Illustration: Christoph Frei

Mortelles recommandations
Prédire le futur

2012 / Gouvernement vs géologues

En 2012, sept chercheurs sont condamnés à six ans de prison pour homicide involontaire suite au tremblement de terre mortel de L’Aquila en Italie, survenu trois ans auparavant. Quelques jours avant le séisme d’une magnitude de 6,3, les experts, dont le sismologue Enzo Boschi (voir «Je n’ai jamais rassuré qui que ce soit»), avaient participé à une réunion officielle pour conseiller le gouvernement. Depuis plusieurs mois, la région connaissait des secousses de faible et moyenne importance. Leurs propos rassurants auraient conduit certaines des 309 personnes décédées à rester à l’intérieur plutôt qu’à sortir pour se mettre à l’abri comme d’habitude.

Six des sept coupables ont été acquittés en appel en 2014, une décision confirmée par la Cour suprême italienne un an plus tard. Seul l’officier de protection civile Bernardo De Bernardinis a vu sa culpabilité maintenue, avec deux ans de prison. Ce dernier avait dit à tort aux habitants que les secousses ne présentaient «pas de danger», car elles déchargeaient de l’énergie, diminuant ainsi le risque d’un séisme de grande ampleur. Pour la cour d’appel, les scientifiques n’avaient aucune raison de croire que les petites secousses augmentaient la probabilité d’un grand tremblement de terre. Mais certains ne partagent pas ce point de vue: selon Francesco Mulargia, sismologue à l’Université de Bologne, la probabilité qu’un important séisme survienne dans cette situation peut être multipliée par cent.

Après la condamnation en première instance, des commentateurs avaient critiqué l’uniformité des sentences des accusés. Max Wyss, alors directeur du World Agency of Planetary Monitoring and Earthquake Risk, à Genève, avait par exemple souligné dans un article que Bernardo De Bernardinis avait rassuré la population avant la réunion d’experts.

Selon Anna Scolobig, chercheuse en sciences sociales à l’ETH Zurich, le cas de L’Aquila met en lumière la complexité et le caractère sensible du travail de conseiller scientifique. Jusqu’où les experts, par ailleurs confrontés à des incertitudes scientifiques, doivent-ils aller dans leurs suggestions de plans d’action? La limite n’est pas clairement définie. A L’Aquila, poursuit Anna Scolobig, ce problème a pris un tour plus aigu en raison de ce qu’elle décrit comme le «mandat» donné par les autorités de protection civile de rassurer le public.

A l’avenir, les conseillers et les autorités civiles seront exposés toujours plus au risque d’être traînés en justice, poursuit Anna Scolobig. Elle estime qu’ils donneront probablement davantage de fausses alertes et, à long terme, pourraient souscrire des assurances. Mais, ce faisant, «ils ne feront peut-être pas le nécessaire pour défendre les communautés vulnérables». ec

Image: Keystone/ANSA/Guido Montani

«Je n’ai jamais rassuré qui que ce soit»

Enzo Boschi était président de l’Institut national italien de géophysique et de volcanologie en 2009. Il revient sur son procès suite au tremblement de terre de L’Aquila.

Quel a été votre sentiment au début des poursuites judiciaires?

C’était déprimant. Dans la mesure où je ne pouvais pas imaginer ce que j’avais fait de mal, je pensais que l’enquête prendrait fin rapidement.

Comment avez-vous vécu le procès?

Je n’arrivais pas à dormir. Je faisais des cauchemars. J’étais persuadé que je serais acquitté, mais j’ai été condamné, une expérience très douloureuse.

Comment les autres scientifiques ont-ils réagi à votre condamnation?

Ils m’ont beaucoup soutenu. Tous étaient persuadés que le procès était complètement absurde. J’ai aussi reçu des offres informelles de travail et d’asile politique de quatre ou cinq pays.

Traduire des scientifiques en justice est-il parfois juste?

Oui, s’ils savent quelque chose et n’en parlent pas, ou altèrent l’information. Si un politicien demande si c’est dangereux et qu’on le nie, c’est illégal. Mais si l’erreur est faite de bonne foi, ça ne l’est pas.

Rassurer les gens si on a reçu l’ordre de le faire est-il un crime?

Oui, absolument. Mais je n’ai parlé au chef de la protection civile qu’après le séisme. En revanche, un autre prévenu lui a parlé tout de suite après la séance et lui a dit que tout s’était déroulé comme prévu.

