doit être renvoyé vers la Terre.»

Ces appareils doivent être autonomes, mais en aucun cas tomber en panne, que ce soit à cause d’une vis cassée ou d’un capteur déplacé. «Dans certaines circonstances, l’instrument peut voler pendant dix ans dans l’espace. Il doit donc être très, très robuste», dit Andreas Riedo.

Dans ce contexte, le lancement de la fusée constitue un casse-tête. «Les appareils sont conçus pour supporter des forces de 100 g – près d’une centaine de fois la gravité terrestre», note le chercheur. Pour la simuler, chaque pièce est testée sur un «shaker». Ce vibrateur géant peut reproduire le lancement de tous types de fusées. Toutes les pièces doivent y résister. «Un autre défi est celui du rayonnement», explique le chercheur. Un spectromètre de masse de l’Université de Berne fait partie de la mission Juice vers Jupiter, lancée en avril dernier. La planète géante possède un champ magnétique puissant qui produit une ceinture de radiations cosmiques intenses. La sonde procédera à des mesures à proximité de celle-ci. «Le rayonnement y est aussi fort que dans un réacteur nucléaire. Pour nos instruments, ce sont des conditions extrêmes.» Et il faut bien les protéger pour qu’ils y survivent.

«Le rayonnement de Jupiter est aussi fort que dans un réacteur nucléaire. Pour nos instruments, ce sont des conditions extrêmes.»Andreas Riedo
Le petit bat le grand

«Plus c’est grand, mieux c’est» est la devise sur Terre. Mais lors d’une mission spatiale, les règles sont différentes. «Selon la mission, chaque kilo peut coûter jusqu’à un million de francs uniquement pour pouvoir le transporter à destination», indique Andreas Riedo. C’est pourquoi chaque spectromètre de masse, après avoir passé la phase de développement en laboratoire, est «optimisé» pour le voyage. Souvent, cela signifie qu’il faut le construire sous forme réduite. C’est précisément ce à quoi travaille le doctorant Peter Keresztes Schmidt. L’objectif est plutôt sportif: l’instrument complet doit peser de 10 à 15 kilos et tenir dans un sac en papier.

Dans cette configuration, le laser n’est pas plus grand qu’un paquet de cartes à jouer. Le doctorant a déjà installé le mini-spectromètre dans une chambre à vide. «Je vérifie maintenant les réglages, les distances, mais également si la construction est suffisamment robuste.» Pour cela, il vient de déposer un peu de «poussière de lune analogue» sur la table d’essai de la chambre à vide: «Il s’agit de poussière lunaire artificielle produite sur Terre qui a à peu près les mêmes qualités que la vraie. En tout cas, cela suffit pour les tests.»

Pendant la phase de test, il collabore étroitement avec le département d’ingénierie, à quelques étages au-dessus de lui. Mais aussi avec la NASA qui fait construire l’atterrisseur aux Etats-Unis. «Actuellement, nous discutons pour savoir si la poussière lunaire doit être amenée dans le spectromètre via un tapis roulant ou si celui-ci sera fixé sur le bras d’un robot et guidé ensuite vers la poussière», explique le doctorant. Il a encore le temps avant l’envol du spectromètre made in Berne pour la Lune. Ce sera en 2026.