Et soudain, les ordinateurs redeviennent énormes: à gauche, l’ordinateur quantique IBM Q du Thomas J. Watson Research Center. | Photo: IBM

La «quantum supremacy» a galvanisé les milieux spécialisés à l’automne 2019. Google annonça la supériorité de son ordinateur quantique sur les appareils classiques. lBM répliqua le jour même que le problème posé pourrait aussi être résolu avec les superordinateurs conventionnels les plus puissants.

Les ordinateurs quantiques doivent permettre de résoudre des problèmes complexes: déterminer les propriétés d’agents chimiques, analyser les processus financiers, développer de nouvelles techniques de cryptage, etc. La première étape semble franchie.

Au cœur des projets: les bits quantiques ou qubits qui, contrairement aux bits classiques qui sont soit dans l’état 0, soit dans l’état 1, peuvent exister dans la superposition des deux états. Ils peuvent ainsi effectuer nettement plus de calculs simultanés selon la manipulation de mécanique quantique utilisée.

Les entreprises des TI classiques telles que Google et IBM misent surtout sur les puces quantiques supraconductrices, qui ne résolvent encore que des problèmes très spécifiques. «Pour créer un ordinateur quantique universel également doté d’un système automatique de correction des erreurs dues aux perturbations, il faudrait des millions de qubits, dit le chercheur Immanuel Bloch de l’Université Louis-et-Maximilien de Munich. Nous en sommes bien loin.»

Refroidir un terrain de football de qubits

Immanuel Bloch et d’autres experts soulignent les défis que représente le passage à des systèmes de grande dimension. En l’état actuel, une puce avec des millions de qubits aurait la taille d’un terrain de football. Les utiliser pour des opérations de calcul nécessiterait de les refroidir à une température extrêmement basse. La puissance des systèmes de refroidissement actuels a la capacité pour plusieurs centaines de qubits, explique Stefan Filipp, directeur technique du département Quantum Computing d’IBM Research à Rüschlikon (ZH). En plus du refroidissement, il faut assurer la qualité même des qubits supraconducteurs. Ils doivent être construits à l’identique, toute imprécision affectant directement la précision de calcul de tout le système. Pour rendre leurs systèmes plus performants, les entreprises investissent actuellement des milliards dans la recherche fondamentale.

La Suisse est bien placée dans les technologies quantiques. Au sein du Pôle de recherche national QSIT par exemple, cinq hautes écoles et IBM Research les étudient. L’Université de Bâle, avec IBM Research, s’intéresse pour sa part aux qubits de spin au sein du nouveau Pôle de recherche national SPIN en utilisant le moment cinétique d’une particule. Ils espèrent obtenir des systèmes «plus rapides, plus compacts et plus échelonnables» que les actuels, selon Stefan Filipp.

Outre la stabilité et l’extensibilité des systèmes, les scientifiques devraient aussi se concentrer davantage sur des sujets tels que les protocoles de transmission ou de nouveaux algorithmes. Stefan Filipp souligne que, dans le domaine technologique, il ne s’agira pas seulement de savoir «qui a le meilleur hardware, mais aussi qui peut attirer les meilleurs développeurs pour réaliser des choses grandioses sur cette base».

La piste des systèmes d’atomes

Dans le sillage des géants de la high-tech et de leurs qubits supraconducteurs, des chercheurs développent d’autres idées de plateformes d’ordinateurs quantiques, tels des systèmes miniaturisés d’atomes ultra-froids dans des réseaux optiques ou des pièges à ions. L’avantage: les unités de calcul – les atomes ou les ions – ne nécessitent pas d’être construites, étant toutes identiques par nature. Le système global calcule donc très précisément mais les calculs étant dirigés par laser, cela ne facilite pas non plus le redimensionnement. Des chercheurs comme Immanuel Bloch utilisent déjà ces systèmes en recherche fondamentale, par exemple sur le magnétisme.

On ignore encore quelles solutions s’imposeront au niveau commercial. Peut-être seront-elles diverses selon le problème. «En définitive, il se pourrait que les sciences elles-mêmes soient les plus impactées par les ordinateurs et les simulateurs quantiques et que le citoyen moyen n’interagisse jamais avec un ordinateur quantique», conclut Immanuel Bloch.