Une carte montre enfin les couches géologiques du Plateau – une étape nécessaire pour mieux coordonner les nouveaux projets. | Image: Swisstopo

Aucun problème à trouver des photos ou des cartes de la Lune et de Mars. En revanche, le monde situé directement sous nos pieds reste largement inconnu – alors même qu’il intéresse un nombre croissant d’acteurs. Ils rêvent d’en tirer de l’électricité par géothermie, d’y stocker les déchets nucléaires et du CO2, ou encore d’y faire transiter des marchandises.

Sous-sol en 3D

La plupart de ces projets concernent le Plateau, densément peuplé. Pour accélérer leur planification, l’Office fédéral de topographie Swisstopo a développé un modèle 3D de sa structure géologique. Ce bassin molassique atteint des profondeurs allant de quelques centaines de mètres au nord à six mille mètres au sud. Il est constitué de couches sédimentaires telles le calcaire, la marne et le grès qui se sont déposées voilà 30 millions d’années, une époque où la mer recouvrait encore la Suisse.

«Avec une visualisation tridimensionnelle, les décideurs non-spécialistes peuvent comprendre la structure du sous-sol», dit Robin Allenbach, responsable du projet à Swisstopo. Grâce au modèle Geomol 17, les ingénieurs civils sont en mesure par exemple de prévoir plus précisément à quels types de roches ils seront confrontés lors du percement de tunnels et éviter ainsi que le tracé ne traverse des formations défavorables, de la roche non consolidée.

Cet outil joue déjà un rôle important pour la planification du réseau du projet «Cargo Sous Terrain» qui envisage de relier les grandes villes du pays par un réseau de tunnels. Les marchandises devront être transportées de manière entièrement automatisée dans des tubes de 6 mètres de diamètre à bord de véhicules autonomes. Selon ses promoteurs, jusqu’à 40% du transport des marchandises pourrait à l’avenir être assuré sous terre. Ils projettent d’ouvrir en 2030 un premier tronçon de 70 kilomètres de long entre Niederbipp (SO) et Zurich.

«L’origine des cours d’eau souterrains dans les Alpes constitue l’un des plus grands mystères géologiques de Suisse.»Gunter Siddiqi

Le modèle de Swisstopo visualise le parcours et l’épaisseur des couches géologiques ainsi que les zones de failles, qui jouent un rôle déterminant dans le choix des sites pour des projets de construction souterrains, en particulier pour les forages profonds. «Le modèle 3D permet par exemple d’envisager la manière dont l’eau s’écoule dans ces failles, ce qui s’avère essentiel pour les projets de géothermie, explique Gunter Siddiqi de l’Office fédéral de l’énergie. Il localise environ 600 failles, contre une poignée seulement pour les représentations antérieures. C’est un projet incroyablement important pour la Suisse.»

Précieuses archives

Pour cette modélisation, les géologues n’ont pas recueilli de nouvelles données mais ont consolidé les milliers d’informations déjà disponibles auprès de sources très différentes: des entreprises privées telles que la société Seag active dans la prospection gazière et pétrolière en Suisse, ainsi que des projets de recherche, notamment ceux menés par la Cedra sur le stockage en profondeur des déchets radioactifs. «Nous avons scanné et traité des montagnes de documents, poursuit Robin Allenbach. C’est la mise à niveau de toutes ces données qui nous a demandé le plus de travail, car certaines étaient très anciennes.» Swisstopo a bénéficié de l’appui du Musée cantonal de géologie à Lausanne ainsi que des universités de Genève, Fribourg, Berne et Bâle.

«Nous avons scanné des montagnes de documents.»Robin Allenbach

En analysant à nouveau les carottes de forage et le matériau broyé récolté lors d’anciennes campagnes, les scientifiques du projet ont pu mieux comprendre la composition des roches et ainsi obtenir des informations essentielles sur la structure du sous-sol. Mais ce type d’exploration reste rare au vu de leur coût et des moyens nécessaires: on dénombre jusqu’à présent seulement 165 forages à des profondeurs dépassant 500 mètres, soit environ quatre forages par 1000 kilomètres carrés. Raison pour laquelle il existe par endroits une très bonne compréhension du sous-sol suisse, mais seulement en quelques points, selon Gunter Siddiqi.