Si vous pouviez remonter dans le temps, que feriez-vous différemment?

Je ferais exactement la même chose. Durant le procès, des habitants de L’Aquila ont pensé que nous étions des incompétents et des criminels qui n’étaient venus sur place que pour dire à la population qu’elle était en sécurité. Mais c’est absurde. Je n’ai jamais rassuré qui que ce soit.

ec

Illustration: Christoph Frei

Histoire censurée
Démontrer l’évidence

2000 / Négationniste vs historienne

«Certaines choses sont vraies: Elvis est mort, les calottes polaires fondent et la Shoah a réellement eu lieu», assure Deborah Lipstadt à chacune de ses conférences. L’historienne américaine étudie le négationnisme. Cela lui a valu d’être poursuivie en diffamation avec son éditeur Penguin par le Britannique David Irving, qui qualifie Auschwitz d’attraction pour touristes. Ce dernier s’est senti attaqué par l’ouvrage de la chercheuse «Denying the Holocaust». Arguant que l’histoire mérite d’être débattue, David Irving a déposé plainte à Londres où, contrairement aux Etats-Unis, le fardeau de la preuve incombe à l’accusé.

Deborah Lipstadt a ainsi dû démontrer que la réalité de la Shoah est indiscutable. Qu’elle est à ce point évidente qu’un historien ne saurait simplement la nier. Face à ce défi sans précédent, cinq scientifiques de haut vol ont participé à sa défense. Le professeur d’histoire moderne à Cambridge Richard Evans a présenté un rapport de 740 pages, fruit de 18 mois de recherches, qui a convaincu le juge. La plainte a été rejetée le 11 avril 2000: le livre a pu rester en vente sans restriction, et David Irving peut y être qualifié de négationniste, d’antisémite et de raciste.

«Une science de qualité a besoin d’une discussion ouverte et critique», souligne Stephanie Mathisen, de l’organisation britannique Sense about Science. Grâce à elle, les plaintes comme celle ayant visé Deborah Lipstadt ne sont désormais plus possibles en Grande-Bretagne: en juin 2009, le groupe a lancé la campagne «Keep Libel Laws out of Science». L’initiative a abouti à un changement de loi en 2013: les publications portant sur des objets d’intérêt public, dont la science et la médecine, ne peuvent plus être poursuivies en diffamation.

«Toute personne qui attaque en diffamation un scientifique sérieux pour une position critique justifiée passe pour un charlatan», estime Erich Eder. Le biologiste viennois a été traîné devant les tribunaux par l’entreprise Grander – qui vend de l’eau «vivifiée» aux vertus soi-disant curatives – pour diffamation, atteinte à l’image et omission. La raison de la plainte? Une lettre de lecteur dans laquelle Erich Eder qualifiait les promesses de la marque de «fumisterie parascientifique». Même s’il est évident pour les scientifiques que de l’eau ne possède pas de forces surnaturelles, le tribunal n’a finalement donné raison au chercheur qu’en deuxième instance. af

Illustration: Christoph Frei

Guerre des brevets
Qui a inventé Crispr?

2017 / Chercheurs vs chercheurs

C’est une révolution dans le domaine du génie génétique: la méthode Crispr-Cas9 permet de modifier le génome de manière précise et rapide. L’invention de ces «ciseaux génétiques» a été annoncée par des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley en 2012.

Peu de temps après, des scientifiques du Broad Institute, dans le Massachusetts, sont parvenus à utiliser cette technique sur des cellules humaines, une avancée pour laquelle ils ont obtenu un brevet. L’Université de Californie a déposé plainte contre cette décision, arguant que l’utilisation de Crispr sur des cellules humaines ne représentait pas une invention à part entière. Le tribunal des brevets n’a pas retenu cette interprétation et a rejeté la plainte en février 2017.

Cette bataille juridique révèle l’énorme potentiel économique de Crispr. Plutôt que de se concentrer sur les conséquences scientifiques et sociétales de l’outil d’édition génétique, beaucoup de temps et d’argent a été investi afin de déterminer à qui en revient l’usage commercial.

Les guerres de brevets portent-elles préjudice à la science? Nikolaus Thumm, ancien chef économiste de l’Office européen des brevets, relativise: «Dans ce type de cas, ce ne sont pas les scientifiques qui se battent, mais les bureaux en charge du transfert de technologies des universités.» Ces derniers se comportent comme des acteurs de l’économie privée lorsqu’il s’agit de défendre une place sur le marché. «Mais cela n’a la plupart du temps pas d’impact sur la recherche.»

