Photo: Vera Hartmann / 13PHOTO

Nondit Peter Schneider, psychanalyste, chroniqueur et humoriste,.

Photo: Salvatore Di Nolfi / Keystone

Ouidit Samia Hurst, bioéthicienne.
Le scientifique français Etienne Klein a tweeté la photographie d’une tranche de chorizo et l’a fait passer pour une prise de vue réalisée par le téléscope James-Webb: «Ce niveau de détails… Un nouveau monde se dévoile jour après jour.» Trois jours plus tard, il s’excusait auprès de toutes les personnes crédules que son canular avait pu choquer: il voulait «simplement inciter à la prudence vis-à-vis des images qui semblent éloquentes par elles-mêmes».

Plus l’effort est petit, plus l’effet comique est grand, et plus la blague est une réussite. Le canular d’Etienne Klein sur les médias sociaux est donc très réussi. D’une part, la distance entre la photographie d’une tranche de chorizo et une image réalisée par un télescope spatial de 10 milliards de dollars est de 3,14 millions d’années-lumière (je l’affirme juste comme ça maintenant) – ce qui rend déjà ce fake parodique très amusant. De plus, la plaisanterie est un poids lourd épistémologique condensé au minimum: combien de fois avons-nous déjà lu que nous pouvons «regarder le cerveau penser» grâce à la résonance magnétique fonctionnelle? Malheureusement, sans que personne ne trouve drôle le comique involontaire de cette affirmation. Ce que «nous» (ce pronom collectif abstrait devrait déjà rendre sceptique) pouvons faire à l’aide de l’IRMf, c’est transformer avec un certain décalage la saturation en oxygène dans différentes régions du cerveau en séries de diagrammes colorés sur la base de l’écart avec le modèle standard établi à partir de nombreux cerveaux.

«Le hoax du chorizo est intelligent car il crée une conscience de la façon dont les faits médiatiques sont produits dans les sciences.»

Le fait qu’on ne puisse pas séparer une découverte du contexte dans lequel elle a été réalisée fait partie de la culture générale de la philosophie des sciences. De même, une image est liée au contexte de sa production médiatique.

Ergo: ce hoax n’est pas seulement drôle, il est aussi intelligent, parce qu’il permet de prendre conscience de la manière dont sont produits les faits dans les sciences sur le plan technique, médiatique et expérimental. Ils ne nous tombent pas dessus «soudainement», comme la pomme de Newton.

Peter Schneider est psychanalyste, chroniqueur et humoriste, ainsi que privat-docent en psychologie clinique à l’Université de Zurich. Il a publié divers livres consacrés à la psychiatrie, la psychanalyse et la philosophie des sciences, dont le dernier, «Follow the Science», en 2021.

Dans un service d’urgence américain, des internes affamés attendent la pizza qu’ils ont commandée quand on leur annonce une victime de plaie par balle. Ils luttent pour sauver la vie du jeune homme, en vain. C’était le livreur de pizzas. Ils trouvent la pizza sur le seuil de l’hôpital, parfaitement comestible. L’un d’eux demande: «On lui donne combien comme pourboire?» Ils rient, et mangent la pizza.

«On rit de plus faibles que soi, d’un rire qui exclut et peut humilier.»

Nous entretenons trop souvent avec l’humour un rapport empreint de malentendus. L’humour médical illustré par cette plaisanterie dans un article qui procède à son analyse peut être très noir et parfois très cru, et heurte des générations successives de stagiaires. Etre choquée ou offensé n’est pas toujours avouable. On semble s’ériger contre l’humour. Entre ce que nous nous devons les uns aux autres, et l’importance du rire, avons-nous un problème?

La juriste Katie Watson s’était livrée, il y a quelque temps, à un exercice utile en catégorisant l’humour selon ses fonctions. Entre les lignes des plaisanteries, c’est toute une série de messages que nous nous communiquons. Nous plaisantons pour dire la vérité plus vite, pour rendre moins menaçant ce qui a du pouvoir sur nous, pour rétablir un tant soit peu une réalité dans laquelle le déséquilibre serait insupportable autrement. On rit même de la mort, ultime exemple de punching up. Cet humour- là est vital, parfois littéralement. Mais dans ce langage qu’est le rire, les messages qui poseraient problème sans lui posent toujours problème, même s’ils sont plus drôles. On rit de plus faibles que soi, d’un rire qui exclut et peut humilier. «Où est ton sens de l’humour?» Là n’est pas vraiment la question.

Dans l’exemple de la tranche de chorizo, quels messages sont communiqués? «Méfiez-vous des images sur internet », traduit la physicienne. «Vous êtes des imbéciles crédules», comprennent les amateurs de science et de belles images, dont certains se sentent trahis. Et cela est dangereux. Le message renforce le préjugé selon lequel les scientifiques sont des élitistes arrogants. Restons donc prudents: la réception de nos messages doit forcément compter pour quelque chose, avec ou sans humour.

Médecin, Samia Hurst est bioéthicienne à l’Université de Genève et consultante du Conseil d’éthique clinique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Elle édite la revue Bioethica et a été vice-présidente de la Swiss National Covid- 19 Science Task Force.

