Manifestation du 9 novembre 2016 à New York, contre l’élection, peu avant, du président républicain Donald Trump. Photo: Stacy Walsh Rosenstock / Alamy Stock Photo

Lorsqu’il a remporté l’élection présidentielle de 2016, Donald Trump disposait d’une alliée de taille: la négativité. En effet, plus de la moitié des personnes qui ont coché son nom n’ont pas voté pour lui, mais contre Hillary Clinton. Visiblement, la candidate démocrate était nettement moins populaire auprès de l’électorat.

Ce phénomène n’est pas une spécificité historique et géographique. La négativité a toujours existé en politique et pas seulement aux Etats-Unis. En 2023, la vert’libérale Tiana Moser a été élue au Conseil des Etats, car de nombreuses personnes, qui ne lui vouaient pas de sympathie particulière, ne voulaient pas voir Gregor Rutz remporter le second tour du scrutin.

«Il reste improbable qu’une électrice socialiste soutienne une initiative de l’UDC, et inversement.»Diego Garzia

En 2002, chez nos voisins français, de nombreux partisans de gauche ont voté pour Jacques Chirac au second tour de la présidentielle alors qu’il n’était guère populaire dans leurs rangs. Inscrire le candidat de l’extrême droite Jean-Marie Le Pen sur leur bulletin de vote aurait été pire. En politique, la négativité semble être élémentaire.

Quel est le moteur qui pousse à voter négativement? Et quelle est l’influence de cette manière d’exprimer son opinion? A l’Université de Lausanne, le groupe de recherche de Diego Garzia tente de répondre à ces questions. «La politique négative est une expression générale pour désigner un phénomène qui peut prendre des formes variées», affirme-t-il. Ce qui l’intéresse, c’est avant tout la manière dont elle se manifeste au sein de la population et aux urnes. Pour le savoir, il épluche les données à long terme des sondages réalisés après les élections. «On observe une tendance à se distancier émotionnellement du parti préféré et à rejeter plus fortement les candidats mal aimés», résume le chercheur.

«Nous mesurons l’aversion des électrices et des électeurs pour l’opposition»: Diego Garzia fait une distinction entre polarisation des partis – leur différence idéologique – et polarisation affective des personnes qui se rendent aux urnes. Dans les systèmes multipartites européens, cette aversion n’a pas augmenté de manière significative, car elle a toujours existé. «Il reste improbable qu’une électrice socialiste soutienne une initiative de l’UDC, et inversement», assure Diego Garzia.

Système multipartite comme antidote

Ce qui change, cependant, c’est la polarisation du corps électoral. «Ce n’est pas la même chose si quelqu’un soutient le parti A à 100% et le parti B à seulement 50% ou si une électrice soutient le parti A à 50% et pas du tout le parti B, précise le chercheur. Lors du vote, l’un est motivé par la sympathie, l’autre par l’antipathie.» Alors que la différence de soutien est égale dans les deux cas, la qualité n’est pas la même. Elle glisse dans le négatif: moins de personnes ont une grande sympathie pour les partis ainsi que pour les politiciennes et les politiciens; par contre, leur antipathie grandit. «Le résultat est une politique fortement marquée par l’aversion et la négativité.»

«Pour les électrices et les électeurs, le but est d’éviter le pire.»Thomas Milic

Des votes négatifs ne sont pas forcément une mauvaise chose pour la démocratie, explique Thomas Milic de l’Institut Liechtenstein (LI), qui analyse aussi notre comportement aux urnes. «Lors d’élections au scrutin majoritaire comptant plusieurs tours en particulier, il s’agit au début d’exprimer ses sympathies puis de trouver la personne qui peut être acceptée par une majorité, indique le spécialiste. Pour les électrices et les électeurs, le but est d’éviter le pire.» Les personnes de gauche peuvent s’accommoder d’une candidate vert’libérale, mais pas d’un représentant de l’UDC.

«Les systèmes multipartites sont un antidote à la politique négative», pense aussi Diego Garzia. En Europe, la part des électrices et des électeurs négatifs se situe autour de 10%. Le fait que des coalitions soient souvent nécessaires pour former un gouvernement n’y est pas étranger. «Après les élections, les partis doivent collaborer. Plus la négativité aux urnes est importante et plus le résultat est amer par la suite.» Reste à explorer le lien avec le taux de participation: «Je suppose que les personnes très négativement polarisées participent plus fréquemment aux élections, dit Diego Garzia. Cela expliquerait pourquoi les campagnes sont de plus en plus haineuses. Cette négativité pourrait attirer aux urnes les personnes dont dépend le succès électoral.»