Les journalistes scientifiques écrivent avant tout pour des magazines spécialisés populaires tels que New Scientist et les rubriques scientifiques des médias nationaux, plutôt que pour des domaines plus généraux tels que la politique ou l'économie. | Photo: m.à.d.

Le journalisme scientifique occidental doit son essor aux satellites soviétiques Spoutnik 1 et 2. Premiers du genre, ils ont provoqué des ondes de choc sociétales aux Etats-Unis, au même titre que les fusées qui les ont transportés dans l’espace. Ils ont aussi balisé la voie pour le programme spatial américain.

A Cap Canaveral, des carrières ont décollé sur le site de lancement des fusées américaines, à l’instar de celle de Mary Bubb, la première journaliste scientifique. Aujourd’hui encore, Mary et plusieurs dizaines de plumes figurent au tableau d’honneur de la NASA, sous le titre de «Chroniclers».

Le rôle des journalistes scientifiques

Selon les journalistes scientifiques, les trois tâches qui définissent le mieux leur fonction sont: informer, expliquer la science et la promouvoir. Leur rôle de chiens de garde publics est davantage valorisé en Afrique subsaharienne et en Asie. | Source: Global Science Journalism Report 2022

C’est ainsi qu’a débuté l’âge d’or des groupies de la science. «La couverture médiatique des progrès techniques postSpoutnik était généralement empreinte d’enthousiasme. L’admiration et le respect ont longtemps caractérisé le journalisme scientifique», résument la chercheuse brésilienne en communication Luisa Massarani et ses collègues dans un article spécialisé sur la Fédération mondiale des journalistes scientifiques.

Or, les huées n’ont cessé d’accompagner toujours plus les cris jubilatoires dès les années 1960. La biologiste Rachel Carson publie en 1962 «Printemps silencieux». L’ouvrage sur les dommages environnementaux des pesticides marque le début du mouvement écologiste qui a largement contribué à ramener le journalisme scientifique à la réalité, aussi sordide soit-elle.

des 505 journalistes scientifiques interrogés dans le monde déclarent travailler comme pigistes.

est l’âge moyen des journalistes scientifiques dans le monde.

des journalistes scientifiques interrogés dans le monde pointent les faibles honoraires comme le principal problème dans leur activité.

des personnes interrogées recommanderaient une carrière dans le journalisme scientifique à la communauté estudiantine.

Sources: Global Science Journalism Report 2021 und 2022

Les pluies acides en Europe, l’accident chimique à Bhopal ou la catastrophe nucléaire de Tchernobyl: les tragédies environnementales des années 1980 n’ont cessé de durcir le regard critique de la presse, note Holger Wormer, expert allemand en journalisme scientifique. Et l’équipe de Luisa Massarani d’ajouter: «Ces journalistes s’intéressaient moins aux avancées scientifiques qu’aux conséquences terrestres des technologies modernes.»

Autre jalon important dans la mise en lumière des découvertes scientifiques et de leurs implications sociétales: le tournant du millénaire et ses débats éthiques autour de la recherche sur les cellules souches, du clonage et du projet Génome humain, note Holger Wormer. «Le journalisme scientifique s’imposait toujours plus, ce qui laissait entrevoir à long terme de nouvelles structures pour les rédactions. Puis se sont produits les attentats du 11-Septembre.» D’autres questions sont alors réapparues sur le devant de la scène.

Créations d’associations nationales

L’Amérique latine a connu un bond de créations d’associations nationales vers 1970. Le pic n’a été atteint qu’en 1980 en Europe. En Afrique, la tendance a débuté vers les années 2000. La Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) est née en 2002. | Source: compilé par Massarani, Magalhães et Lewenstein (2025) à partir des données de Gascoigne et al. (2020), Massarani et Magalhães (2024), White (2007) et de sites Internet d’associations.

La pandémie de Covid-19 a réveillé un sentiment de déjà-vu chez Holger Wormer. Le journalisme scientifique a de nouveau servi de référence ultime entre 2020 et 2022. Pourtant, «encore une fois, sa montée en puissance temporaire n’a rien donné». Concrètement, quasiment aucune nouvelle structure permanente n’a vu le jour au sein des rédactions.

