Visibles au microscope électronique, les longs prolongements de l’Archae Lokiarchaeum ossiferum témoignent du fait que l’organisme unicellulaire dispose d’un squelette cellulaire – à l’instar des cellules humaines. | Photo: Thiago Rodrigues-Oliveira / Uni versité de Vienne

L’arbre universel de la vie permet de remonter au dernier ancêtre commun de deux espèces. Il retrace l’évolution du vivant. On y trouve, d’un côté, les bactéries et, de l’autre, un embranchement menant aux cellules dotées d’un noyau – les eucaryotes – qui ont donné naissance aux animaux, plantes et champignons. Mais un troisième groupe d’organismes est venu semer le trouble dans les classifications: les archées, identifiées en 1977. Car malgré leur apparente similitude avec les bactéries, ces cellules pourtant dépourvues de noyau ont un fonctionnement plus proche de celui des eucaryotes.

Le débat a longtemps fait rage pour savoir si les eucaryotes – et donc les humains – n’étaient qu’une sorte d’archées parmi d’autres ou si les deux groupes étaient séparés et distincts. En 2015, la découverte des archées d’Asgard, proposées comme le maillon manquant de l’évolution, a rebattu les cartes. Leur proximité avec les eucaryotes leur a valu d’être rapidement admises par la grande majorité des biologistes comme nos ancêtres, corroborant un modèle dans lequel nous apparaîtrions au beau milieu des archées.

«Notre apparentement direct aux Asgards est un artefact qui apparaît lorsque l’on compare toutes les protéines simultanément.»Patrick Forterre

Un consensus auquel l’évolutionniste Patrick Forterre, professeur émérite à l’Université Paris-Sarclay et à l’Institut Pasteur, n’adhère pas. «Pour reconstituer l’arbre de l’évolution, on compare des protéines conservées au sein du vivant. Or, selon la protéine utilisée, on obtient différents arbres, qui nous placent tantôt au sein des Asgards, tantôt hors des archées», détaille le chercheur. Pour lui, ces résultats ne s’expliquent que si les ancêtres des eucaryotes se sont effectivement séparés des archées, mais ont ensuite évolué en association avec des Asgards, échangeant certains gènes au gré de leur cohabitation. «Notre apparentement direct aux Asgards est un artefact qui apparaît lorsque l’on compare toutes les protéines simultanément. Mais dans les deux cas, les Asgards sont intéressantes et ont joué un rôle lors de l’évolution des eucaryotes.»

Modèle pour les cellules humaines

Si elle partage cet intérêt pour ces archées, l’évolutionniste et microbiologiste Anja Spang n’est pas convaincue de la théorie de Patrick Forterre. «En construisant des arbres sur une seule protéine à la fois, on n’obtient pas la puissance statistique nécessaire pour remonter 2 milliards d’années d’évolution», explique la professeure à l’Université d’Amsterdam. Spécialiste des archées, elle a contribué à découvrir les Asgards avec Thijs Ettema et des collègues. «Les débats sont bons pour la science, mais il est important de se focaliser sur les preuves existantes, continue-t-elle. Les modèles phylogénétiques les plus réalistes combinés à un ensemble non biaisé de protéines ont apporté un soutien statistique à l’émergence des eucaryotes au sein des Asgards.» Pour elle, le nouveau débat a trait au niveau de complexité de l’ancêtre asgardien des eucaryotes.

«Les débats sont bons pour la science, mais il est important de se focaliser sur les preuves existantes.»Anja Spang

«Les biologistes de l’évolution aiment proposer des hypothèses contradictoires, ça rend le débat intéressant», relève Martin Pilhofer, professeur de l’ETH Zurich. Lui-même microbiologiste et spécialiste de microscopie à haute résolution, il étudie l’armature cellulaire, appelée «cytosquelette». Cette structure essentielle pour la division ou le déplacement de nos cellules est par exemple la cible de nombreuses chimiothérapies. La découverte des archées d’Asgard en 2015 a éveillé l’intérêt de Martin Pilhofer. «Je guettais le premier groupe capable de les cultiver qui voudrait bien collaborer avec moi!» se souvient-il. Un projet concrétisé avec la microbiologiste Christa Schleper, de l’Université de Vienne. Leurs collaborations ont mis en avant des cytosquelettes déjà très développés chez les archées d’Asgard, «un élément crucial pour permettre leur complexification vers les eucaryotes», selon le chercheur. Des découvertes qui dépassent la quête de nos origines: «Les versions asgardiennes des microtubules peuvent aussi directement servir d’outils pour étudier les nôtres. Avec de potentielles applications en oncologie.»