Plus globalement, Nikolaus Thumm se demande dans quelle mesure la recherche devrait tenir compte des débouchés commerciaux. «Dans ce débat, on ne peut pas trancher seulement en se plaçant dans la perspective du droit des brevets.» Si un institut de recherche veut utiliser ses résultats, il n’existe pour le moment pas de réelle alternative aux brevets. jr

Illustration: Christoph Frei

Expérimentation animale
Trois ans d’attente

2017 / Défense des animaux vs neuroscientifiques

Valerio Mante, de l’Institut de neuroinformatique de l’Université de Zurich et de l’ETH Zurich, travaille sur les maladies psychiques telles que la schizophrénie. Il a dû attendre trois ans et demi pour obtenir l’autorisation de mener ses recherches sur trois macaques rhésus. Sa demande du 1er octobre 2013 a été acceptée par la commission de protection des animaux de l’Office vétérinaire cantonal. Mais un recours a été déposé par trois de ses membres, des représentants des milieux de défense des animaux. Il a fallu un an et demi au Conseil d’Etat pour donner un nouveau feu vert au projet. Un second recours devant le Tribunal administratif a ensuite retardé le début des travaux d’une année supplémentaire. Ce n’est qu’en avril 2017, 43 mois après sa demande, que Valerio Mante a pu débuter ses recherches. «Désormais, cette décision est irrévocable», souligne le chercheur. af

Illustration: Christoph Frei

Fantasmes de fin du monde
Empêcher l’apocalypse

2010 / Biochimiste vs CERN

In 2008, a complaint was filed at the European Court of Human Rights with the aim of stopping the hunt for the Higgs-Boson in CERN’s LHC particle accelerator. The plaintiffs’ argument was that the procedure could result in the creation of tiny black holes; and if these were to swallow up the Earth, it would mean that a few particle physicists had deprived the whole population of the world of their right to life. Le grand accélérateur de particules du CERN, conçu notamment pour chercher le boson de Higgs, pourrait créer des micro-trous noirs. Si ceux-ci devaient avaler la Terre, cette expérience porterait atteinte au droit à la vie de l’ensemble de la population humaine. Telle est la logique d’une plainte déposée auprès de la Cour européenne des droits de l’homme en
2008 par un biochimiste et mathématicien. Les juges ont rejeté les mesures provisoires exigeant d’empêcher le démarrage du Grand collisionneur de hadrons (LCH) en août 2008, puis jugé la plainte irrecevable en 2010. Aux Etats-Unis et en Allemagne, des tribunaux ont également débouté des demandes similaires, qu’ils ont estimées «insuffisamment étayées».

Ces cas présentent un défi énorme pour les tribunaux. Ils n’ont pas seulement à trancher des questions de physique très complexes, mais aussi à évaluer un risque hypothétique dont l’enjeu n’est rien de moins que l’existence du monde. Eric E. Johnson, professeur assistant en droit à l’Université du Dakota du Nord, relativise: «Dans ce genre de cas, les tribunaux n’ont pas pour mission d’agir comme des scientifiques.» La crédibilité des arguments des parties peut aussi être évaluée sur la base d’autres éléments. «Un tribunal doit analyser des facteurs comme l’organisation de l’institut de recherche, l’actualité des arguments concernant la sécurité, la fiabilité des données et les éventuels intérêts personnels des plaignants.»

Les juges doivent-ils parfois mettre la population à l’abri de la science? Eric E. Johnson répond par la négative: «Les scientifiques ne sont pas les méchants.» La science est plutôt une entreprise humaniste et noble méritant protection et encouragement. Il va de soi que certaines expériences comportent des risques. «Parfois, les scientifiques acceptent d’en prendre davantage que les personnes extérieures au monde de la recherche. Dans ces cas, les juges jouent surtout un rôle de médiateur.» jr

Illustration: Christoph Frei

Bataille idéologique à l'école
Définir la science

2005 / Parents vs autorités scolaires

Pour les tenants du dessein intelligent (ou Intelligent Design), les organismes vivants sont trop complexes pour résulter de l’évolution; les mutations aléatoires et la sélection naturelle ne peuvent expliquer certains phénomènes du monde naturel. L’intervention d’un créateur supranaturel s’impose.

