En 1989, des Penans bloquent une route; ils sont vêtus à l'occidentale et Bruno Manser est absent. Le trailer d’un biopic consacré au Suisse présente la scène est différemment: l’activiste mène un groupe d’indigènes habillés de pagnes. | Image: BMF/Jeff Libmann

Un homme blanc de grande taille. Derrière lui, une rangée d’hommes, de femmes et d’enfants asiatiques, en pagne. La scène vient du trailer de «Bruno Manser – La voix de la forêt tropicale» qui sortira cet automne. Elle montre le blocage d’une route sur l’île de Bornéo et fait partie de l’histoire de Bruno Manser, qui se battait contre la destruction de la forêt tropicale aux côtés du peuple penan. L’activiste bâlois y a disparu en l’an 2000.

Adrian Linder a lui aussi longtemps vécu à Bornéo. Il y a accompagné un moment l’équipe de tournage comme repéreur avant de suivre de manière informelle le développement du scénario. L’ethnologue bernois critique certains éléments de la scène: «L’équipe l’a reconstituée à partir de photos du véritable blocage. Sauf que les protagonistes sont des gens ordinaires habillés normalement. Seuls quelques hommes portaient leur tenue de guerre traditionnelle.»

L’équipe du film réalisé par Niklaus Hilber a donc occulté cet aspect banal. «Ils ont distribué des pagnes à tout le monde et placé l’acteur Sven Schelker au premier plan. Le Suisse qui prend la tête du peuple primitif et naïf. Il s’agit d’une grave falsification. Egalement à l’égard de ce qui était important pour Bruno Manser.» Car l’activiste restait à l’écart de telles actions pour éviter qu’on puisse lui reprocher d’y avoir poussé les gens. Adrian Linder critique ces divergences avant tout parce que le film est présenté comme une «histoire vraie». La production du film n’a pas voulu s’exprimer sur ces objections.

Harmonie plutôt que ruptures

La théoricienne du cinéma Margrit Tröhler de l’Université de Zurich reconnaît là une contradiction typique des films biographiques. Ils se veulent crédibles mais sans renoncer au spectacle, si bien que souvent on idéalise et embellit. Elle donne l’exemple de «La liste de Schindler» de Steven Spielberg sorti en 1993 sur l’industriel Oskar Schindler qui avait sauvé plus de 1100 personnes juives de la déportation à l’époque nazie: «Le film avait provoqué une grande polémique. On lui reprochait d’héroïser un Allemand et de relativiser l’Holocauste. Ce sont des questions éthiques: où se situent les limites lorsqu’on veut rester proche des faits historiques mais aussi raconter une histoire passionnante?»

Les biopics présentent en général des histoires bien huilées aux dépens des ambiguïtés des personnages. Mais pas toujours, comme «I’m not there» de 2007, dans lequel cinq actrices et acteurs incarnent Bob Dylan. «On n’a pas cherché la véracité, mais à saisir une manière d’être et des ambiances», note Margrit Tröhler. Le récit d’une vie entière ne peut revêtir pratiquement que la forme d’une mosaïque.

«Les images personnelles et les clichés imprègnent toutes les cultures.»Margrit Tröhler

La spécialiste ne s’étonne pas non plus qu’Adrian Linder ait constaté des stéréotypes colonialistes durant le développement du scénario, du type «le héros occidental et le noble sauvage». C’est un classique lorsque indigènes et Blancs se retrouvent dans un film, biopic ou non. Alors qu’il voulait se racheter pour la vision unilatérale présentée dans les films d’Indiens du passé, «Danse avec les loups» de Kevin Costner n’a guère fait mieux, poursuit Margrit Tröhler: le héros occidental devient finalement plus indien que les Indiens eux-mêmes, alors que le schéma du bon et du méchant est simplement inversé: à l’exception du héros, tous les Blancs sont mauvais. Un manichéisme qui, pour Adrian Linder, se retrouve dans le biopic sur Bruno Manser: «Dans les versions du scénario que j’ai pu lire, tous les méchants parlaient anglais.»

«Briser les stéréotypes sur les indigènes dans un biopic ou une fiction exige de s’attacher à cet objectif dès le début, avance Margrit Tröhler. Cela demande une réflexion poussée devant commencer bien avant le premier tour de manivelle. Les images personnelles, les clichés culturels et les modes narratifs circulent et imprègnent toutes les cultures. On ne crée pas de nouvelles images à partir de rien.» L’opinion définitive sur la biographie filmée de Bruno Manser devra attendre sa sortie en salles.