A l’écoute de la Terre

Une autre méthode pour ausculter les couches profondes, plus fréquentes mais moins précises, passe par des mesures sismiques. Des secousses artificielles sont provoquées dans le sol à l’aide de vibrateurs ou d’explosifs. Les ondes générées se répercutent dans le sous-sol et leur vitesse permet aux géologues de déduire la structure des couches rocheuses inférieures. «Une sismique 3D sophistiquée permet désormais de visualiser des zones de failles avec une résolution de quelques centaines de mètres, parfois quelques douzaines», dit Marco Herwegh, professeur de géologie structurale à l’Université de Berne.

La cartographie du sous-sol utilise également les ondes sismiques provoquées par des tremblements de terre naturels. L’initiative AlpArray coordonnée par l’ETH Zurich et l’Université de Lausanne a installé au cours des dernières années un réseau de 600 sismographes dans un vaste périmètre autour des Alpes. Ces senseurs extrêmement précis enregistrent les plus légers tremblements de terre.

Mais une modélisation complète du sous-sol alpin manque encore à ce jour. Elle serait utile: l’espace alpin pourrait compter de nombreuses rivières d’eau chaude, qui expliqueraient les multiples sources thermales trouvées en Valais et ouvriraient surtout des perspectives pour la production d’électricité géothermique (voir «Electricité géothermique grâce au CO2»). Afin de reconstituer le parcours de l’eau, les géologues déterminent son âge et les types de roches qu’elle a traversées à l’aide d’analyses chimiques. Pour l’instant, l’origine précise de ces sources d’eau est l’un des plus grands mystères géologiques de Suisse, selon Gunter Siddiqi.

Le modèle du massif de l’Aar développé par Marco Herwegh constitue un premier pas. Son équipe analyse les données sismiques disponibles, les couches ainsi que les failles des formations rocheuses visibles en surface et projette en profondeur ces lignes de coupe afin d’imaginer comment les couches rocheuses se poursuivent sous terre. Marco Herwegh est convaincu que ce type d’approche portera ses fruits: «Un modèle génère des indications sur les endroits où des forages géothermiques ont de bonnes chances d’aboutir. Certes, il n’y a jamais de garantie absolue. Mais c’est ce qui rend ce travail si passionnant.»

Electricité géothermique grâce au CO2
En Suisse, des sondes géothermiques permettent de chauffer un nombre croissant de bâtiments. Mais la géothermie pourrait à l’avenir également servir à produire de l’électricité. De l’eau chaude souterraine serait pompée à la surface pour y actionner une turbine, directement ou à l’aide d’un échangeur de chaleur.

La technique fonctionne en Islande, qui tire parti de l’eau peu profonde chauffée par le sol volcanique. En Suisse, atteindre les 100 ou 120 degrés nécessaires pour les technologies conventionnelles exige de descendre à une profondeur moyenne de 4 kilomètres, explique Gunter Siddiqi de l’Office fédéral de l’énergie. Et les projets pilotes menés à Bâle et à Saint-Gall ont montré que de tels forages ne sont pas seulement compliqués et coûteux, mais susceptibles de déclencher des tremblements de terre. Un effet secondaire particulièrement problématique en milieu urbain.

D’autres approches impliquant des sources de chaleur moins profondes sont donc souhaitables. Martin O. Saar de l’ETH Zurich a son idée: utiliser des sites de stockage du dioxyde de carbone qui réduisent de 90% les émissions de CO2 produites dans des centrales électriques ou des usines. Il en existe une quinzaine dans le monde, et le chercheur se dit confiant que la Suisse en aura elle aussi dans un proche avenir.

Chauffé par géothermie, le gaz stocké atteint des températures d’environ 80 degrés à des profondeurs de 2,5 kilomètres déjà. «Nous pourrions le ramener brièvement à la surface pour produire de l’électricité avant de le repomper dans les profondeurs pour le stocker de manière permanente, explique Martin O. Saar. Les propriétés physiques du CO2 permettraient de produire du courant deux fois plus efficacement qu’avec de l’eau – et cela à des températures moins élevées, à une moindre profondeur et de manière rentable.» Le chercheur espère bientôt trouver les fonds pour une installation pilote.

Yvonne Vahlensieck est une journaliste scientifique installée dans la région de Bâle.