Les autorités scolaires de Dover, en Pennsylvanie, ont demandé que cette doctrine soit enseignée parallèlement à la théorie darwinienne de l’évolution. En 2004, elles ont ordonné aux professeurs de biologie de lire une explication correspondante à leurs élèves.

Certains professeurs ont refusé. Avec des parents d’élèves, ils ont saisi la justice pour exiger que la théorie du dessein intelligent soit bannie des cours de biologie. En 2005, après six semaines de procès, la cour de district de Pennsylvanie leur a donné raison dans un arrêt de principe décisif: la théorie du dessein intelligent constitue une version camouflée du créationnisme religieux qui n’a rien de scientifique.

Le biologiste Nicholas Matzke a dirigé le National Center for Science Education qui s’engage contre les théories religieuses dans les cours de science aux Etats-Unis. Il estime que l’effet de ce verdict majeur es durable. «Le procès était très important pour démontrer que l’enseignement de la théorie du dessein intelligent porte atteinte à la séparation de l’Eglise et de l’Etat et qu’il est incompatible avec la constitution américaine. Grâce à l’arrêt, cette théorie n’est plus enseignée à l’école.»

Un point central du procès consistait à anayser ce que sont les sciences naturelles et à déterminer si le dessein intelligent est susceptible d’entrer scientifiquement en concurrence avec la théorie de l’évolution. La réponse de la cour s’est révélée très claire: l’hypothèse d’un créateur supranaturel ne peut être prouvée – ni vérifiée, ni rejetée – et ne saurait donc faire l’objet d’une recherche scientifique.

Le procès a montré que les tribunaux, en plus d’appliquer la loi, ont également la lourde tâche de se pencher sur des questions de théorie scientifique. Nicholas Matzke estime que cela ne constitue pas un problème, au contraire: «Les tribunaux ont souvent à se prononcer dans des affaires impliquant des questionnements scientifiques.» Ils devraient toujours prendre en compte le point de vue scientifique, exercer un esprit critique, intégrer des avis d’experts et, de cette manière, rendre le meilleur jugement possible. jr

Illustration: Christoph Frei

Thérapies remises en question
Les juges libèrent les données

2016 / Chercheurs vs universités

D’un côté, une large étude britannique («PACE») qui démontrerait l’efficacité de la psychothérapie dans les cas du syndrome de fatigue chronique. De l’autre, des groupes de patients et de chercheurs qui défendent une origine biologique de la maladie et critiquent publiquement l’étude. Et, au milieu, les données récoltées par les scientifiques.

Lorsque certains chercheurs demandent à y avoir accès, l’Université de Queen Mary de Londres refuse. Elle argue que les participants n’avaient pas donné leur accord pour les publier, dit craindre qu'elles puissent être désanonymisées et considère avoir affaire à une campagne menée par des activistes. Ces arguments sont finalement réfutés par un tribunal en deuxième instance, qui ordonne en septembre 2016 la publication des données. Celle-ci met à jour des questions méthodologiques sur l’interprétation des résultats, ce qui attisera à nouveau ce débat médical enflammé. dsa

Illustration: Christoph Frei

Données manipulées
Les hackers s’attaquent aux chercheurs

2009 / Climatosceptiques vs scientifiques

Le «pire scandale scientifique de notre génération», selon un quotidien britannique, n’en était en fait pas un… Tout a commencé en automne 2009 par le hacking des serveurs de la Climate Research Unit à l’Université d’East Anglia, au Royaume-Uni. Quelque 1000 e-mails et 3000 documents sont dérobés et publiés petit à petit sur Internet et dans différents médias.

Les climatosceptiques et les médias se jettent sur ce qu’ils interprètent comme des incertitudes dans le débat scientifique autour du réchauffement climatique. La principale source d’indignation: des e-mails sortis de leur contexte et mal compris suggèrent que les climatologues ont dissimulé tous les résultats qui n’allaient pas dans leur sens.

Huit enquêtes d’experts indépendantes les unes des autres – réalisées pas des commissions parlementaires, des universités et des institutions scientifiques – concluent que les résultats des climatologues ne peuvent être incriminés. Elles critiquent en revanche le fait que les données n’aient pas été rendues publiques et épinglent les chercheurs pour avoir regroupé différents ensembles de données sans le déclarer clairement.

