Le satellite LISA Pathfinder confirma en 2016 que la détection d’ondes gravitationnelles depuis l’espace devrait être possible. C’est le but de la mission LISA, prévue pour 2034. | Image: ESA/ATG medialab

En février 2016, une annonce fait le tour du monde: la collaboration américaine LIGO confirme avoir détecté les ondes gravitationnelles créées par la fusion de deux trous noirs distants de plus d’un milliard d’années-lumière. Depuis, cinq observations similaires ont été effectuées, confirmant que ces phénomènes sont observables à l’aide d’instruments extrêmement sensibles. Une nouvelle discipline est née: l’astronomie gravitationnelle.

A l’EPFL, Daniel Figueroa cherche à déterminer si cette approche serait à même d’apporter des réponses à une question littéralement primordiale: jeter un oeil sur ce qui s’est passé les premiers instants suivant le Big Bang. «Comme les ondes gravitationnelles ne sont pas entravées par la matière, elles ont pu se propager dans l’Univers dès sa naissance», explique le physicien. Elles constitueraient ainsi aujourd’hui une sorte de fond uniforme, parfaitement similaire pour tous les observateurs où qu’ils se trouvent dans l’Univers.

Echographie du cosmos

En principe, des ondes gravitationnelles sont générées lorsque des objets supermassifs (étoiles, trous noirs) sont accélérés. Bien qu’aucun objet massif n’existait juste après le Big Bang, il est possible que ces oscillations de la courbure de l’espace-temps aient été produites à ce moment-là par l’expansion rapide des gigantesques masses de particules. Pour Daniel Figueroa, «elles sont les seuls phénomènes observables susceptibles de témoigner directement des premiers instants de l’Univers».

Cette hypothèse repose sur de solides fondements, commente Rainer Weiss, chercheur au MIT et prix Nobel de physique 2017 pour ses travaux dans ce domaine. Notamment en ce qui concerne l’époque dite de l’inflation, où l’expansion de l’Univers était la plus rapide. «Certes, plusieurs cosmologistes réputés ont conçu des modèles de l’inflation sans émission d’ondes gravitationnelles, précise-t-il. Mais ça ne rend pas cette question moins intéressante, au contraire.»

La physique discerne cinq périodes différentes dans les premiers instants de l’Univers, depuis l’époque de Planck (10–43 s), sur laquelle butent les spéculations mathématiques, jusqu’à l’époque des hadrons (0,000001 s), où se forme les constituants de la matière telle qu’on la connaît aujourd’hui. Du point de vue d’un astrophysicien, cette microseconde est plus riche en événements que les millions d’années l’ayant suivi.

Mais cela reste des modèles théoriques. Pour les confirmer ou les infirmer, des observations seront nécessaires. Les spécialistes attendent impatiemment la mise en service d’un observatoire spatial unique en son genre, prévue pour 2034: LISA est composé de trois satellites espacés de 2,5 millions de kilomètres se renvoyant des rayons lasers. Le dispositif sera capable de détecter d’infimes variations de distance (une dizaine de picomètres, soit le diamètre d’un atome) et ainsi des ondes gravitationnelles d’un type différent que celles observées jusqu’à présent.

Daniel Figueroa et ses collègues internationaux cherchent notamment à dater les signaux primordiaux que LISA serait amené à détecter. Première possibilité: ils se distribuent de manière normale, selon la loi dite gaussienne, comme les ondes gravitationnelles standard et la plupart des phénomènes naturels aléatoires. «Dans ce cas, cela signifierait sans doute qu’ils remontent au moment même où la matière s’est organisée en quarks, soit environ 0,0000000001 seconde après le Big Bang», explique le chercheur. Au contraire, une distribution non gaussienne des ondes pourrait impliquer qu’elles datent d’avant, lorsque l’Univers n’était âgé que de 10–36 seconde, soit au début d’une brève phase d’extrême expansion, l’inflation, lorsque les lois de la physique commune ne s’appliquent pas encore dans leur ensemble.

Mais de nombreux modèles théoriques prédisent que les ondes gravitationnelles issues du Big Bang pourraient ne pas être assez puissantes pour être détectables par LISA, tempère Rainer Weiss du MIT. «Nous sommes nombreux à penser qu’il faudra attendre un instrument plus sensible pour les mesurer directement. Mais quelques idées ont cours à propos de densités énergétiques accrues présentes à la fin de la période d’inflation et qui seraient juste assez puissantes pour LISA. Quoi qu’il en soit, que nous les détections ou pas, cela pourrait influencer nos réflexions sur l’unification des théories quantiques et de la gravitation, soit l’une des plus grandes questions en physique.» De quoi nous projeter encore plus près de notre origine, il y a 13,8 milliards d’années.

Le journaliste suisse Lionel Pousaz vit à Boston.