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Ouiaffirme Flavio Anselmetti de l’Université de Berne.

La fin de la dernière glaciation a marqué il y a 11 700 ans le début de l’ère de l’Holocène qui a vu la population mondiale augmenter fortement. Depuis quelques décennies – une période très brève sur le plan géologique – l’espèce humaine a déclenché des modifications si radicales du système Terre qu’elle atteindra bientôt les limites de son espace vital.

«Les fossiles humains permettront aux espèces futures d’identifier l’Anthropocène.»

C’est pourquoi il y a de bonnes raisons de définir avec l’Anthropocène le début d’une nouvelle ère. Comme beaucoup d’autres unités géochronologiques, elle débute par une extinction massive, dans ce cas déclenchée par les activités humaines. Les expériences nucléaires ont libéré des radionucléides qui n’avaient jamais existé au cours des 4,6 milliards d’années d’histoire de la planète. L’utilisation de combustibles fossiles vieux de plusieurs millions d’années a dégagé une quantité considérable de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ce phénomène s’est déjà produit dans l’histoire de la planète, mais jamais à une telle vitesse et jamais à cause d’une seule espèce. Dans certaines régions, l’érosion des sols provoquée par l’agriculture a entraîné des déplacements massifs de la couche superficielle, bien différents d’une sédimentation « naturelle ». L’impact de l’argile maya sur les forêts tropicales d’Amérique centrale témoigne de l’influence que peut avoir une civilisation.

Il faut que la Commission internationale de stratigraphie définisse précisément cette époque de manière à ce que tous les scientifiques parlent le même langage. Compte tenu des différents processus à l’origine des sédiments récents, il n’est pas étonnant qu’elle ait le choix entre plusieurs dépôts géologiques pour fixer le début de l’Anthropocène. La couche et le moment choisis sont toutefois plutôt secondaires.

Inscrire le début de cette ère dans les strates géologiques n’aura pas seulement une portée symbolique. Cette époque incarnera les nouvelles conditions du système Terre qui expliquent déjà les variations significatives de nombreuses séries chronologiques de mesures. Les changements marquants des dépôts géologiques montrent clairement qu’il ne s’agit pas d’un phénomène passager et, en durée, l’Anthropocène ne le cédera en rien à l’Holocène. L’homme y aura joué un rôle déterminant. Ses fossiles caractéristiques de cette époque permettront aux espèces futures de l’identifier dans l’échelle stratigraphique.

Flavio Anselmetti est professeur de géologie du quaternaire et de paléoclimatologie à l’Université de Berne. Auparavant, il a dirigé la sédimentologie à l’institut de recherche de l’eau Eawag à Dübendorf.

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Nondéclare Jed O. Kaplan de l'Université de Lausanne.

L'anthropocène constitue un concept politique pertinent qui n'a pas besoin d'une définition formelle ou d'être gravé en lettres d'or dans les strates géologiques. Ecrit avec une minuscule, il souligne l'influence de l'humanité sur l'évolution du système terrestre, aussi importante que l'orbite de notre planète autour du Soleil ou les plaques tectoniques. Il faut reconnaître que les activités humaines affectent globalement la planète et entraînent des modifications des écosystèmes, du paysage et du climat qui sont irréversibles dans une perspective géologique. En revanche, définir l'Anthropocène avec un grand A comme nouvelle ère de l'échelle des temps géologiques s'avère, faute de recul, non seulement problématique, mais aussi parfaitement inutile.

«Faute de recul, définir l’Anthropocène s’avère parfaitement inutile.»

L'échelle des temps géologiques représente une grande conquête pour la science du XIXe siècle. La datation absolue par radiochronologie l'a cependant largement supplantée, tant sur le plan scientifique que pédagogique. N'ayant pas de méthode pour dater de manière absolue les événements de l'histoire de la Terre, les premiers géologues ont postulé que les couches rocheuses contenant des fossiles semblables remontaient à peu près à la même période. Par conséquent, les premières apparitions de certains d'entre eux en différents endroits éloignés ont servi à définir les transitions entre les ères géologiques. L'échelle des temps géologiques originale présentant les divisions que nous utilisons encore aujourd'hui a été développée autour de 1850. En certains lieux, une plaque gravée ou un autre marqueur désigne les strates concernées. Une bonne partie des discussions et des débats récents sur la définition de l'Anthropocène se concentrent par conséquent autour de la question de savoir où placer le marqueur définissant le début de notre ère.

La plupart des textes scientifiques modernes et même de vulgarisation ne se réfèrent plus aux époques stratigraphiques pour définir un événement, excepté peut-être dans une phrase d'introduction. Outre les étudiants en géologie, peu de personnes connaissent par coeur l'ordre et la durée des périodes géologiques. En revanche, n'importe quel lecteur sait que l'extinction des dinosaures il y a quelque 65 millions d'années a précédé de beaucoup l'évolution de l'homme moderne voilà environ 200 000 ans.<&p>

Au-delà des problèmes posés par le manque de perspective, comment pouvons-nous définir une ère dans laquelle nous vivons et dont nous ne connaissons pas la fin? Le concept de l'époque de l'Anthropocène s'avère parfaitement superflu en science moderne. Même sans lui, nous pouvons dater précisément les influences successives exercées par l'humanité sur le système terrestre, depuis les débuts de notre espèce jusqu'à aujourd'hui.

Jed O. Kaplan est professeur à l'Institut des dynamiques de la surface terrestre de l'Université de Lausanne. Il étudie l'histoire de l'environnement et les interactions entre les activités humaines, la surface terrestre et le climat.