C’est justement pour cette raison qu’un dialogue permanent entre la science et le public et les médias doit exister, souligne le chimiste Paul Nurse, lauréat du prix Nobel. Alors président de la Royal Society, il s’était plongé dans le Climategate pour le documentaire de la BBC «Science Under Attack». «J’en ai conclu que certains politiciens, médias et militants se laissent guider davantage par des idéologies que par des faits scientifiques et la raison, indique Paul Nurse. Clouer la science au pilori n’apporte rien d’utile.». jr

Illustration: Christoph Frei

Bloquer la recherche sur les OGM
Questions interdites

2003 / Militants vs biologistes

En 2003, les militants de Greenpeace déposent un tas de fumier sur le terrain prévu par l’ETH Zurich pour semer du blé génétiquement modifié en plein air. Cette action de protestation n’est pas le premier obstacle pour les scientifiques. La demande d’autorisation en vue de mener ces recherches, déposée en 1999, a nécessité quatre ans et demi d’allers et retours entre différents offices fédéraux et plus de 500 pages de requêtes et de recours. Une plainte de Greenpeace et de riverains inquiets est même montée jusqu’au Tribunal fédéral. Celui-ci ne s’est pas prononcé sur les essais de dissémination en plein air, mais sur le fait que le recours des riverains avait été privé de son effet suspensif.

«Il y a deux aspects dans ces affaires, note Beat Keller, qui a mené plus tard des expérimentations similaires dans le cadre du programme national de recherche PNR 59. D’un côté, les collaborateurs scientifiques ont souvent des contrats à durée déterminée. Beaucoup de temps s’écoule jusqu’à ce que le jugement soit rendu.» Dans le cas présent, deux post-doctorants ont dû arrêter leurs recherches en raison de retards pris par la procédure d’autorisation. D’un autre côté, Beat Keller reconnaît aussi que de tels jugements garantissent la sécurité du droit dans
un Etat de droit.

Faut-il permettre à des riverains d’obtenir l’interruption d’expérimentations scientifiques en recourant à la justice? Beat Keller se montre pragmatique: «La loi sur le génie génétique prévoit une possibilité d’opposition. Les scientifiques doivent l’accepter.» Mais la société subit aussi les conséquences négatives qu’ont de telles démarches pour la place scientifique suisse. jr

Illustration: Christoph Frei

Rétablir sa réputation
Le tribunal corrige une critique en ligne

2016 / Historiens vs site Internet

Une mauvaise critique peut nuire durablement à la réputation d’un scientifique. En général, rétablir son honneur dans une telle circonstance se fait par la publication d’une réplique. Mais l’historien Julien Reitzenstein choisit de saisir la justice pour faire barrage à une mauvaise recension de sa thèse portant sur l’Institut de recherches appliquées pour les sciences militaires du Troisième Reich. Début 2017, le tribunal régional de Hambourg en interdit la publication sur le site Internet H-Soz-Kult, un important média dans le débat scientifique historique. Les responsables du site ont retiré le texte, mais l’ont remplacé par un autre qui paraphrase et cite de manière détaillée la version initiale. af

Illustration: Christoph Frei

Blasphemy
A troublemaker at the stake

1600 / Philosopher vs Inquisition

«Vous éprouvez sans doute plus de crainte à rendre cette sentence que moi à la recevoir.» Ainsi s’est exprimé le philosophe et théologien Giordano Bruno à Rome en 1600, peu avant d’être mené au bûcher pour hérésie par l’Inquisition. Giordano Bruno était un penseur non conformiste dont les travaux choquaient. Il défendait l’existence d’un univers infini et une vision du monde copernicienne, remettant en question le mythe d’un Dieu fondateur.

Contrairement à son célèbre contemporain Galilée, Giordano Bruno a refusé de revenir sur ses convictions, même sous la menace de mort des inquisiteurs. «Sa personnalité est fascinante, car il se comportait comme un trublion et un provocateur de manière consciente», souligne Richard Blum, professeur de philosophie à l’Université Loyola Maryland de Baltimore.

L’Eglise a fait de son cas un exemple. «Les autorités de l’Inquisition ont jugé que la philosophie de Giordano Bruno n’était pas compatible avec les dogmes chrétiens», explique Richard Blum. La décision de condamner le moine dominicain au bûcher a été motivée par des considérations de droit ecclésiastique et de politique religieuse.

Giordano Bruno fait partie des nombreux penseurs condamnés à mort pour leurs idées durant l’Inquisition. Le professeur de philosophie Richard Blum ne croit pas que ces procès ont influencé la marche du progrès de manière significative. «Les scientifiques ont presque toujours trouvé les moyens de défendre leurs théories.» jr