Avant de lancer une recherche médicale, il faut d’abord estimer de manière réaliste et critique les chances de mener à bien le recrutement des participants en nombre suffisant. Image: Keystone/Science Photo Library/Look at Sciences/Massimo Brega

La médecine ne saurait progresser sans études cliniques, notamment sans essais randomisés contrôlés. Mais ceux-ci accusent un taux d’interruption effroyablement élevé. Un quart des essais soutenus par le Fonds national suisse (FNS) entre 1986 et 2015 ont été abandonnés, montre une étude de l’épidémiologiste bâlois Matthias Briel publiée dans le British Medical Journal.

Qu’ils soient subventionnés par le FNS ou non ne fait d’ailleurs aucune différence: «Il s’agit d’un problème fondamental», dit le chercheur de l’Hôpital universitaire de Bâle. Son équipe a identifié l’origine principale des échecs dans la phase initiale des études, lorsqu’il s’agit de recruter des patients adéquats. Les médecins pensent qu’ils parviendront à trouver suffisamment de participants et à vraiment se pencher attentivement sur cette question. Les patients ne remplissent pas tous les critères d’inclusion et tous ne sont pas prêts à collaborer, en particulier lorsque l’essai représente une lourde charge.

«Les estimations préalables des chercheurs sont souvent moitié trop optimistes», confirme Annette Magnin, directrice de la Swiss Clinical Trial Organisation (SCTO), créée à l’initiative du FNS et de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) pour assister les médecins dans la recherche clinique.

Les problèmes du fédéralisme

«La dimension trop régionale des essais représente un autre problème», note Peter Meier-Abt, vice-président de l’ASSM. De nombreux hôpitaux suisses sont trop petits pour disposer d’une population de patients suffisante. Pour beaucoup d’experts, le système de santé fédéraliste constitue l’obstacle principal à des études cliniques optimales. «Nous aurions besoin d’un pool global», estime Peter Meier-Abt. Mais une coordination à l’échelle nationale s’avère difficile. «Se cantonner à un seul hôpital et à sa région n’est pas une fatalité», estime cependant Matthias Briel. Les essais multicentriques peuvent très bien fonctionner si on les prépare et les coordonne bien.

«La planification d’un essai clinique, c’est quelque chose qu’il faut apprendre.»Annette Magnin

Les experts s’accordent également sur un autre obstacle: dans notre pays, le quotidien clinique accapare trop les médecins. «Nous avons besoin de davantage de temps réservé à la recherche», affirme Peter Meier-Abt. Les médecins accumulent déjà les heures supplémentaires, ils ne peuvent pas passer en plus leurs soirées ou leurs week-ends à mener des études. Un avis partagé par Annette Magnin: «A côté du mandat de prestation qui assure les recettes des hôpitaux, le personnel de clinique a toujours plus de difficulté à trouver du temps pour la recherche.»

«Il faut veiller à ne pas nous laisser distancer au niveau international», poursuit Peter Meier-Abt. Il y a déjà un moment que le Danemark, la Suède ou encore les Pays-Bas offrent de meilleures infrastructures de recherche. Le travail scientifique jouit d’un poids plus important dans les pays anglo-saxons également.

Les premières mesures ont été prises pour remédier à cette évolution. Le FNS a lancé il y a deux ans le programme Investigator Initiated Clinical Trials (IICT) destiné à soutenir les essais cliniques indépendants en Suisse en 2017 à hauteur de 10 millions de francs. «Nous avons fait passer de trois à quatre ans la durée du soutien aux essais cliniques», indique Ayşim Yılmaz, cheffe de la division Biologie et médecine du Secrétariat du FNS. Les chercheurs devraient ainsi disposer d’assez de temps pour une préparation sérieuse. «Nous voulons aussi investir dans une recherche innovante, dit Ayşim Yılmaz. Un risque d’échec existe toujours, mais cela n’excuse pas de mal se préparer.»

Commencer petit

Pour Matthias Briel, «le mieux est de mener d’abord un essai pilote concret qui suive le protocole prévu pour l’étude complète». Cette proposition n’enthousiasme pas les médecins, mais des études ont confirmé qu’il s’agit d’un facteur de succès. La description détaillée du processus de recrutement des patients dans le protocole d’étude s’avère également décisive. «Les chercheurs devraient envisager des scénarios alternatifs afin de réduire les dégâts si la quête de patients progressait trop lentement.»

Les médias sociaux offrent aussi une chance d’élargir le nombre de participants, poursuit Matthias Briel. Les premières expériences ont montré qu’ils sont susceptibles d’éveiller l’intérêt pour un programme d’essais. Pour le chercheur, le grand public devrait prendre conscience que les essais cliniques servent au bien de tous et qu’on ne saurait les réaliser que si de nombreuses personnes y participent. Les commissions d’éthique ont également un rôle à jouer pour le succès du recrutement lorsqu’elles examinent les demandes d’autorisation d’essais cliniques. «Elles pourraient rendre attentifs les chercheurs à d’éventuelles lacunes dans la recherche de participants.»

Investir davantage dans la formation de la relève est nécessaire, selon les experts. «La planification et l’exécution d’un essai clinique constituent une discipline en soi. C’est quelque chose qu’il faut apprendre», souligne la directrice de la SCTO Annette Magnin. Dans six hôpitaux suisses, des centres de recherche clinique soutiennent les chercheurs. Mais cet effort a son prix. L’Office fédéral de la santé a en outre lancé en 2016 une feuille de route pour promouvoir la relève dans la recherche clinique. Ce train de mesures prévoit notamment la création d’un Centre de formation suisse en recherche clinique.

Reste encore à savoir que faire des données provenant des études abandonnées. «Il faudrait les mettre à disposition de la communauté pour des méta-analyses ou afin d’en tirer les leçons en vue d’autres études», dit Matthias Briel. Au Royaume-Uni, le National Institute for Health Research a résolu le problème en imposant la publication de tous les essais qu’il soutient. C’est la condition pour pouvoir toucher un financement. Et si les chercheurs ne le font pas? Ils ne reçoivent plus d’argent.

Alexandra Bröhm est journaliste scientifique au Tages-Anzeiger et à la SonntagsZeitung.

A. Amstutz et al.: Discontinuation and non-publication of randomised clinical trials supported by the main public funding body in Switzerland: a retrospective cohort study. BMJ Open (2017)