Andreas Fischer, Rektor der Universität Zürich, nimmt im September 2012 Stellung zum Arbeitsverhältnis von Christoph Mörgeli. Dieser wird per sofort als Konservator des Medizinhistorischen Museums freigestellt.

Le 21 septembre 2012, le recteur de l’Université de Zurich annonce la suspension de Christoph Mörgeli, conservateur du Musée de l’histoire de la médecine – et finira par démissionner lui-même un an plus tard. | Photo: Keystone/Alessandro Della Bella

L’Université de Saint-Gall avait déjà connu des temps plus tranquilles. En 2018, un professeur d’économie fait d’abord la une des journaux. En cause: son rôle de président du conseil d’administration de la banque Raiffeisen. Ensuite, la haute école doit engager une procédure contre un institut en raison de soupçons sur des notes de frais excessives. Et, finalement, le recteur lui-même est mis sous pression, à cause de ses activités annexes – et largement rémunérées.

Ces crises ne sont pas isolées. On pourrait citer les polémiques qui ont suivi la parution de questionnaires d’examen dans diverses universités, les cas de harcèlement à l’ETH Zurich en 2017, le contrat de sponsoring entre l’UBS et l’Université de Zurich il y a six ans, l’affaire de plagiat à l’Université de Neuchâtel en 2013 ou encore la plus grande crise récente du milieu universitaire helvétique: l’affaire Mörgeli, liée au licenciement de cet historien controversé, et qui a secoué l’Université de Zurich en 2012.

«Les hautes écoles doivent prendre conscience que les crises sont normales.»Peter Stücheli-Herlach

Les réactions des institutions s’avèrent souvent désemparées, parfois confuses ou encore offensées. L’ETH Zurich a cherché à étouffer les problèmes de harcèlement et, lorsque ceux-ci ont été rendus publics, elle a semblé laconique et offusquée.

Une enquête en Allemagne aboutit au même constat. Les services de communication des hautes écoles excellent dans l’art de publier des magazines sur papier glacé et des communiqués à propos de leurs recherches. Mais ils ne semblent guère préparés à gérer des crises. En 2017, les responsables de la communication de 67 universités allemandes ont été interrogés dans le cadre d'une étude de l’Université technique d’Ilmenau. Environ 80% ont affirmé avoir déjà vécu au moins une crise. La plupart du temps, il s’agissait de comptes rendus négatifs dans les médias ou de comportements fautifs de collaborateurs ou d’étudiants. L’enquête indique que des instruments importants, tels que la formation aux médias, l’élaboration de scénarios de crise et de directives sur la manière d’appréhender les médias sociaux n’ont été mis en place que dans peu de cas.

Des données équivalentes sur la Suisse n’existent pas, mais la communication des hautes écoles est comparable à celle qui existe en Allemagne, relève Birte Fähnrich, collaboratrice scientifique à l’Académie des sciences de Berlin-Brandebourg et coéditrice d’un ouvrage consacré à ce thème.

Expliquer les pratiques

Birte Fähnrich s’est notamment penchée sur un cas survenu en 2012: l’affaire de plagiat de l’ancienne ministre allemande de l’éducation, Anette Schavan. Selon la chercheuse, l’affaire n’a pas seulement eu des conséquences pour l’ex-ministre qui a perdu son poste et son titre de docteur, mais également pour l’Université de Düsseldorf qui n’a pas réussi à faire face à cette crise de façon satisfaisante. Dans sa communication, la haute école s’est employée à mettre au premier plan la procédure en matière de contrôle et de retrait des diplômes. «Elle s’est uniquement préoccupée de la régularité formelle et juridique», souligne Birte Fähnrich, sans avoir réussi à assumer sa mission de «communicatrice scientifique», c’est-à-dire d’expliquer les pratiques et les problèmes liés au travail universitaire et de restaurer ainsi la réputation de la formation académique.