Photo: Vera Hartmann / 13PHOTO

Nondit Peter Schneider, psychanalyste, chroniqueur et humoriste,.

Le scientifique français Etienne Klein a tweeté la photographie d’une tranche de chorizo et l’a fait passer pour une prise de vue réalisée par le télescope James-Webb: «Ce niveau de détails… Un nouveau monde se dévoile jour après jour.» Trois jours plus tard, il s’excusait auprès de toutes les personnes crédules que son canular avait pu choquer: il voulait «simplement inciter à la prudence visà- vis des images qui semblent éloquentes par elles-mêmes».

«Le hoax du chorizo est intelligent car il crée une conscience de la façon dont les faits médiatiques sont produits dans les sciences.»

Plus l’effort est petit, plus l’effet comique est grand, et plus la blague est une réussite. Le canular d’Etienne Klein sur les médias sociaux est donc très réussi. D’une part, la distance entre la photographie d’une tranche de chorizo et une image réalisée par un télescope spatial de 10 milliards de dollars est de 3,14 millions d’années-lumière (je l’affirme juste comme ça maintenant) – ce qui rend déjà ce fake parodique très amusant. De plus, la plaisanterie est un poids lourd épistémologique condensé au minimum: combien de fois avons-nous déjà lu que nous pouvons «regarder le cerveau penser» grâce à la résonance magnétique fonctionnelle? Malheureusement, sans que personne ne trouve drôle le comique involontaire de cette affirmation. Ce que «nous» (ce pronom collectif abstrait devrait déjà rendre sceptique) pouvons faire à l’aide de l’IRMf, c’est transformer avec un certain décalage la saturation en oxygène dans différentes régions du cerveau en séries de diagrammes colorés sur la base de l’écart avec le modèle standard établi à partir de nombreux cerveaux.

Le fait qu’on ne puisse pas séparer une découverte du contexte dans lequel elle a été réalisée fait partie de la culture générale de la philosophie des sciences. De même, une image est liée au contexte de sa production médiatique.

Ergo: ce hoax n’est pas seulement drôle, il est aussi intelligent, parce qu’il permet de prendre conscience de la manière dont sont produits les faits dans les sciences sur le plan technique, médiatique et expérimental. Ils ne nous tombent pas dessus «soudainement», comme la pomme de Newton.

Peter Schneider est psychanalyste, chroniqueur et humoriste, ainsi que privat-docent en psychologie clinique à l’Université de Zurich. Il a publié divers livres consacrés à la psychiatrie, la psychanalyse et la philosophie des sciences, dont le dernier, «Follow the Science», en 2021.

 


Photo: Salvatore Di Nolfi / Keystone

Ouidit Samia Hurst, medizinische Bioethikerin.

Dans un service d’urgence américain, des internes affamés attendent la pizza qu’ils ont commandée quand on leur annonce une victime de plaie par balle. Ils luttent pour sauver la vie du jeune homme, en vain. C’était le livreur de pizzas. Ils trouvent la pizza sur le seuil de l’hôpital, parfaitement comestible. L’un d’eux demande: «On lui donne combien comme pourboire?» Ils rient, et mangent la pizza.

«On rit de plus faibles que soi, d’un rire qui exclut et peut humilier.»

Nous entretenons trop souvent avec l’humour un rapport empreint de malentendus. L’humour médical illustré par cette plaisanterie dans un article qui procède à son analyse peut être très noir et parfois très cru, et heurte des générations successives de stagiaires. Etre choquée ou offensé n’est pas toujours avouable. On semble s’ériger contre l’humour. Entre ce que nous nous devons les uns aux autres, et l’importance du rire, avons-nous un problème?

La juriste Katie Watson s’était livrée, il y a quelque temps, à un exercice utile en catégorisant l’humour selon ses fonctions. Entre les lignes des plaisanteries, c’est toute une série de messages que nous nous communiquons. Nous plaisantons pour dire la vérité plus vite, pour rendre moins menaçant ce qui a du pouvoir sur nous, pour rétablir un tant soit peu une réalité dans laquelle le déséquilibre serait insupportable autrement. On rit même de la mort, ultime exemple de punching up. Cet humour- là est vital, parfois littéralement. Mais dans ce langage qu’est le rire, les messages qui poseraient problème sans lui posent toujours problème, même s’ils sont plus drôles. On rit de plus faibles que soi, d’un rire qui exclut et peut humilier. «Où est ton sens de l’humour?» Là n’est pas vraiment la question.

Dans l’exemple de la tranche de chorizo, quels messages sont communiqués? «Méfiez-vous des images sur internet », traduit la physicienne. «Vous êtes des imbéciles crédules», comprennent les amateurs de science et de belles images, dont certains se sentent trahis. Et cela est dangereux. Le message renforce le préjugé selon lequel les scientifiques sont des élitistes arrogants. Restons donc prudents: la réception de nos messages doit forcément compter pour quelque chose, avec ou sans humour.

Médecin, Samia Hurst est bioéthicienne à l’Université de Genève et consultante du Conseil d’éthique clinique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Elle édite la revue Bioethica et a été vice-présidente de la Swiss National Covid- 19 Science Task Force.