Image: Valérie Chételat

Quidit Brian McGowan, de Sensability.

Le handicap a longtemps été considéré comme une limitation individuelle. Aussi, la société a développé des solutions individuelles: aider la personne à être dans la meilleure forme possible grâce à la physiothérapie, aux prothèses ou à la rééducation. Et lui octroyer une rente.

D’innombrables produits se révèlent finalement inutilisables.

La perception du handicap a commencé à changer dans les années 1980. Il est désormais compris comme l’interaction entre incapacités individuelles et obstacles environnementaux qui entravent une pleine participation à la vie en société. Cette approche favorise l’égalité des personnes handicapées en se focalisant sur les barrières existant autour d’elles. Si ces dernières disparaissent, le handicap correspondant disparaît également.

Il en va de même pour la «tare» qui accompagne souvent un handicap. Le philosophe suisse Peter Bieri la définit comme un signe indésirable socialement qui doit être dissimulé. Elle n’existe pas sans censure sociale.

Quel lien entre ces réflexions et les nouvelles technologies? De nos jours encore, la recherche technologique vise avant tout à améliorer la forme des individus. Le Cybathlon de l’ETH Zurich – une compétition entre personnes handicapées assistées techniquement – s’est d’ailleurs focalisé uniquement sur cet aspect à ses débuts.

Il est très important de chercher des solutions qui englobent également la suppression des obstacles dans l’environnement. Le progrès technologique est certes nécessaire au niveau tant individuel que sociétal. Les parents avec une poussette ou les personnes âgées bénéficient en effet aussi de ces évolutions.

Il faut que les personnes handicapées soient eux-mêmes représentées dans le développement de nouvelles technologies. Elles connaissent mieux que quiconque les obstacles rencontrés au quotidien et les outils véritablement utiles. Cependant, il est encore trop rare d’impliquer les personnes concernées dans le processus. Résultat: d’innombrables produits, outils ou dispositifs architecturaux conçus spécialement pour elles se révèlent finalement inutilisables.

De nouveaux outils et prothèses miniaturisés facilitent le fait de camoufler une tare et encouragent ainsi ce comportement. A l’inverse, pouvoir se déplacer de manière autonome dans l’espace public permet aux personnes en situation de handicap de surmonter leur tare et peut les amener à la réévaluer. Ainsi naissent dans les têtes de nouvelles images, des préjugés tombent, et les personnes handicapées apprennent à se découvrir elles-mêmes et à explorerle monde de manière autonome.

Je suis convaincu que les développements technologiques influencent de manière décisive le regard porté sur le handicap. En tant que personne concernée, j’ai le choix de répondre à l’injonction de la société en cachant une tare supposée ou, au contraire, de ne pas me laisser définir par des préjugés de rejet ou d’acception.

L’historien Brian McGowan s’engage pour l’égalité des personnes handicapées en tant que président de sensability.ch. Il est en charge de la diversité à la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW). Il se déplace lui-même en fauteuil roulant.

Image: Valérie Chételat

Nondit Robert Riener, du Laboratoire des systèmes sensorimoteurs de l’ETH Zurich.

Les personnes handicapées sont entravées au quotidien par des barrières dressées dans l’environnement et dans les têtes. Cela freine leur intégration et leur participation aux métiers et aux loisirs. Certains obstacles, tels les escaliers dans les lieux publics ou les préjugés de la société, ne sauraient être éliminés qu’au prix de grands efforts, tandis que d’autres demeurent insurmontables. La technique moderne offre des moyens d’en lever quelques-uns. De nouvelles orthèses et prothèses de jambes motorisées, appelées exosquelettes, aident par exemple les personnes handicapées à se déplacer sur des terrains difficilement praticables. Les smartphones peuvent lire des informations à haute voix, informer et mettre les gens en contact. Ils représentent un outil dont les personnes malvoyantes ou limitées dans leur mobilité ont déjà du mal à se passer.

Les nouvelles technologies doivent être rapidement lancées sur le marché.

Il ne faut pas limiter le développement et la commercialisation d’une nouvelle technologie, pour autant qu’elle soit employée de manière éthiquement correcte. A savoir qu’elle doit présenter toute sécurité, pouvoir être utilisée de manière volontaire et être accessible à l’ensemble des personnes concernées.

La sécurité et la liberté de choix sont désormais acquises pour l’essentiel. Mais la disponibilité reste un défi. Ces technologies, souvent onéreuses, restent hors de portée de certaines couches de la population, surtout dans les pays en développement. De plus, les coûts des applications les plus réussies sont particulièrement élevés, notamment parce que la forte demande pousse les prix à la hausse.

On peut améliorer la disponibilité des nouvelles technologies grâce aux instruments de l’économie de marché. Les cycles d’innovation doivent être raccourcis au maximum. Pour proposer de nouveaux outils de manière concurrentielle, il convient que les transferts de technologies se déroulent simultanément. Et nous devons informer de manière transparente sur leurs avantages. Par ailleurs, les lois et les subventions sont propres à faciliter l’accès aux nouvelles technologies. Il existe ici un potentiel d’amélioration considérable, surtout en Suisse. Le financement de moyens auxiliaires par l’assurance-invalidité est très limité: le dernier état de la technique n’est pas explicitement encouragé.

Les nouvelles technologies ne mettent pas les personnes handicapées sous pression. Elles les aident à surmonter les barrières et améliorent leur qualité de vie. C’est pourquoi elles doivent être lancées sur le marché rapidement et à large échelles, autant que possible avec l’aide de l’Etat. Les combats absurdes autour de la répartition des moyens disponibles deviendront alors superflus.

Robert Riener dirige le Département des sciences et technologies de la santé de l’ETH Zurich. Il mène des recherches au Laboratoire des systèmes sensorimoteurs de l’ETH Zurich et à l’Université de Zurich. En 2016, il a lancé le cybathlon, une compétition entre personnes handicapées soutenues par des nouvelles technologies.