Matériaux de construction
Du béton perforé contre le bruit urbain
Diminuer le bruit des villes – un postdoc a imaginé un matériau adapté à cette mission et a fondé une start-up pour concrétiser son projet.

Les pores du béton absorbent les fréquences plus basses du trafic routier. Lorsque des plantes y poussent, les fréquences plus hautes encore audibles peuvent également être filtrées.| Photo: Ice Formwork
Un béton acoustique tout en cavités, qui absorbe les bruits urbains et œuvre en même temps en faveur de la biodiversité en fournissant un habitat à de petites espèces végétales et animales. C’est le projet de Vasily Sitnikov, postdoc à l’ETH Zurich. Pour ce faire, il coule du béton autour d’une forme en glace. En fondant, la glace laisse la place à une structure creuse dans le béton. Le chercheur en matériaux vient de lancer la start-up Ice Formwork pour développer cette technique. Pour l’heure, il en teste le potentiel commercial avec des acteurs privés dans le domaine de la construction, de l’urbanisme et de la protection de l’environnement.
C’est en Suède, à l’Ecole royale polytechnique de Stockholm, qu’il a eu pour la première fois l’idée d’utiliser la glace pour obtenir une structure creuse dans le béton. Les procédés conventionnels se prêtaient mal à son projet. L’injection de gaz dans le béton liquide génère des cavités trop petites pour absorber les sons de basse et moyenne fréquence, particulièrement typiques des milieux urbains. L’impression 3D, quant à elle, ne permet pas de produire en masse.
«A l’époque, certains de mes collègues expérimentaient la cire synthétique pour créer des creux dans le béton, explique Vasily Sitnikov. Je me suis demandé si nous pouvions utiliser quelque chose de plus écologique que ces matériaux pétrochimiques, et j’ai pensé à l’eau. C’était un pari un peu fou.»
Baisser la température de durcissement
Le principal défi était d’obtenir un matériau capable de durcir au-dessous du point de congélation. Les bétons conventionnels se solidifient à un minimum de 5 °C: à cette température, la structure provisoire en glace fondrait avant que le matériau n’ait le temps de s’affermir. Le postdoc a donc dû développer une série d’additifs chimiques qui permettent au béton de durcir à des températures comprises entre -10 °C et -5 °C.
Pour moduler les propriétés acoustiques du matériau, le chercheur a joué sur la taille des creux obtenus dans le béton final. Il a ciblé les ondes sonores de moyenne à basse fréquence, entre 250 Hz et 4 kHz. «C’est typiquement la gamme de fréquences produites par le trafic automobile, par exemple le bruit d’un pneu sur la route.» Mesurant 1 mètre de côté pour une profondeur de 20 centimètres, les panneaux sont testés acoustiquement avec un ensemble de microphones qui enregistrent l’absorption et les réflexions des ondes sonores sur le matériau.
Ce béton ne permettant pas de filtrer les sons de plus haute fréquence, toujours audibles pour l’humain, Vasily Sitnikov a imaginé utiliser les creux du matériau pour y faire pousser de la végétation, à la manière d’un jardin vertical. En effet, la verdure a précisément comme propriété d’absorber ce type de bruits.
Niches pour animaux et plantes
Ce faisant, il allait découvrir une seconde application pour son béton, complémentaire ou totalement distincte: un espace pour la biodiversité. Outre les plantes, les petits animaux peuvent aussi prospérer dans les trous du matériau. Une propriété intéressante en ville, et plus encore dans les écosystèmes marins. «Nous travaillons aussi avec des biologistes sur un concept de récifs artificiels», se réjouit le chercheur.
Si le procédé est avant tout destiné à occuper une niche, des dires mêmes de son inventeur, le potentiel industriel est réel. Il est déployable à grande échelle, en usine et aussi directement sur les chantiers – à condition que l’on dispose d’assez d’espace pour installer un container réfrigérant, explique Vasily Sitnikov. «Il suffit de déployer des équipements destinés au transport réfrigéré et d’y installer les lignes de production.»