Photo: Valérie Chételat

Oui,répond Mirjam Christ-Crain de l’Hôpital universitaire de Bâle

Photo: Valérie Chételat

Non,répond Peter Kleist de la Commission cantonale d’éthique de Zurich

Il y a dix ans, il était possible de lancer une étude clinique sur des patients dans les semaines suivant la création d’un protocole. Aujourd’hui, il faut fournir des informations bien plus détaillées aux commissions d’éthique et, dans le cas d’essais sur des médicaments, une expertise supplémentaire de l’Institut des produits thérapeutiques Swissmedic. En raison de ces obstacles bureaucratiques, démarrer une recherche prend désormais de six mois à un an. Le nombre et l’ampleur des documents requis augmentent, de même que les audits et les inspections.

Il n’y a aucun doute que la sécurité des patients doit rester la priorité absolue. Ceux-ci ont besoin d’informations complètes sur l’étude afin de pouvoir décider en toute lucidité de leur participation. Et la qualité des recherches reste encore à améliorer. Les commissions d’éthique et Swissmedic jouent un rôle important en veillant au respect des bonnes pratiques cliniques.

Mais est-ce que les autorités atteignent vraiment leur objectif au travers de ces mesures? Non. Les informations destinées aux participants, longues et complexes, ne sont plus lues par personne, et encore moins comprises. Ce n’est pas la sécurité des patients qui en bénéficie, mais la protection légale du sponsor. Même des tâches ordinaires, telle la lecture d’un protocole d’étude, nécessitent une description détaillée du processus. La bureaucratisation n’a aujourd’hui plus aucun rapport avec le risque réel lié à une étude.

«Les informations complexes destinées aux participants ne profitent pas à leur sécurité, mais à la protection légale du sponsor.»

Un surcroît de travail considérable en résulte. Une documentation exhaustive fait souvent perdre le bon sens. Les points importants et pertinents pour la recherche et les patients sont éclipsés. La sécurité de ces derniers en pâtit, car d’authentiques signaux d’alarme risquent de ne pas être perçus au milieu de tout ce formalisme superflu.

Asphyxiés par l’administration, les jeunes médecins sont découragés de poursuivre une carrière dans la recherche. La bureaucratisation croissante empêche la réalisation d’études innovantes et de qualité, et engloutit des ressources qui seraient bien plus utiles aux participants aux études cliniques et à la science. Résultat: le nombre des études indépendantes initiées par des chercheurs va diminuer, surtout comparativement à celles dotées de gros budgets financés par l’industrie pharmaceutique. Une lourde perte. Si la Suisse veut rester un pôle de recherche efficace et attrayant, elle doit enrayer de toute urgence cette bureaucratie tentaculaire.

Mirjam Christ-Crain est co-directrice du Département de recherche clinique à l’Hôpital universitaire de Bâle et membre depuis 2016 du Conseil suisse de la science (CSS).

La recherche est précieuse, mais comporte des enjeux de taille: la protection des participants aux études et la fiabilité des résultats. Les exigences de qualité sont donc élevées, et les commissions d’éthique s’efforcent de contribuer à en assurer la satisfaction en demandant une planification précise des études ainsi que leur mise en oeuvre standardisée et bien réfléchie. Tout doit être soigneusement documenté. Il ne s’agit pas de bureaucratie, mais de conditions à respecter qui relèvent de l’évidence.

«Les obstacles administratifs ne découlent pas d’un excès de bureaucratie mais souvent d’une planification insuffisante.»

Ces exigences n’ont rien de nouveau. Depuis 2002, la Suisse a adopté les règles internationales de bonnes pratiques cliniques également pour la recherche académique pharmacologique. Car elle ne présente aucune différence avec celle que mène l’industrie s’agissant de la protection des participants et du sérieux des données.

Avant de les approuver, les commissions d’éthique vérifient que les projets de recherche respectent les exigences scientifiques, éthiques et légales. Le fait que de nombreux candidats se heurtent d’emblée à des avis de non-conformité et à des obstacles administratifs ne résulte pas d’une bureaucratie excessive mais, la plupart du temps, d’une planification insuffisante et d’un manque de préoccupation de la qualité.

Voici quelques exemples de lacunes. La question au coeur de la recherche n’est pas claire ou le concept de l’étude ne permettrait pas d’y répondre. Les critères d’évaluation des résultats ne sont pas définis ou la planification statistique est déficiente. Le partage des responsabilités au sein du team de recherche est insuffisamment défini, l’arsenal des mesures de minimisation des risques n’est pas épuisé ou l’application des règles sur la protection des données est parfois élastique. Mais encore et surtout, il arrive souvent que les explications destinées aux patients s’avèrent incompréhensibles. Résultat: plus la demande comportera d’insuffisances, plus l’autorisation sera longue à obtenir.

Le fait que nombre de résultats ne peuvent être reproduits et que le quart des études sont interrompues prématurément constituent des preuves objectives que la qualité de la recherche accuse des déficits. La communauté scientifique a pris des mesures pour améliorer la situation. A cet égard, les unités d’essais cliniques des hôpitaux universitaires jouent un rôle clé. Elles contribuent heureusement plus encore que les commissions d’éthique à résoudre le problème de fond: celui-ci n’est pas la bureaucratie mais le manque de ressources pour la planification et l’assurance de la qualité de la recherche académique. Si ces moyens sont garantis, les lacunes dénoncées diminueront.