La manière dont les crises sont perçues publiquement et l’ampleur des dégâts de réputation pour une institution ou pour la communauté scientifique dépend fortement de la communication employée. Pourquoi même d’excellentes universités ne parviennent-elles pas à relever ce défi? L’une des raisons se trouve dans la structure décentralisée de ces hautes écoles, explique Rolf Probala, responsable de la communication de l’ETH Zurich de 2000 à 2006 et aujourd’hui conseiller en communication. La haute école est conçue comme une «république des érudits» qui s’administre elle-même et accorde une grande autonomie aux professeurs. Cela a du sens lorsqu’il s’agit de traiter des questions académiques dont on peut longuement débattre. Mais dans des situations de crise qui exigent de réagir rapidement et de façon décidée, ce modèle de direction «devient une hypothèque, voire une cause de fiasco».

La deuxième raison de ces difficultés réside dans la taille et la complexité des hautes écoles, selon Rolf Probala. Tout en haut de la hiérarchie, les responsables ne sont souvent informés de la crise que tardivement en raison des longs canaux de communication internes et d’intérêts divergents. Si cela vaut également pour les grandes entreprises privées et les institutions étatiques, «la structure des hautes écoles avec leur direction plutôt en retrait aggrave le problème.» Une communication efficace est entravée par la forte diversité des crises qui peuvent frapper les universités et qui n’ont parfois rien à voir avec le travail scientifique. En tant que responsable de la communication de l’ETH Zurich, Rolf Probala avait développé un concept de gestion des crises recouvrant des fraudes scientifiques, des abus et des comportements criminels du personnel, voire une explosion dans un laboratoire disséminant des substances toxiques ou encore des attentats terroristes et des attaques de hackers.

Des exemples aux États-Unis montrent que ces scénarios sont tout à fait crédibles. L’une des plus grandes crises dans une université américaine a eu lieu en 2007 à la Virginia Polytechnic Institute and State University, lorsqu’un étudiant souffrant de troubles psychiques a abattu 32 enseignants et étudiants sur le campus. La communication de l’institution avait été vertement critiquée à l’époque: les étudiants n’avaient pas été informés assez rapidement après les premiers tirs. S’ils l’avaient été, des vies humaines auraient pu être épargnées.

Sortir de sa bulle

Les hautes écoles devraient modifier leur perception des crises, estime Peter Stücheli- Herlach professeur de communication organisationnelle et publique à la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW). «N’importe quelle institution d’une certaine taille sera un jour frappée par une crise», argue-t-il. Les hautes écoles sont particulièrement menacées parce qu’elles sont aujourd’hui souvent exposées et sujettes à controverse. Les ressources financières dont elles ont besoin et la science elle-même sont sans cesse remises en question. On assiste à des débats éthiques et à des tensions sociales. «Dans ce contexte, il est même étonnant qu’il n’y ait pas davantage de crises.»

Du fait des débats sociaux qui se durcissent, des temps difficiles attendent les hautes écoles. Elles doivent prendre conscience du fait que les crises sont normales. Un premier pas vers cette prise de conscience consiste à poser un regard extérieur sur ses activités. «Il faut que les scientifiques cessent de prétendre qu’ils en savent de toute façon plus que tous les autres», lance Peter Stücheli-Herlach. Il conviendrait mettre en place une infrastructure capable d’identifier de manière permanente de possibles foyers de crises et de controverses sociales. «Toute université peut un jour ou l’autre être concernée par ce type de débat.» Le spécialiste plaide en faveur d’un observatoire et d’une culture du dialogue, même avec ceux qui expriment des critiques. Il pense que les médias institutionnels doivent devenir plus critiques et se distancier de la «propagande scientifique ». Selon lui, les hautes écoles «doivent aussi sortir de leur propre bulle.»

Une telle stratégie aurait peut-être évité que l’affaire Mörgeli ne prenne une si grande ampleur, poursuit-il: «Il était prévisible que cette constellation mène à une escalade. On aurait pu s’entretenir avec Christoph Mörgeli bien plus tôt.» Et l’idée qu’une haute école doit toujours parler d’une seule voix est une erreur, car «le public bien formé sait qu’il y a des points de vue différents au sein des grandes organisations».

Pour les hautes écoles, faire face à des crises et à des journalistes opiniâtres posant des questions critiques doit à l’avenir être considéré comme faisant partie de la normalité, poursuit Peter Stücheli-Herlach. Les instances qui maintiennent le contact avec les médias et les observateurs critiques tout en restant attentives aux controverses sociales auront les meilleures de chances de communiquer de manière pertinente en cas de crise.