«Le réflexe de consulter les collègues de la rédaction scientifique pour traiter, par exemple, de l’entreprise américaine controversée d’analyse de données Palantir, demeure absent un peu partout dans les services dédiés aux actualités.» Qui plus est, «les rédactions politiques courent de nouveau après l’actualité quotidienne et s’intéressent surtout aux propos du président américain».

Impulsions centrales d’Amérique latine

La 13e Conférence mondiale des journalistes scientifiques vient de s’achever à Pretoria, en Afrique du Sud. La première avait eu lieu au Japon en 1992. A la troisième édition, tenue en 2002 à São Paulo, au Brésil, ont été posés les jalons de la future Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ). Aujourd’hui, elle réunit environ 70 associations nationales. Luisa Massarani, chercheuse brésilienne en communication, et ses collègues ont analysé son évolution: «Les associations professionnelles ont joué un rôle clé dans la consolidation du journalisme scientifique», constate-t-elle.

Trois associations interrégionales ont été centrales: l’ISWA (britannique, canadienne et nord-américaine), l’EUSJA (européenne) et l’AIPC (hispanique et latino-américaine). Cette dernière, fondée en 1969 par deux journalistes scientifiques, l’un Espagnol et l’autre Vénézuélien, a donné naissance au journalisme scientifique mondial, selon l’article signé Luisa Massarani & Co. Les créations d’associations nationales en Amérique latine ont été «encouragées par l’AIPC» dans les années 1970. L’EUSJA réunissait déjà des associations nationales existantes en Europe et s’est étendue à partir des années 1980, avec la dissolution de l’Union soviétique. L’objectif de la Fédération mondiale de promouvoir aussi des associations locales en Afrique se reflète dans un pic de créations dès les années 2000. La WFSJ vise à rassembler les compétences des journalistes scientifiques du monde entier et à réduire les disparités entre l’Occident et le Sud.

Le journalisme scientifique ou «département à la traîne», pour reprendre le terme de Walter Hömberg dans un ouvrage de référence paru en 1989, ne peut toujours pas voler de ses propres ailes. Le financement de la science et du journalisme s’avère particulièrement précaire à l’heure actuelle. «Cela ne va pas aller en s’arrangeant avec l’ère de l’IA», regrette Holger Wormer. Une autre évolution est préoccupante: les instituts de recherche eux-mêmes communiquent de plus en plus. «On pourrait penser que les universités peuvent tout simplement couvrir elles-mêmes les événements scientifiques, note Holger Wormer. Or, ce qui les intéresse vraiment est de soigner leur réputation. Elles souhaitent avant tout afficher leurs trouvailles.»

L’expert s’interroge: «Pourquoi n’y trouve-t-on quasiment aucune véritable communication scientifique de qualité qui respecte les normes de la science et du journalisme? Rédiger un article scientifique passe également par l’évocation des limites des résultats de recherche, la littérature d’autres chercheuses et chercheurs, les contradictions.»

Où paraissent les articles

Internet constitue le principal média de diffusion pour le travail des journalistes scientifiques. | Source: Global Science Journalism Report 2021

C’est plus nécessaire que jamais, selon Holger Wormer: «Un service de communication ne peut plus se contenter de faire grand bruit, puis de laisser les journalistes replacer les choses dans leur contexte. Non, le public final voit directement les communiqués de presse sur Internet. Il faut contextualiser dès le départ.» Il y voit également une opportunité: «Les journalistes scientifiques n’auraient pas tant à se soucier de leur devoir de chroniqueurs et à écrire sur de nouvelles études individuelles, et pourraient davantage contextualiser.»

Si on suit les idées de Wormer, les journalistes scientifiques pourraient donc se concentrer sur leur rôle consistant à expliquer les liens entre les découvertes issues de la recherche et leurs conséquences pour la société. Tout en ayant à l’œil le système scientifique, tels des chiens de garde. Fini le temps des groupies qu’un simple regard vers le ciel enthousiasmait.

LE THèME: Journalisme scientifique