Peter Kleist dirige la Commission cantonale d’éthique de Zurich depuis 2015. L’ancien médecin a travaillé dans l’industrie pharmaceutique où il a mené des essais cliniques.

Photo: Valérie Chételat

Oui,répond Mirjam Christ-Crain de l’Hôpital universitaire de Bâle.

Il y a dix ans, il était possible de lancer une étude clinique sur des patients dans les semaines suivant la création d’un protocole. Aujourd’hui, il faut fournir des informations bien plus détaillées aux commissions d’éthique et, dans le cas d’essais sur des médicaments, une expertise supplémentaire de l’Institut des produits thérapeutiques Swissmedic. En raison de ces obstacles bureaucratiques, démarrer une recherche prend désormais de six mois à un an. Le nombre et l’ampleur des documents requis augmentent, de même que les audits et les inspections.

Il n’y a aucun doute que la sécurité des patients doit rester la priorité absolue. Ceux-ci ont besoin d’informations complètes sur l’étude afin de pouvoir décider en toute lucidité de leur participation. Et la qualité des recherches reste encore à améliorer. Les commissions d’éthique et Swissmedic jouent un rôle important en veillant au respect des bonnes pratiques cliniques.

Mais est-ce que les autorités atteignent vraiment leur objectif au travers de ces mesures? Non. Les informations destinées aux participants, longues et complexes, ne sont plus lues par personne, et encore moins comprises. Ce n’est pas la sécurité des patients qui en bénéficie, mais la protection légale du sponsor. Même des tâches ordinaires, telle la lecture d’un protocole d’étude, nécessitent une description détaillée du processus. La bureaucratisation n’a aujourd’hui plus aucun rapport avec le risque réel lié à une étude.

«Les informations complexes destinées aux participants ne profitent pas à leur sécurité, mais à la protection légale du sponsor.»

Un surcroît de travail considérable en résulte. Une documentation exhaustive fait souvent perdre le bon sens. Les points importants et pertinents pour la recherche et les patients sont éclipsés. La sécurité de ces derniers en pâtit, car d’authentiques signaux d’alarme risquent de ne pas être perçus au milieu de tout ce formalisme superflu.

Asphyxiés par l’administration, les jeunes médecins sont découragés de poursuivre une carrière dans la recherche. La bureaucratisation croissante empêche la réalisation d’études innovantes et de qualité, et engloutit des ressources qui seraient bien plus utiles aux participants aux études cliniques et à la science. Résultat: le nombre des études indépendantes initiées par des chercheurs va diminuer, surtout comparativement à celles dotées de gros budgets financés par l’industrie pharmaceutique. Une lourde perte. Si la Suisse veut rester un pôle de recherche efficace et attrayant, elle doit enrayer de toute urgence cette bureaucratie tentaculaire.

 


Photo: Valérie Chételat

Non,répond Peter Kleist de la Commission cantonale d’éthique de Zurich.

La recherche est précieuse, mais comporte des enjeux de taille: la protection des participants aux études et la fiabilité des résultats. Les exigences de qualité sont donc élevées, et les commissions d’éthique s’efforcent de contribuer à en assurer la satisfaction en demandant une planification précise des études ainsi que leur mise en oeuvre standardisée et bien réfléchie. Tout doit être soigneusement documenté. Il ne s’agit pas de bureaucratie, mais de conditions à respecter qui relèvent de l’évidence.

«Les obstacles administratifs ne découlent pas d’un excès de bureaucratie mais souvent d’une planification insuffisante.»

Ces exigences n’ont rien de nouveau. Depuis 2002, la Suisse a adopté les règles internationales de bonnes pratiques cliniques également pour la recherche académique pharmacologique. Car elle ne présente aucune différence avec celle que mène l’industrie s’agissant de la protection des participants et du sérieux des données.

Avant de les approuver, les commissions d’éthique vérifient que les projets de recherche respectent les exigences scientifiques, éthiques et légales. Le fait que de nombreux candidats se heurtent d’emblée à des avis de non-conformité et à des obstacles administratifs ne résulte pas d’une bureaucratie excessive mais, la plupart du temps, d’une planification insuffisante et d’un manque de préoccupation de la qualité.

Voici quelques exemples de lacunes. La question au coeur de la recherche n’est pas claire ou le concept de l’étude ne permettrait pas d’y répondre. Les critères d’évaluation des résultats ne sont pas définis ou la planification statistique est déficiente. Le partage des responsabilités au sein du team de recherche est insuffisamment défini, l’arsenal des mesures de minimisation des risques n’est pas épuisé ou l’application des règles sur la protection des données est parfois élastique. Mais encore et surtout, il arrive souvent que les explications destinées aux patients s’avèrent incompréhensibles. Résultat: plus la demande comportera d’insuffisances, plus l’autorisation sera longue à obtenir.

Le fait que nombre de résultats ne peuvent être reproduits et que le quart des études sont interrompues prématurément constituent des preuves objectives que la qualité de la recherche accuse des déficits. La communauté scientifique a pris des mesures pour améliorer la situation. A cet égard, les unités d’essais cliniques des hôpitaux universitaires jouent un rôle clé. Elles contribuent heureusement plus encore que les commissions d’éthique à résoudre le problème de fond: celui-ci n’est pas la bureaucratie mais le manque de ressources pour la planification et l’assurance de la qualité de la recherche académique. Si ces moyens sont garantis, les lacunes dénoncées diminueront.